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Droit européen et de l'Union européenne
La qualification de travailleur étendue aux personnes exerçant dans un centre d’aide par le travail
Mots-clefs : Travailleur, Définition, Personne handicapée, CAT, Congés payés, Directive, Activités réelles et effectives, Rémunération, Cour de justice, Invocabilité, Interprétation conforme
La qualification de travailleur, au sens du droit de l’Union, répond à des conditions précises. Il faut ainsi que la personne exerce des activités réelles et effectives, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération. La Cour de justice, après un examen attentif des différentes conditions, et notamment de l’existence d’une activité réelle et effective, conclue à la qualification de travailleur pour une personne exerçant son activité professionnelle dans un Centre d’aide par le travail. La Cour étend cette notion de travailleur à des personnes handicapées ayant une activité, indépendamment du caractère social de la structure d’accueil.
La qualification de travailleur, au sens du droit de l’Union, revêt une importance réelle dès lors que, au regard de cette qualité, les citoyens européens migrant dans un autre État membre sont éligibles à différents droits économiques, sociaux et fiscaux. La qualité de travailleur impose une égalité de traitement avec les travailleurs nationaux.
Afin de favoriser l’application des règles liées à ce statut, la Cour de justice a elle-même défini de manière large cette notion, notion qui est autonome par rapport aux droits nationaux. Il revient dès lors aux État membres de s’adapter à l’approche retenue par le droit de l’Union.
La définition, date de l’arrêt Lawrie Blum (CJCE 3 juill. 1986, Lawrie Blum) qui précise qu’un travailleur est « une personne [qui] accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération ».
Si cette définition est particulièrement essentielle pour l’application de l’article 45 TFUE relatif à la libre circulation des travailleurs, elle a également une incidence sur d’autres dispositions, ainsi que le démontre cet arrêt Fenoll, notamment sur l’interprétation de la directive 2003/88/CE relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail dont les congés payés.
Le contentieux en cause est né du fait que M. Fenoll n’a pas pu bénéficier de l’ensemble de ces jours de congés en raison d’arrêts maladie alors qu’il travaillait dans un Centre d’aide par le travail (CAT), le CAT « La Jouvene ». Le centre lui a refusé le paiement des congés sous forme d’indemnités financières comme pour tout travailleur tandis qu’il quittait le centre. Au regard du refus, il a saisi le Tribunal d’instance qui n’a pas accueilli ses demandes. Un pourvoi en cassation a été déposé qui a donné lieu à la question préjudicielle ayant pour objet de déterminer si une personne exerçant dans un CAT peut être qualifiée de travailleur.
La Cour de justice va reprendre les différentes conditions objectives nécessaires à la qualification de travailleur. Certains éléments ne posaient pas de difficultés, comme le lien de subordination, la durée de l’exercice de l’activité professionnelle ou encore la rémunération. La Cour a constaté l’existence de ces conditions, même si sur la rémunération, elle admet pour la première fois expressément que le montant peut se situer en dessous du salaire minimal, sans que cela ait une incidence.
Le problème se posait, en revanche, clairement par rapport à la reconnaissance de cette activité comme étant une activité réelle et effective et non une activité réduite se présentant comme purement marginal et accessoire. En effet, la Cour exclut les activités trop réduites, mais également les activités qui interviennent uniquement comme un moyen de réinsertion, ces dernières étant qualifiées de marginales et d’accessoires (CJCE 31 mai 1989, Bettray).
La Cour examine le fonctionnement des CAT, précisant qu’il faut apprécier globalement les circonstances pour retenir ou non la qualification. La Cour indique que les activités exercées au sein d’un CAT ne sont pas purement marginales et accessoires, car il ne s’agit pas uniquement d’insérer la personne, les activités pratiquées ayant une utilité économique. En effet, il y a une volonté de valoriser la productivité et d’assurer une protection sociale aux personnes handicapées. La Cour en déduit que les prestations relèvent du marché de l’emploi, au regard des modalités d’exécution des prestations conduisant à reconnaître la qualité de travailleur. Le fait que les emplois soient réservés au sein d’un CAT aux personnes handicapées n’a pas de conséquence en raison des conditions de l’exercice de l’activité.
M. Fenoll sera, certes, reconnu comme un travailleur, bénéficiant de la directive 2003/88/CE. Cependant, son litige l’oppose à une structure privée. Ce litige est donc horizontal. La directive ne peut, dans ces conditions, être invoquée (CJCE 26 févr. 1986, Marshall), l’interprétation conforme n’étant pas envisageable car elle serait contra legem (CJUE 24 janv. 2012, Dominguez). Seul l’engagement de la responsabilité de l’État lui permettra d’obtenir une réparation (CJCE 19 nov. 1991, Francovich). Au regard des montants en jeu, il apparaît peu probable que cette option soit envisagée, démontrant une nouvelle fois la relativité de l’effectivité des droits issus des directives, en l’absence de transposition correcte par les États membres.
CJUE 26 mars 2015, Gérard Fenoll c/ Centre d’aide par le travail « la Jouvene », n° C-316/13
Références
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
Article 45 (ex-article 39 TCE)
« 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union.
2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.
3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique:
a) de répondre à des emplois effectivement offerts,
b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,
c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux,
d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements établis par la Commission, sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi.
4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique. »
■ Directive 2003/88/CE du 4 nov. 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
■ CJCE 3 juill. 1986, Lawrie Blum, n° 66/85.
■ CJCE 31 mai 1989, Bettray, n° 344/87.
■ CJCE 26 févr. 1986, Marshall, n° 152/84.
■ CJUE 24 janv. 2012, Dominguez, n° C-282/10.
■ CJCE 19 nov. 1991, Francovich, n° C-6/90.
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