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[ 24 juin 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La reconnaissance de la responsabilité extracontractuelle des entreprises membres d’une entente

Mots-clefs : Responsabilité extracontractuelle, Droit à réparation, Autonomie procédurale, Principes d’équivalence et d’effectivité, Effet utile, Lien de causalité

La condamnation des entreprises à une amende, par les autorités de concurrence, est la conséquence immédiate de la constatation d’une pratique anticoncurrentielle et notamment d’une entente (TFUE, art. 101). Une autre conséquence possible est celle de l’engagement de la responsabilité de ces mêmes entreprises par des entreprises ayant subi un préjudice du fait de la violation du droit de la concurrence. Par cet arrêt, la Cour de justice étend les hypothèses d’un droit à réparation en reconnaissant que cette action en responsabilité doit aboutir non seulement s’il existe un lien contractuel mais, également, en dehors de tout lien contractuel, dès lors qu’il existe un lien indirect entre le préjudice et le comportement anticoncurrentiel. Cette situation existe lorsqu’une entreprise a un lien contractuel avec une entreprise non membre d’une entente mais qui a augmenté ses prix en raison d’une pratique anticoncurrentielle. Les États membres doivent alors adapter leur législation afin de rendre effectif ce droit.

Les comportements violant le droit de la concurrence sont récurrents et créent des préjudices tant pour les entreprises concurrentes que pour celles qui sont clientes. Au regard de cette situation, la Cour de justice a reconnu l’existence d’un droit à réparation pour toute personne qui aurait subi un dommage du fait d’une pratique anticoncurrentielle comme une entente (TFUE, art. 101 ; CJCE 13 juill. 2006, Manfredi). Cependant les conditions relatives à l’accès à cette indemnisation n’avaient pas encore été totalement précisées, l’occasion en a été donnée à la Cour, à la suite d’une question préjudicielle posée par le juge autrichien.

L’affaire à l’origine du contentieux était singulière. En effet, la société OBB-Infrastruktur (ci-après OBB), qui demandait réparation, n’avait aucun lien contractuel avec les entreprises, membres d’une entente qui concernait l’installation et l’entretien d’ascenseurs et d’escaliers roulants. Cette pratique avait été particulièrement grave, la condamnation de l’ensemble des entreprises concernées ayant abouti à un montant de 992 millions d’euros d’amende. L’entreprise OBB avait uniquement un lien contractuel avec une entreprise non membre de l’entente auprès de laquelle elle avait commandé des ascenseurs et des tapis roulants. Toutefois, cette entreprise avait elle aussi augmenté ses prix selon le phénomène de l’effet de prix de protection, c'est-à-dire que l’entreprise, bien que fixant de manière autonome son prix sur le marché, avait suivi l’évolution des prix, s’adaptant aux nouvelles conditions de concurrence. L’entreprise OBB a considéré qu’elle avait payé trop cher ses équipements, et souhaitait, dès lors, obtenir réparation auprès des entreprises membres de l’entente.

Cette demande en réparation lui était impossible au regard du droit positif autrichien puisque celui-ci excluait toute indemnisation dans le cas d’un lien indirect entre le préjudice et l’entente.

La Cour de justice revient sur deux obligations des États membres afin de reconnaître l’existence de ce droit :

– la première obligation est que les États membres doivent sauvegarder l’effet utile des dispositions du droit de la concurrence de l’Union. Or, l’effet utile des règles en cause exige l’accès à une indemnisation en cas de préjudice lié à une entente ;

– la seconde obligation résulte du principe de l’autonomie procédurale. Si chaque État membre dispose de la compétence pour régler les modalités d’exercice d’un droit, et notamment ici d’un droit à demander une indemnisation, il doit l’organiser en respectant les principes d’équivalence et d’effectivité. Ainsi, selon le principe d’équivalence, la sauvegarde des droits tirés du droit de l’Union devant les juridictions nationales ne doit pas être moins favorable que celles concernant des recours similaires de nature interne. Selon le principe d’effectivité, la procédure nationale ne doit pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union. En l’espèce, l’Autriche viole le principe d’effectivité en écartant en toute hypothèse l’accès à une indemnisation en cas de lien de causalité indirecte entre le préjudice et l’entente, l’accès au droit étant rendu impossible.

Parallèlement, la Cour précise que la reconnaissance d’une indemnisation à la suite de l’identification d’un lien de causalité indirecte est possible même si les entreprises concernées n’en ont pas tiré de bénéfices. La Cour ajoute que le droit à réparation est autonome et qu’il n’est pas neutralisé par le programme de clémence, lequel est une procédure qui offre une immunité partielle ou totale en matière d’amendes à la première entreprise, membre d’une entente, qui collabore avec les autorités de concurrence.

CJUE 5 juin 2014, Kone AG et autres c/ OBB-Infrastruktur AG, C-557/12

Références

■ Article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à: 

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction, 

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, 

c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement, 

d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, 

e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. 

2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. 

3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables: 

— à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises, 

— à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et C 326/88 FR Journal officiel de l’Union européenne 26.10.2012— à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans: 

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, 

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence. »

■ CJCE 13 juill. 2006, ManfrediC-295/04 à 298/04.

 

Auteur :V. B.

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