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[ 23 novembre 2023 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

La question des droits à congés payés du salarié malade soumise au conseil constitutionnel

La Cour de cassation renvoie devant le Conseil constitutionnel une QPC portant sur l’acquisition des droits à congés payés d’un salarié en arrêt de travail pour maladie. Le fait de priver un salarié malade de l’acquisition de congés payés, en raison d’absence de travail effectif, est-il contraire au droit à la santé et au repos ? La différence opérée entre la maladie ordinaire et la maladie professionnelle sur ce sujet est-elle contraire au principe d’égalité devant la loi ?

Soc. 15 nov. 2023, n° 23-14. 806

Dans une série d’arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation a adopté une solution qui a eu l’effet d’une bombe au sein des services RH des entreprises : en dépit de la rédaction des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail, le salarié en arrêt maladie ordinaire doit acquérir des droits à congés-payés pendant la suspension de son contrat (Soc. 13 sept. 2023 n° 22-17.638, n° 22-17.340, n° 22-10.529). Deux mois après ces arrêts qui ont défrayés la chronique, la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel une QPC portant sur les deux textes controversés du code du travail. Pour comprendre la QPC, il faut donc revenir rapidement sur les arrêts de septembre. 

Depuis plus de 10 ans, la Cour de cassation alerte le législateur sur les difficultés du droit français au regard du droit européen. L’article L. 3141-3 du Code du travail précise qu’un salarié acquiert 2,5 jours de congés payés par mois de travail effectif. Un salarié qui ne travaille pas ne peut donc pas en acquérir, sauf si la période non travaillée est assimilée à du temps de travail effectif. L’article L. 3141-5 du Code du travail assimile ainsi certaines périodes à du temps de travail effectif. Tel est le cas pour la période de suspension du contrat liée à une maladie professionnelle dans la limite d’un an, en revanche, rien n’est prévu pour la maladie ordinaire. Or, selon la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 7 de la Directive 2003/88 qui accorde un minimum de 4 semaines de congés payés par an, doit être accordé à un travailleur qui été malade. Son raisonnement s’appuie sur certains standards internationaux notamment l’article 5 § 4 de la convention n° 132 du 24 juin 1970 de l’OIT auquel la directive fait référence. Si en principe, le droit à congé est subordonné à un travail effectif, il n’en est pas de même lorsque pour un motif indépendant de sa volonté, un salarié est incapable de remplir ses fonctions. Ainsi, en droit européen, un salarié en arrêt de travail en raison d’une maladie, ordinaire ou professionnelle, ne peut être privé de son droit à congé annuel au motif qu’il n’a pas travaillé (CJUE, 24 janv. 2012, aff. C-282/10 Dominguez). Il faut toutefois bien comprendre que cette solution ne vaut pas pour toutes les absences. Si la CJUE l’applique également au congé maternité (CJCE, 18 mars 2004, aff. C 342-01 Merino Gomez) elle ne l’exige pas pour le congé parental d’éducation (CJUE, 4 oct. 2018, aff. 12/17 Maria Dicu) ou pour le chômage partiel (CJUE, 13 déc. 2018, aff. C. 385/17 Torsten Hein). C’est donc uniquement à l’égard des salariés en arrêt maladie que la loi française est contraire à la directive de 2007.

Le constat d’une contrariété entre le droit national et le droit européen n’entraine pas systématiquement la mise à l’écart de la règle interne. Dans les rapports entre particuliers, une directive n’a pas d’effet horizontal direct. La Cour de Justice invite alors les juridictions nationales à retenir, dans la mesure du possible, une interprétation du droit national conforme au droit européen. Toutefois cette lecture ne peut aller jusqu’à retenir une interprétation contra legem (Soc. 13 mars 2013, n° 11-22.285). L’intervention du législateur est alors indispensable pour mettre le droit français en conformité. Aussi, et à deux reprises, la Cour de cassation a préconisé une révision des textes du code du travail (rapport annuel 2013, rapport annuel 2017) mais sa requête est restée lettre morte. Reste que si la directive de 2007, à elle seule, ne permet pas d’écarter la loi, en revanche, certaines dispositions des traités sont dotées d’un effet direct horizontal. En combinant l’article 31 §2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union qui consacre le droit pour tout travailleur à une période annuelle de congés payés et l’article 7 de la Directive de 2003, il est alors possible de laisser inappliquée une réglementation nationale contraire (CJUE, 6 nov. 2018, aff. C. 569/16). C’est cette solution qu’a fini par adopter la Chambre sociale de la Cour de cassation dans les arrêts du 13 septembre dernier. Elle a écarté partiellement l’article L. 3141-3 du Code du travail exigeant un travail effectif pour les salariés en arrêt maladie. Désormais, un salarié atteint d'une maladie ou victime d'un accident, professionnel ou non professionnel, peut intégrer toute la période au cours de laquelle il n’a pas pu travailler dans le calcul de ses droits à congé payés. La Cour de cassation n’ayant pas moduler dans le temps ce revirement jurisprudentiel, la question de la prescription est au cœur d’âpres débats et le coût financier pour les entreprises pourrait s’avérer assez élevé.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur la pertinence de renvoyer ou non devant le Conseil constitutionnel une QPC portant sur les deux articles controversés du code du travail. En l’espèce, une salariée engagée comme employée commerciale, avait été en arrêt pendant plus de 3 ans pour maladie non professionnelle et pendant près de 2 ans à la suite d’un accident du travail. Pour les périodes d’arrêts liées à une maladie ordinaire elle n’avait acquis aucun jour de congés payés et pour la période de suspension du contrat liée au risque professionnel, les juges du fond avait limité l’assimilation à du temps de travail effectif à une durée d’un an, conformément à l’art. L. 3141-5 du Code du travail. La salariée considérait donc que ces textes, la privant d’environ 120 jours de congés payés, étaient contraire à la Constitution. Les deux congés ont en effet une finalité différente : l’arrêt pour maladie permet au salarié de se soigner et ainsi recouvrer la santé alors que le congé annuel vise à garantir le droit au repos et aux loisirs énoncés à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946. L’exigence d’un travail effectif énoncé à l’article L. 3141-3 du Code du travail privant le salarié malade du bénéfice du repos annuel pourrait donc être contraire au droit au repos. Par ailleurs, la différence opérée par l’article L. 3141-5 du Code du travail. entre la maladie ordinaire et la maladie professionnelle parait discutable au regard de l’objet de l’avantage en question. Dès lors qu’il s’agit d’accorder un droit à congé annuel, pourquoi seule la maladie professionnelle ouvrirait droit à un tel avantage ? Du point de vue du droit au repos et aux loisirs, les salariés malades sont dans la même situation, quelle que soit l’origine de leur maladie. L’article L. 3141-5 du Code du travail pourrait donc caractériser une rupture d’égalité devant la loi.

