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[ 24 novembre 2015 ] Imprimer

Droit des contrats et marchés publics

La reconnaissance de l’existence d’un intérêt lésé pour un sous-traitant

Mots-clefs : Marché public, Urgence, Intérêt lésé, Direct et certain, Recevabilité, Sous-traitant, Publication

Le Conseil d’État reconnaît pour la première fois à un sous-traitant la possibilité d’agir devant le juge administratif pour contester la validité d’un contrat en tant que tiers au regard de l’existence d’un intérêt lésé. Par cet arrêt, le Conseil d’État fait application de sa jurisprudence Département Tarn-et-Garonne (CE 4 avr. 2014, n° 358994) ouvrant plus largement aux tiers l’accès au juge.

Cet arrêt est une illustration de l’évolution du contentieux de la commande publique quant aux personnes recevables à agir. Le Conseil d’État a progressivement ouvert les possibilités de contester la validité d’un contrat. Si, dans un premier temps, le Conseil d’État a étendu les hypothèses de l’accès au juge pour les candidats évincés au-delà du recours précontractuel (CE 16 juill. 2007, Société Tropic travaux signalisation, n° 291545), dans un second temps, il a élargi aux tiers l’opportunité de saisir le juge, à la condition que ceux-ci soient susceptibles d’être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation ou ses clauses (CE 4 avr. 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Cette situation s’est présentée dans l’affaire en cause, le Conseil d’État ayant précisé les règles applicables à l’égard d’un sous-traitant.

A l’origine des faits, un marché public a été conclu par la région de la Réunion avec la société Nextiraone, relatif au développement du Wifi. Le contrat avait pour objet, plus précisément, la fourniture, la maintenance et les travaux d’aménagements accessoires pour la mise en œuvre d’une solution de bornes d’accès à un réseau internet gratuitement. La société Pyxise n’a pas directement participé à l’appel d’offres, elle était une entreprise sous-traitante pour un groupement dont l’offre a finalement été rejetée. La société Pyxise a décidé de contester l’attribution du marché, devant le juge des référés, en soulevant notamment le fait que les règles de publicité et de délai de réponses n’avaient pas été respectées. Conformément à l’article L 521-1 du Code de justice administrative, la société a demandé en référé la suspension de l’exécution du marché. Le juge des référés avait fait droit à la demande, la région a formé un pourvoi devant le Conseil d’État.

Avant même de se prononcer sur le moyen au fond, la question de la recevabilité de l’action se posait. En effet, la société n’était pas un concurrent évincé, mais un sous-traitant n’ayant pas directement participé à l’appel d’offres. Le Conseil d’État lui reconnaît la qualité pour agir en sa qualité de sous-traitant. Cependant, le Conseil d’État précise que cette seule qualité n’est pas suffisante, ainsi tous les sous-traitants ne sont pas par principe recevable à agir. Dans le cas présent, le Conseil d’État insiste sur le fait que l’offre du groupement reposait sur la technologie de la société Pyxise. La Haute juridiction établit ainsi un lien entre la qualité de sous-traitant et le marché en cause pour déterminer l’intérêt lésé. Dans l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne, le Conseil exigeait que l’intérêt lésé le soit de manière suffisamment directe et certaine, ce que reprend l’arrêt dans sa formulation et constate en l’espèce. Il apparaît que le caractère direct n’est pas aussi évident au regard des éléments rapportés, le sous-traitant n’ayant pas participé à l’élaboration de l’offre, seule sa technologie semble avoir servi de support. Le Conseil considère ainsi que la perte d’un client peut engendrer un intérêt qui est lésé suffisamment directement. L’ouverture du contentieux aux tiers pourrait être importante.

Sur le fond du contentieux, le Conseil d’État a une approche plus restrictive, qui intervient certes dans le cadre d'une procédure d’urgence comme le précise l’arrêt. En effet, le Conseil d’État écarte l’absence de publication au Journal officiel de l’Union européenne comme constituant un doute sérieux. Or la publication est essentielle dans le cadre de l’exigence de transparence et de mise en concurrence conformément à la jurisprudence Telaustria (CJCE 7 déc. 2000, n° C-324/98). De même, le délai de réponse n’a pas été respecté alors qu’il est nécessaire au respect du principe de l’égalité de traitement. Les violations avancées par le requérants étaient conséquentes. Elles ne sont toutefois pas appréhendées par la Haute juridiction comme des illégalités manifestes. Le juge du fond pourra retenir une autre solution, mais l’arrêt du Conseil d’État pose la question de la véritable effectivité du contrôle du juge dans les marchés publics, au-delà de l’accès à celui-ci.

CE 14 octobre 2015, Région de la Réunion contre Société Pyxise, n° 391183 

Références

■ Code de justice administrative

Article L. 521-1

■ CE 4 avr. 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2014. 764 ; ibid. 1035 ; ibid. 945, tribune S. Braconnier, ibid. 1035, chron. A. Bretonneau et J. Lessi ; D. 2014. 1179, obs. M.-C. de Montecler, note M. Gaudemet et Angélique Dizier ; RDI 2014. 344, obs. S. Braconnier ; AJCT 2014. 375, obs. S. Dyens ; ibid. 380, interview S. Hul ; ibid. 434, Pratique O. Didriche ; ibid. 2015. 32, Pratique S. Hul ; AJCA 2014. 80, obs. J.-D. Dreyfus ; RFDA 2014. 425, concl. B. Dacosta ; ibid. 438, note P. Delvolvé ; RTD com. 2014. 335, obs. G. Orsoni ; RMCUE 2015. 370, étude G. Eckert.

■ CE 16 juill. 2007, Société Tropic travaux signalisation, n° 291545, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2007. 1577, chron. F. Lenica et J. Boucher ; ibid. 1497, tribune S. Braconnier ; ibid. 1777, tribune J.-M. Woehrling ; D. 2007. 2500, note D. Capitant ; RDI 2007. 429, obs. J.-D. Dreyfus ; ibid. 2008. 42, obs. R. Noguellou ; ibid. 2009. 246, obs. R. Noguellou ; RFDA 2007. 696, concl. D. Casas ; ibid. 917, étude F. Moderne ; ibid. 923, note D. Pouyaud ; ibid. 935, étude M. Canedo-Paris ; RTD civ. 2007. 531, obs. P. Deumier ; RTD eur. 2008. 835, chron. D. Ritleng, A. Bouveresse et J.-P. Kovar.

 

■ CJCE 7 déc. 2000, Telaustria Verlags GmbH, Telefonadress GmbH, n° C-324/98, AJDA 2001. 106, note L. Richer ; ibid. 329, chron. H. Legal, C. Lambert et J.-M. Belorgey ; ibid. 329, chron. H. Legal, C. Lambert et J.-M. Belorgey ; RFDA 2011. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier.

 

Auteur :V. B.

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