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[ 31 janvier 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La reconnaissance conditionnée de l’effet direct entre particuliers de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Mots-clefs : Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Directive invocabilité, Litige entre particuliers, Effet direct, Effet direct horizontal, Inconditionnel, Interprétation conforme, Renvoi préjudiciel

Pour la première fois la CJUE est interrogée sur l’effet direct horizontal d’un article de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La Cour reprend les conditions de sa jurisprudence antérieure, recherchant notamment si l’article 27 de la Charte relatif au droit à l’information et à la consultation des travailleurs se suffit à elle-même. La Cour juge que la disposition n’est pas inconditionnelle et cette situation n’est pas modifiée par l’adoption de la directive 2002/14 apportant un cadre général au contenu de l’article 27 de la Charte. La Cour écarte ainsi l’effet direct de cet article de la Charte, appréhendé seul ou en combinaison avec la directive, obligeant le juge à recourir aux solutions traditionnelles de l’interprétation conforme et de l’engagement de la responsabilité de l’État. Cet arrêt n’exclut pas que d’autres dispositions puissent être d’effet direct, y compris dans un litige horizontal.

La CJUE est régulièrement saisie de question préjudicielle portant sur l’invocabilité de différentes dispositions du droit de l’Union. Les conditions ont depuis longtemps été posées (CJCE 5 févr. 1963, Van Gend en Loos). Les dispositions visées doivent être suffisamment claires et précises et inconditionnelles.

Pour les directives, la Cour exige, en outre, que le délai de transposition ait expiré (CJCE 5 avr. 1979, Ratti, aff. 148/78)et il est précisé que l’invocabilité est exclue dans le cadre d’un litige horizontal, c’est-à-dire entre particuliers, même si toutes les conditions sont réunies (CJCE 26 févr. 1986, Marshall).

En l’espèce, le contentieux à l’origine de la question préjudicielle présente une particularité : la Cour de cassation française était confrontée à cette situation dans le cadre d’un litige horizontal où était en cause la transposition incorrecte de la directive 2002/14 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.

L’origine du contentieux trouvait sa source dans les modalités de calcul des seuils de représentation du personnel dans les entreprises françaises. La loi française, transposant la directive 2002/14, avait organisé la détermination du seuil de représentation des salariés, en excluant certaines catégories de salariés dont les titulaires de contrats aidés et les apprentis.

Au sein de l’Association de médiation sociale, l’Union départementale de la CGT a décidé de désigner un représentant du personnel ; l’Association contesta cette initiative en raison d’un effectif de moins de onze salariés, seuil fixé par l’article L 2312-1 du Code du travail. En effet, conformément au droit français, l’Association ne comptabilisait pas ses contrats aidés.

Le litige était dès lors horizontal et par conséquent,  la directive ne pouvait être invoquée. Aussi le Cour de cassationelle a-t-elle demandé si l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pouvait lui-même être d’effet direct seul ou combiné avec la directive 2002/14 qui explicitait le contenu du droit.

Avant d’examiner l’invocabilité de la Charte dans le cadre d’un litige horizontal, la Cour de justice précise que la disposition du Code du travail français est incompatible avec le contenu de la directive. La Cour juge qu’au regard de la directive un État ne peut pas exclure une catégorie déterminée de salariée des seuils.

Face à cette incompatibilité entre les deux textes, se pose la question des conséquences que peut en tirer le juge national.

La Cour de justice reconnaît que la disposition de la directive en cause est claire, précise et inconditionnelle, mais aussitôt le juge de l’Union précise qu’elle ne peut être invoquée dans le litige en cause, celui-ci étant un litige horizontal. L’effet direct de la directive ne pouvant être envisageable, c’est à juste titre que la Cour de cassation a évoqué la solution de l’invocabilité de l’article 27 de la Charte.

Cependant, avant d’examiner cette solution, la Cour rappelle que le juge national dispose d’une solution alternative à l’effet direct permettant de prendre en compte la directive. Il s’agit du recours à l’interprétation conforme de la disposition nationale, ici du Code du travail, à la lumière du texte et des objectifs de la directive. Cette solution est même une obligation préalable pour le juge national avant d’envisager l’effet direct depuis l’arrêt Dominguez (CJUE 24 janv. 2012, Dominguez).

