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Libertés fondamentales - droits de l'homme
La « protection temporaire » des personnes déplacées d’Ukraine
Le 4 mars 2022, face à l’afflux massif de personnes déplacées d’Ukraine aux frontières de l’Union européenne, conséquence immédiate de l’invasion de ce pays par les forces armées russes, le mécanisme porté par la directive dite « protection temporaire » du 20 juillet 2001, a été activé pour la première fois.
Adoptée à la suite des conflits qui ont ébranlé l’ex-Yougoslavie dans les années quatre-vingt-dix, la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 prévoit un mécanisme de « protection temporaire » en cas d’afflux massif de personnes déplacées qui fuient des zones de conflit ou de violences ou qui ont été victimes de violations systématiques ou généralisées des droits de l’homme (d’autres causes, économiques ou écologiques, par exemple, ne permettent pas l’activation du mécanisme). Au regard de cet afflux massif, ce mécanisme poursuit un double objectif : éviter un effondrement des systèmes d’asile des États membres de l’Union européenne (UE) et assurer une protection « immédiate » des personnes déplacées.
Pour être mise en œuvre, la « protection temporaire » suppose une décision du Conseil de l’UE, qui, après proposition de la Commission, doit constater un afflux massif de personnes répondant aux critères de la directive, décrire les groupes de personnes auxquels s’appliquera la protection et déterminer la date à laquelle cette protection débute. À compter de cette date, les droits et obligations contenus dans la directive s’appliquent immédiatement dans l’ensemble des États membres (à l’exclusion du Danemark, qui a choisi de ne pas être lié par le texte).
Il n’est pas inutile de rappeler ici que ce mécanisme a longtemps été mis de côté. Ainsi, en 2015, face à l’afflux de plus d’un million de personnes déplacées en un an, notamment de Syrie, l’Union et ses États membres, incapables de s’entendre sur la question des relocalisations, avaient écarté la protection temporaire, lui préférant un « accord » avec la Turquie, chargée, contre une aide financière, de prendre en charge les migrants souhaitant rejoindre l’Europe. En septembre 2020, à l’occasion de sa communication sur un nouveau « pacte sur la migration et l’asile » (Doc COM(2020) 609 final, 23 sept. 2020) la Commission européenne avait même proposé, parmi ses actions clés, d’adopter une nouvelle législation « visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure et abrogeant la directive relative à la protection temporaire ».
Cette proposition semble, pour l’heure, avoir fait long feu, et la protection temporaire est à nouveau sur le devant de la scène à la faveur du conflit russo-ukrainien. Au regard des conséquences de conflit, le Conseil a en effet adopté, à l’unanimité, le 4 mars 2022, une décision « constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire » (Déc. 2022/382 du Conseil, 4 mars 2022 : JOUE n° L 71, 4 mars), réveillant ainsi un mécanisme endormi depuis plus de vingt ans. Au-delà des motivations politiques, plusieurs éléments sont avancés pour expliquer ce revirement : le nombre sans précédent de personnes déplacées (près de deux millions dès les premiers jours, près de sept millions en quatre mois, selon les chiffres de l’Union européenne), le fait que, pour beaucoup, ces personnes étaient titulaires d’un passeport biométrique et par conséquent exemptées de visas pour entrer dans l’UE, le fait, enfin, que l’Ukraine dispose de nombreuses frontières avec des États membres (Pologne, Slovaquie, Hongrie et Roumanie), rendant les déplacements difficilement maîtrisables.
Au regard des nombreux mouvements de population induits par le conflit, il est important de souligner que les personnes déplacées et susceptibles de se voir protégées au titre de la protection temporaire sont libres d’accéder à l’État de l’Union de leur choix. En effet, la directive ne prévoit aucun mécanisme de détermination d’un État responsable de la protection temporaire et exige même que les États membres facilitent l’accès à leur territoire. Ainsi, dans un mouvement inverse à celui prévu par le système « Dublin », et alors que la Commission a largement encouragé la libre circulation entre les États à travers ses « lignes directrices » (Communication, 2022/ C 104 I/01, 4 mars 2022 : JOUE n° C 104, 4 mars ; Communication, 2022/C 126 I/01, 21 mars 2022 : JOUE n° C 126, 21 mars), une personne déplacée peut aujourd’hui solliciter la « protection temporaire » dans n’importe quel État de l’Union, même si elle a transité par un autre (une personne peut par exemple demander une protection en France alors qu’elle est entrée dans l’Union par la Pologne).
