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Droit européen et de l'Union européenne
La reconnaissance de la confidentialité des échanges entre la Commission et les autorités nationales de concurrence
Mots-clefs : Charte des droits fondamentaux, Règlement, Accès aux documents, Concurrence, Pratiques anticoncurrentielles, Commission européenne, Infraction, Autorité nationale de concurrence
L’accès aux documents est un droit essentiel de manière à respecter pleinement le principe du contradictoire. Ce droit est largement reconnu en droit de l’Union tant dans la Charte des droits fondamentaux que dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ce droit connait toutefois des exceptions. Cet arrêt reconnait la possibilité de ne pas divulguer les documents transmis par une autorité nationale de concurrence à la Commission européenne dans le cadre d’une procédure d’infraction. La finalité est de préserver les intérêts commerciaux des entreprises concernées mais également les objectifs des activités d’enquête.
La recherche d’un équilibre des droits est une constante du droit d’accès aux documents, la divulgation constituant, selon les documents en cause, un moyen de respect des principes démocratiques ou encore celui des droits de la défense. C’est ainsi que le droit primaire de l’Union reconnait en deux endroits, la Charte (art. 42) et le TFUE (art. 15, § 3), le droit d’accès aux documents détenus par les institutions, organes ou organismes de l’Union. Ce droit est ouvert pour tout citoyen ou toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans l’Union européenne. Ces documents peuvent émaner aussi bien des institutions de l’Union que des États membres ou des États tiers. Cependant ce droit peut être contraint afin de respecter d’autres droits ou objectifs comme le montre cet arrêt.
Le contentieux provient d’une demande initiale d’une association, l’Union de Almacenistas de Hierros de Espana (UAHE) à la Commission européenne afin d’avoir accès à des documents transmis par l’autorité de concurrence espagnole à la Commission. L’association souhaitait avoir accès à des documents relatifs à deux procédures d’infraction ouverte au niveau national. Si la Commission a accepté de divulguer certains documents, elle a en revanche opposé une fin de non-recevoir pour l’accès au projet de décision, que les autorités nationales ont l’obligation de transmettre à la Commission conformément au règlement n° 1/2003 (art. 11, § 4). Le tribunal a été saisi, l’UAHE contestant la légalité de la décision de la Commission, notamment sur le fondement du règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.
Le Tribunal va rejeter le recours en annulation en apportant plusieurs précisions. Tout d’abord, il énonce que les documents en cause relèvent d’une activité d’enquête, activité qui constitue l’une des exceptions à la divulgation en raison du contenu des documents. La non-divulgation vise dans ce cas à protéger les intérêts commerciaux des entreprises en cause. Ensuite, il reconnaît l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation des documents transmis par une autorité nationale de concurrence dans le cadre d’une procédure d’infraction porte, en principe, atteinte à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées et aux objectifs des activités d’enquête de l’autorité nationale. Il apparait clairement que cette présomption n’est pas irréfragable.
Il faut préciser que ce n’est pas la première fois que les juridictions de l’Union reconnaissent l’existence d’une présomption générale (CJUE 29 juin 2010, Commission c/ TGI, n° C-139/07). Cette dernière présomption a pour intérêt de ne pas obliger la Commission à un examen individuel et concret de tous les documents. Ce régime est cependant dérogatoire, aussi n’existe-t-il que parce qu’il s’appuie sur des règles spécifiques issues d’un texte de droit dérivé propre au domaine en cause, ici le règlement n° 1/2003 qui régit les échanges d’information entre les autorités de concurrence.
En outre, le Tribunal précise que cette présomption s’applique aussi bien à une procédure en cours qu’à une procédure clôturée, la juridiction appliquant le même régime juridique. Le Tribunal se démarque sur ce point de la jurisprudence de la Cour de justice qui considère que l’accès doit être renforcé si la procédure est clôturée (CJUE 21 juill. 2011, Suède c/ MyTravel et Commission européenne, n° C-506/08). Il est vrai que le contenu des documents vise des informations sensibles des entreprises concernées, informations qui demeurent sensibles y compris après la clôture de la procédure. Néanmoins, il serait sans doute possible de ne divulguer que les parties non sensibles, ce qui serait moins attentatoire à ce droit. Cependant la présomption conduit le Tribunal à ne pas examiner concrètement les documents en cause, laissant une marge d’appréciation à la Commission.
Enfin le Tribunal ajoute un autre argument, celui de ne pas nuire à la collaboration des entreprises dans les pratiques anticoncurrentielles. Il accepte ici un argument qui avait été soulevé dans de précédentes affaires et qui avait été jusque-là rejeté par la Cour de justice (CJUE 21 juill. 2011, Suède, MyTravel, préc.). Les juges indiquent également que pour garantir le bon fonctionnement du réseau européen de concurrence, il est nécessaire que les informations échangées demeurent confidentielles.
Parallèlement, le Tribunal écarte l’argument fondé sur les conséquences de la non-divulgation pour l’engagement de la responsabilité des entreprises en cause et précise que l’enquête n’est pas celle de la Commission mais d’une autorité nationale, dès lors c’est dans le dossier de cette autorité que les éléments de preuve seront à trouver. La demande devra en conséquence s’effectuer au niveau d’une juridiction nationale lors de la procédure.
Le Tribunal retient une approche restrictive favorisant le travail d’enquête et de coordination des autorités de concurrence.
Références
■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Article 42
« Tout citoyen de l'Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d'accès aux documents des institutions, organes et organismes de l'Union, quel que soit leur support. »
■Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 15 paragraphe 3 (ex-article 255 TCE)
« Tout citoyen de l'Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d'accès aux documents des institutions, organes et organismes de l'Union, quel que soit leur support, sous réserve des principes et des conditions qui seront fixés conformément au présent paragraphe.
Les principes généraux et les limites qui, pour des raisons d'intérêt public ou privé, régissent l'exercice de ce droit d'accès aux documents sont fixés par voie de règlements par le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire.
Chaque institution, organe ou organisme assure la transparence de ses travaux et élabore dans son règlement intérieur des dispositions particulières concernant l'accès à ses documents, en conformité avec les règlements visés au deuxième alinéa.
La Cour de justice de l'Union européenne, la Banque centrale européenne et la Banque européenne d'investissement ne sont soumises au présent paragraphe que lorsqu'elles exercent des fonctions administratives.
Le Parlement européen et le Conseil assurent la publicité des documents relatifs aux procédures législatives dans les conditions prévues par les règlements visés au deuxième alinéa. »
■ Règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité
Article 11, paragraphe 4
« Au plus tard trente jours avant l'adoption d'une décision ordonnant la cessation d'une infraction, acceptant des engagements ou retirant le bénéfice d'un règlement d'exemption par catégorie, les autorités de concurrence des États membres informent la Commission. À cet effet, elles communiquent à la Commission un résumé de l'affaire, la décision envisagée ou, en l'absence de celle-ci, tout autre document exposant l'orientation envisagée. Ces informations peuvent aussi être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Sur demande de la Commission, l'autorité de concurrence concernée met à la disposition de la Commission d'autres documents en sa possession nécessaires à l'appréciation de l'affaire. Les informations fournies à la Commission peuvent être mises à la disposition des autorités de concurrence des autres États membres. Les autorités nationales de concurrence peuvent également échanger entre elles les informations nécessaires à l'appréciation d'une affaire qu'elles traitent en vertu de l'article 81 ou 82 du traité. »
■ CJUE 29 juin 2010, Commission c/ TGI, n° C-139/07
■ CJUE 21 juill. 2011, Suède c/ MyTravel et Commission, n° C-506/08
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