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[ 7 mars 2013 ] Imprimer

Droit international privé

La reconnaissance en France des jugements étrangers : à quelles conditions ?

Mots-clefs : Décisions étrangères, Reconnaissance française, Efficacité, Exequatur, Conditions

Pour accorder l’exequatur, le juge français doit vérifier la compétence indirecte du juge étranger, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude.

L'article L. 341-4 du Code de la consommation édicte une norme dont la méconnaissance par le juge étranger n'est pas contraire à la conception française de l'ordre public international. Tel est le sens d'un arrêt rendu le 30 janvier 2013 par la première chambre civile de la Cour de cassation. En l’espèce, un Français, dirigeant d’une société de droit russe, s’était porté caution de deux prêts consentis à sa société. La société ayant été déclarée en faillite, la banque a alors assigné son dirigeant en exécution de son engagement. Le tribunal et la cour d’appel moscovites saisis firent droit à la demande de la banque, laquelle a par la suite obtenu des juges français l’exequatur des deux décisions russes. Saisie par le dirigeant caution, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle que pour accorder l'exequatur en l'absence de convention internationale contraire, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir :

– la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi ;

– la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ;

– ainsi que l'absence de fraude.

Or, contrairement à ce qu’invoquait l’auteur du pourvoi, la première chambre civile estime qu’en l’espèce, l’ordre public international de fond comme de procédure n’a pas été violé.

La question de l’efficacité des jugements étrangers en France est complexe. Elle est certes souhaitable, pour que les litiges prennent fin, et justifiée par l’autorité souveraine et le plus souvent légitime dont émane le jugement. Cela étant, cette efficacité doit pouvoir être contrôlée. Le jugement est un acte d’imperium, rendu au nom d’un État, d’où la formule exécutoire qui, en France, y est apposée, et l’ensemble des précautions prises par le droit procédural interne pour contrôler les effets attachés aux décisions de justice que sont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. On conçoit mal, dans ces conditions, que la même attention ne soit pas portée à une décision étrangère.

Outre l’intérêt privé de ceux auxquels elle fait grief, l’ordre public le commande. Partant, le droit français a subordonné l’effet en France des jugements étrangers à une procédure de contrôle dite d’exequatur : sans rejuger l’affaire au fond, la régularité du jugement, dont dépend in fine son caractère exécutoire, est vérifiée. Ses conditions ont été posées par le célèbre arrêt Munzer : la compétence du tribunal étranger saisi, la régularité de la procédure suivie devant la juridiction étrangère, la conformité de la loi appliquée à la règle de conflits française, la conformité à l’ordre public international et l’absence de toute fraude ; l’intégration par la jurisprudence ultérieure de la seconde dans le contrôle de l’ordre public (v. arrêt Bachir) puis l’abandon consacré de la troisième par l’arrêt Cornelissen réduisent aujourd’hui à trois le nombre des conditions requises.

Fondamentale, la première, liée à la compétence indirecte du juge saisi, suppose d’apprécier le bon exercice de sa compétence internationale, et non interne, dans le cas donné. Consacrant la présomption de régularité des jugements étrangers, la règle vise seulement à s’opposer à un exercice abusif de compétence. Plus précisément, cette condition sera satisfaite, comme en l’espèce, par le constat d’un lien suffisant entre le juge et le litige (v. arrêt Simitch).

Autre condition, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure est également déterminante. Dans sa première déclinaison, le respect des droits de la défense comme l’indépendance et l’impartialité du tribunal saisi sont vérifiés. Or, dans cette affaire, si le dirigeant alléguait l’impartialité et le manque d’indépendance des juges russes, il n’avait pu en rapporter la preuve. Le moyen était donc, sur ce point, infondé. Celui lié à la violation de l’ordre public de fond, seconde déclinaison de la condition précitée, l’était également. Alors que le dirigeant invoquait le bénéfice de l’article 341-4 du Code de la consommation, la Haute cour juge que la méconnaissance de cette norme par le juge étranger n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public international. L’affirmation contraire aurait, en effet, contredit le principe d’interdiction de révision des jugements étrangers.

Enfin, l’exception de l’absence de fraude, seulement rappelée ici par la Haute cour sans que cette condition fût, dans cette affaire, conteste, vise à prévenir l’application d’une loi tierce en fraude à la loi étrangère normalement applicable.

Civ. 1re, 30 janv. 2013, n°11-10.588

Références

 S. Clavel, Droit international privé, 3e éd., coll. « HyperCours », Dalloz, 2012, n°393 s.

■ B. Ancel, Y. LequetteLes grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé5e éd., Dalloz, 2006.

 Article L. 341-4 du Code de la consommation

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

 Civ. 1re, 7 janv. 1964, MunzerGADIP, no 41 ; Rev. crit. DIP 1964. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964. 302, note B. Goldman.

 Civ. 1re, 4 oct. 1967, Bachir, GADIP, no 45 ; Rev. crit. DIP 1968. 98, note P. Lagarde ; JDI 1969. 102, note B. Goldman.

 Civ. 1re, 20 févr. 2007, n°05-14.082, CornelissenRev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; JDI 1007. 1195, note F.- X. Train ; D. 2007. 1115, note S. Bollée et L. d'Avout JCP G 2007. Act. 107, note C. Bruneau

 Civ. 1re, 6 févr. 1985, Simitch, n°83-11.241, GADIP no 70 ; Rev. crit. DIP 1985. 369 ; JDI 1985. 460, note A. Huet.

 

Auteur :M. H.


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