Notons ensuite que la directive du 20 juillet 2001 ne prévoit pas de « procédure d’octroi » de la protection temporaire. Les États sont donc libres d’aménager leurs propres règles. En France, la réglementation, qui envisage le mécanisme de protection temporaire aux articles L. 581-1 et suivants et R. 581-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévoit seulement que c’est le préfet du lieu de résidence qui doit être sollicité pour la « délivrance du document provisoire de séjour » et que certaines pièces doivent être produites à l’appui de la demande. Par une instruction du 10 mars 2022, le ministre de l’intérieur est venu éclairer le dispositif en rappelant notamment, enjeu central, les catégories de personnes éligibles à la protection en France (Instr. 10 mars 2022, NOR : INTV2208085J). Établies par le Conseil de l’UE dans sa décision du 4 mars et légèrement élargies par l’instruction du 10 mars, ces catégories sont, à l’exclusion de toute autre personne : les ressortissants ukrainiens déplacés d’Ukraine à partir du 24 février 2022 ou « qui étaient présents à cette date sur le territoire d’un État membre de l’Union ou d’un État associé sous couvert d’un visa ou d’un visa Schengen, et établissant que leur résidence permanente à cette date se trouvait en Ukraine » ; les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui bénéficiaient d’une protection internationale ou d’une protection internationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022 ; les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui établissent qu’ils résidaient régulièrement en Ukraine sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien « et » qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des « conditions sûres et durables » ; les membres de famille des personnes entrant dans les trois catégories précitées, eux-mêmes déplacés d’Ukraine à partir du 24 février 2022.
Toute personne entrant dans l’une de ces catégories, à condition qu’elle ne soit pas d’emblée exclue de la protection (pour, par exemple, un motif d’ordre public), peut immédiatement bénéficier d’une série de droits qui, consacrés par la directive, se trouvent ainsi uniformisés sur l’ensemble du territoire de l’Union. Le premier de ces droits est celui de séjourner dans l’État d’accueil sous couvert d’un titre de séjour (en France une autorisation provisoire de séjour de six mois, délivrée par le préfet et renouvelable sans condition jusqu’à la fin de la protection temporaire). La protection temporaire ouvre également un droit au travail (en France l’autorisation de séjour vaut autorisation de travail) et à la formation professionnelle, un droit à l’hébergement, à l’accès aux aides sociales et aux soins médicaux, à la scolarisation et à la poursuite des études. La directive de 2001 prévoit également un mécanisme spécifique afin de permettre aux membres d’une même famille dispersés sur les territoires de différents États membres d’être réunis. Notons enfin que les mineurs isolés ou qui ne sont pas accompagnés de leur famille proche font l’objet de dispositions particulières en raison de leur vulnérabilité.
Au-delà de cette courte présentation, il est important de préciser que la protection temporaire n’est pas une protection internationale au sens strict. Elle ne se substitue par conséquent en aucun cas aux autres protections internationales (statut de réfugié ou protection subsidiaire). Bien au contraire, toute personne qui est bénéficiaire de la protection temporaire dans un État membre est susceptible d’y formuler une demande d’asile. En France, cette règle a été rappelée dans le cadre de l’instruction du 10 mars 2022 qui précise qu’en cas de demande d’asile, la procédure classique d’examen s’applique (pré-accueil associatif, passage par un guichet unique puis enregistrement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – Ofpra, qui, soulignons-le, n’intervient à aucun titre dans la procédure d’octroi de la protection temporaire). Par ailleurs, la personne qui bénéficie de la protection temporaire demeure protégée à ce titre le temps de l’instruction et en cas de rejet de sa demande d’asile.
Enfin, rappelons que la protection accordée est « temporaire », la directive prévoyant que la durée initiale de la protection est fixée à un an, renouvelable deux fois par périodes de six mois, puis, une dernière fois, sous des conditions particulières, pour un an. La durée totale de la protection est donc de trois ans maximum. Par ailleurs, si les conditions de mise en œuvre fixées par la décision du Conseil venaient à disparaître (par ex. en cas de cessation du conflit), il peut également être mis un terme à la protection temporaire de façon anticipée. Dans tous les cas, la fin de la protection implique la fin des droits qu’elle a ouverts, le retour des personnes déplacées dans leur pays d’origine et un retour aux règles classiques de l’asile et du droit du séjour et de l’éloignement des étrangers.
Pour aller plus loin : Bulletin spécial La protection temporaire au prisme du conflit ukrainien
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