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[ 1 décembre 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La reconnaissance mutuelle applicable aux peines de prison

Mots-clefs : Peine de prison, État d’exécution, reconnaissance mutuelle, confiance réciproque, Aménagement de peine, Effet direct, Interprétation conforme, Non rétroactivité

La réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à ce qu’une personne puisse réaliser une partie de sa peine de prison dans un État membre et l’autre partie dans un autre et notamment son État d’origine. La question est alors de savoir si les aménagements de peine découlant du second État peuvent être appliqués à la période d’exécution de la peine purgée dans le premier. La Cour précise que les modalités d’exécution applicables à la peine de prison sont celles relatives à l’État d’exécution, ce qui implique que le second État ne peut pas se substituer et retenir rétroactivement une réduction de peine sur la détention effectuée dans le premier. Cette solution garantit pleinement la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires des États membres.

Les principes de confiance réciproque et de reconnaissance mutuelle sont essentiels à la mise en œuvre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. En effet, les États membres ne peuvent accepter une pleine liberté de circulation des citoyens de l’Union européenne qu’à la condition que la lutte contre la criminalité et la sauvegarde de la sécurité soient réelles. La réalisation de cet espace exige une confiance réciproque ce qui s’impose par le respect de leurs systèmes judiciaires respectifs. La pleine mise en œuvre des condamnations pénales en est une condition évidente. C’est sous cet angle que la détermination du droit applicable aux modalités d’exécution des peines de prison est essentielle, étant donné que les conditions de réduction de peine sont différentes selon les États. Cet arrêt apporte une réponse à l’effectivité de ces principes.

En effet, le renvoi préjudiciel est la conséquence de l’emprisonnement successif au Danemark et en Bulgarie de Monsieur Ognyanov, ressortissant bulgare pour des faits de meurtre et de vol aggravé au Danemark. La détention provisoire a été exécutée au Danemark jusqu’à son transfèrement en Bulgarie pour l’exécution de la condamnation définitive. Cependant, le droit danois envisage la possibilité pour un détenu de travailler en prison sans que ceci ait une incidence sur la durée de la peine, alors que la Bulgarie reconnait la possibilité d’une réduction de peine pour tout travail réalisé en prison. La juridiction bulgare s’interroge sur la possibilité de tenir compte du travail effectué au Danemark pour calculer la durée de la peine restante.

Pour répondre au juge bulgare, la Cour de justice s’appuie sur la décision-cadre 2008/909/JAI du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne. Cette décision-cadre n’expose pas expressément une solution, la Cour opère ainsi une interprétation de cet acte au regard du contexte notamment de son article 17. Il en ressort qu’il y a une correspondance entre le droit applicable à la détention et le lieu d’exécution de la peine. Ainsi le second État n’a pas la compétence pour réduire la peine en s’appuyant sur des évènements qui se sont déroulés au cours de l’exécution de la peine dans le premier État membre. La Cour reconnait ainsi que la Bulgarie pourra aménager la peine uniquement au regard de la période de prison purgée au sein de son territoire. La Bulgarie aurait pu prendre en considération le travail effectué au Danemark uniquement si ce dernier État l’avait indiqué. Ainsi « l’État d’exécution ne saurait, de manière rétroactive, substituer son droit de l’exécution des peines (…) à celui de l’État d’émission en ce qui concerne la partie de la peine qui a déjà été effectuée (…) ». 

Parallèlement, la Cour de justice rappelle les limites à la portée juridique des décisions-cadres adoptées antérieurement à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. En effet, conformément aux dispositions de droit primaire applicables avant le 1er décembre 2009, plus spécifiquement de l’article 34, paragraphe 2 b) TUE, les décisions-cadres étaient dépourvues d’effet direct, c’est-à-dire que les particuliers ne pouvaient les invoquer devant le juge. 

Ce régime juridique a été maintenu, conformément à l’article 9 du protocole n° 36, annexé au traité de Lisbonne, y compris après le traité de Lisbonne, tant que la décision-cadre en cause n’a pas fait l’objet de modifications ou qu’elle n’a pas été abrogée ou annulée. En l’espèce, la décision-cadre 2008/909/JAI n’a pas fait l’objet de modification et ne peut être d’effet direct. La Cour insiste toutefois sur l’obligation du juge national de recourir à la technique de l’interprétation conforme afin de sauvegarder les droits des particuliers, tant que cette interprétation n’est pas contra legem ou qu’elle ne viole pas les principes généraux du droit, notamment ceux de la sécurité juridique et de non-rétroactivité. L’interprétation conforme doit également être mise en œuvre dès lors que le délai de transposition de l’acte de l’Union a expiré.

La Cour juge qu’en l’espèce aucun principe général du droit ne serait violé étant donné que l’absence de réduction de peine sur la durée de la détention au Danemark n’aurait pas pour conséquence d’aggraver sa responsabilité pénale, ni de modifier la durée de la condamnation initiale.

CJUE 8 novembre 2016, Atanas Ognyanov, n° C-554/14

Références 

■ Traité sur l’Union européenne

Article 34

« 1. Dans les domaines visés au présent titre, les États membres s’informent et se consultent mutuellement au sein du Conseil en vue de coordonner leur action. Ils instituent à cet effet une collaboration entre les services compétents de leurs administrations. 

2. Le Conseil, sous la forme et selon les procédures appropriées indiquées dans le présent titre, prend des mesures et favorise la coopération en vue de contribuer à la poursuite des objectifs de l’Union. À cet effet, il peut, statuant à l’unanimité à l’initiative de tout État membre ou de la Commission : a) arrêter des positions communes définissant l’approche de l’Union sur une question déterminée ; b) arrêter des décisions-cadres aux fins du rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres. Les décisions-cadres lient les États membres quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Elles ne peuvent entraîner d’effet direct ; c) arrêter des décisions à toute autre fin conforme aux objectifs du présent titre, à l’exclusion de tout rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres. Ces décisions sont obligatoires et ne peuvent entraîner d’effet direct; le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, arrête les mesures nécessaires pour mettre en œuvre ces décisions au niveau de l’Union ; d) établir des conventions dont il recommande l’adoption par les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives. Les États membres engagent les procédures applicables dans le délai fixé par le Conseil. Sauf dispositions contraires y figurant, ces conventions, une fois qu’elles ont été adoptées par la moitié au moins des États membres, entrent en vigueur dans les États membres qui les ont adoptées. Les mesures d’application de ces conventions sont adoptées au sein du Conseil à la majorité des deux tiers des Parties Contractantes. 

3. Pour les délibérations du Conseil qui requièrent une majorité qualifiée, les voix des membres sont affectées de la pondération prévue à l’article 205, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne ; les délibérations sont acquises si elles ont recueilli au moins soixante-deux voix, exprimant le vote favorable d’au moins dix membres. 

4. Pour les questions de procédure, les délibérations du Conseil sont acquises à la majorité des membres qui le composent. »

■ Protocole n° 36 du traité de Lisbonne

Article 9                                           

« Les effets juridiques des actes des institutions, organes et organismes de l'Union adoptés sur la base du traité sur l'Union européenne avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne sont préservés aussi longtemps que ces actes n'auront pas été abrogés, annulés ou modifiés en application des traités. Il en va de même des conventions conclues entre les États membres sur la base du traité sur l'Union européenne. »

■ Décision-cadre 2008/909/JAI du 27 novembre 2008

 

Auteur :V. B.


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