Cette obligation d’interprétation connait toutefois une limite principale, l’impossibilité de recourir à une interprétation contra legem.

En l’espèce, au regard de la rédaction des dispositions du Code du travail, la Cour de cassation est face à une situation d’interprétation contra legem. Il ne demeure dès lors que l’invocabilité de la Charte pour que le droit de l’Union soit applicable effectivement au litige.

L’apport de l’arrêt se situe sur cette question de l’invocabilité de la Charte dans le cadre d’un litige horizontal.

La Cour reconnaît, tout d’abord, l’application de la Charte au litige en cause, ce qui est un préalable indispensable, la Charte s’appliquant uniquement dans les situations relevant du droit de l’Union (CJUE 26 févr. 2013, Akerberg Fransson).

Ensuite, sur le fond, la Cour recherche :

– dans un premier temps si l’article 27 de la Charte peut être d’effet direct seul. Elle juge alors qu’il doit être précisé par un texte. Il est vrai que le contenu de cet article relève de la catégorie des principes figurant dans la Charte et non de celle des droits. La Charte comprend, en effet, deux catégories de droits fondamentaux : les droits et les principes, qui n’ont pas exactement le même régime juridique. Or, il résulte de la Charte que les principes peuvent faire l’objet de l’adoption de normes afin d’être concrétisés (Charte, art. 52, § 5). La Cour ne fait pas directement référence à cette notion de principe alors que ceci explique que l’article 27 ne se suffit pas à lui-même. Elle en tire toutefois la conséquence qui s’impose : l’article 27 ne peut pas être d’effet direct, a fortiori dans un litige horizontal ;

– dans un second temps, si l’article 27 de la Charte peut être d’effet direct en combinaison avec la directive qui vient en préciser son contenu. La Cour écarte également cette hypothèse, étant donné que l’article 27 ne confère toujours pas un droit subjectif invocable par les particuliers.

Ainsi, la Cour rend l’invocabilité de la Charte dans un litige entre particuliers dépendant du contenu de la disposition en cause, peu importe qu’elle ait pu faire l’objet de précisions au travers d’une directive.

Cette solution a nécessairement une incidence sur l’opposabilité de nombreuses dispositions de la Charte. Elle a en revanche le mérite de préserver la cohérence de la jurisprudence en matière d’invocabilité des directives. Celles-ci ne sont jamais invocables directement dans un litige entre particuliers. Elles le sont seulement, par exception, indirectement si la disposition contenant le droit fondamental est elle-même invocable. La Cour avait pu ainsi le reconnaitre à l’égard d’un principe général du droit (CJUE 19 janv. 2010, Kücükdeveci). Elle en fera très certainement de même à l’égard d’une disposition de la Charte, la directive intervenant uniquement pour préciser le contenu d’un droit déjà clairement identifié et inconditionnel.

CJEU, gde ch., 15 janv. 2014, Association de médiation sociale, C-176/12

 

Références

 CJCE 5 févr. 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62.

 CJCE 5 avr. 1979, Ratti, aff. 148/78.

 CJCE, 26 févr. 1986, Marshall, aff. 152/84.

 CJUE 24 janv. 2012, Dominguez, C-282/10.

 CJUE 26 févr. 2013, Akerberg Fransson, C-617/10.

 CJUE 19 janv. 2010, Kücükdeveci, C-555/07.

■ Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 27 -Droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise

« Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales. »

Article 52 -Portée et interprétation des droits et des principes

« 1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l'objet de dispositions dans les traités s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue.

4. Dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions.

5. Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l'Union, et par des actes des États membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes.

6. Les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisé dans la présente Charte.

7. Les explications élaborées en vue de guider l'interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l'Union et des États membres. »

■ Article L. 2312-1 du Code du travail

« Le personnel élit des délégués dans tous les établissements d'au moins onze salariés. »

 

Auteur :V. B.

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