Après la CJUE et la Cour de cassation, il appartient donc désormais au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur le droit à congé annuel du salarié malade. Il pourrait censurer le texte du Code du travail, comme ce fut le cas en 2016 lorsque fut en cause la privation de l’indemnité de congés payés du salarié licencié pour faute lourde (Cons. Const., 2 mars 2016, n° 2015-523 QPC). Mais quand bien même les 9 sages ne relèveraient aucune inconstitutionnalité, la solution prétorienne issus des arrêts du 13 septembre 2023 sera maintenue puisqu’il appartient au juge national de mettre en œuvre le droit de l’Union. Quelle que soit la réponse du Conseil Constitutionnel, l’intervention du législateur est donc plus que souhaitable. Car la CJUE admet qu’à l’issue d’une période raisonnable, le droit à congé d’un salarié en arrêt de travail pour maladie puisse s’éteindre (CJUE, 3 mai 2012, aff. C-337/10, Neidel). Mais ce dispositif est facultatif et doit être prévu par le droit interne, le juge judiciaire ne pouvant sur ce point se substituer au législateur. (Soc. 21 sept. 2017, n° 16- 24.022).

Références :

■ Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.638, n° 22-17.340, n° 22-10.529 : D. 2023. 1936, note R. Tinière ; JA 2023, n° 686, p. 11, obs. A. Kras ; RDT 2023. 639, chron. M. Miné

■ CJUE, 24 janv. 2012, aff. C-282/10 Dominguez : D. 2012. 369 ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JA 2012, n° 454, p. 12, obs. L.T. ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel ; ibid. 578, chron. C. Boutayeb et E. Célestine ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis

■ CJCE, 18 mars 2004, aff. C 342-01 Merino Gomez : D. 2004. 1066, et les obs.

■ CJUE, 4 oct. 2018, aff. C-12/17 Maria Dicu : RTD eur. 2019. 401, obs. F. Benoît-Rohmer

■ CJUE, 13 déc. 2018, aff. C. 385/17 Torsten Hein : RTD eur. 2019. 401, obs. F. Benoît-Rohmer

■ Soc. 13 mars 2013, n° 11-22.285 D. 2013. 778 ; Dr. soc. 2013. 564, obs. S. Laulom ; ibid. 576, chron. S. Tournaux ; RDT 2013. 341, obs. M. Véricel ; RTD eur. 2014. 435, obs. B. Le Baut-Ferrarese ; ibid. 460, obs. B. de Clavière

■ CJUE, 6 nov. 2018, aff. C-569/16 AJDA 2018. 2165 ; ibid. 2019. 559, étude C. Fernandes ; RDT 2019. 261, obs. M. Véricel ; RTD eur. 2019. 387, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 401, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 693, obs. S. Robin-Olivier

■ Cons. Const., 2 mars 2016, n° 2015-523 QPC D. 2016. 547 ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2016. 475, obs. J. Mouly ; RDT 2016. 352, obs. M. Véricel

■ CJUE, 3 mai 2012, aff. C-337/10, Neidel D. 2012. 1269 ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis

■ Soc. 21 sept. 2017, n° 16- 24.022 : D. 2017. 1921, obs. N. explicative de la Cour de cassation ; JA 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien ; RDT 2018. 63, obs. M. Véricel

■ D. Baugard, Quelques observations relatives à la prescription en matière de congés payés, SSL, oct 2023, n° 2064.

■ G. Chastagnol, L. Besedik, Acquisition des congés payés, arrêt maladie et CJUE : quand la machine s'emballe... JS Lamy oct. 2023, n° 572

■ F. Favennec-Hery, Une réécriture judiciaire du droit à congé payé, SSL, sept. 2023, n° 2060

■ A. Gardin, Les congés payés du salarié malade : des clés pour une réforme législative indispensable, RJS 10/18

■ A. Martinon, Revirement de jurisprudence - Affaire des congés payés : l'abrogation judiciaire différée en question, JCP G 2023, act. 1264

■ P. Morvan, Se reposer parce qu’on n’a jamais travaillé : le droit aux congés payés selon le juge européen, RJS 7/21

■ C. Terrenoire, Des droits à congés payés s'acquièrent au titre des périodes d'absence pour maladie, JCP Soc. 2023, 1264

 

Auteur :Chantal Mathieu


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