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Procédure civile
La responsabilité de l’avocat face à un revirement de jurisprudence
Mots-clefs : Avocat, Responsabilité, Revirement de jurisprudence, Droit positif, Délais (comparution, appel, opposition, recours en révision, pourvoi en cassation), Action en revendication, Avocats associés, Responsabilité solidaire
La Cour de cassation précise que les éventuels manquements de l’avocat à ses obligations professionnelles ne s’apprécient qu’au regard du droit positif existant au moment de son intervention. Aucune faute ne peut lui être imputée, pour ne pas avoir prévu une évolution postérieure du droit, consécutive à un revirement de jurisprudence. En outre, elle rappelle que l’action en responsabilité peut indifféremment être dirigée à l’encontre de la société ou de l’associé concerné.
Un avocat avait intenté une action en revendication de marchandises pour le compte d’une société étrangère. Il estima alors que l’article 643 du Code de procédure civile, qui augmente de deux mois les délais de comparution, d’appel, d’opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation pour les personnes résidant à l’étranger, s’appliquerait à sa cliente. Son analyse était alors conforme à la jurisprudence en vigueur à ce moment-là. Toutefois, l’arrêt qui statua sur la demande en revendication opéra un revirement. En effet, la Cour estima que l’article 643 du Code de procédure civile ne s’appliquait pas à l’action en revendication portée devant le juge-commissaire. L’action ayant été jugée forclose, la société étrangère engagea une action en responsabilité contre son conseil et le cabinet. La cour d’appel l’ayant débouté de sa demande, elle s’est pourvue en cassation.
L’avocat peut-il voir sa responsabilité engagée dans l’hypothèse où il n’anticipe pas un revirement de jurisprudence ?
Rappelons que l’avocat est tenu d’un devoir de conseil. Néanmoins, la jurisprudence a posé comme principe que ce dernier ne peut pas anticiper les évolutions postérieures du droit. En effet les éventuels manquements de l’avocat à ses obligations professionnelles ne s’évaluent qu’au regard du droit positif existant au moment de son intervention (Civ. 1re, 25 nov. 1997).
Toutefois, récemment, un courant jurisprudentiel plus rigoureux émergea. En effet, la première chambre civile souligna qu’elle n’attendait pas de l’avocat qu’il anticipe un « revirement » de jurisprudence ou une « évolution imprévisible de la jurisprudence », mais qu’il devait faire preuve de vigilance face aux évolutions déjà enclenchées et dont le résultat était prévisible (Civ. 1re, 5 févr. 2009). Quelques mois plus tard fut rendue une seconde décision encore plus stricte investissant l'avocat « d'un devoir de compétence » : « investi d'un devoir de compétence, l'avocat, sans que puisse lui être imputé la faute de n'avoir pas anticipé une évolution imprévisible du droit positif, se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l'extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer » (Civ. 1re, 14 mai 2009).
Dans l’arrêt ici commenté, la Cour de cassation considère que : « les éventuels manquements d’un avocat à ses obligations professionnelles ne s’apprécient qu’au regard du droit positif existant à l’époque de son intervention sans qu’on puisse lui imputer la faute de n’avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence ». Cette décision apparaît donc comme une limitation de la portée de l’arrêt du 14 mai 2009 ; la Haute cour ne fait plus aucune référence à une éventuelle prévisibilité du revirement.
En outre, la Cour de cassation confirme une position constante en précisant que chaque associé répond, sur l’ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu’il accomplit. Les associés et la société civile professionnelle sont solidairement responsables des conséquences dommageables des actes d’un associé (Civ. 1re, 1er mars 2005 ; Civ. 1re, 30 sept. 2010). Ainsi, en l’espèce, la société étrangère pouvait donc indifféremment intenter une action en responsabilité contre l’avocat ou le cabinet dont il est membre, ou encore contre les deux. Aussi, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel au visa de l’article 16 alinéas 1er et 2e de la loi du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles.
Civ. 1re, 15 déc. 2011, F-P+B+I, n°10-24.550
Références
■ Article 643 du Code de procédure civile
« Lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de :
1. Un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ;
2. Deux mois pour celles qui demeurent à l'étranger. »
■ Article 16 de la loi du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles
« Chaque associé répond sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit.
La société est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes.
La société ou les associés doivent contracter une assurance de responsabilité civile professionnelle, dans les conditions prévues par le décret particulier à chaque profession. »
■ Civ. 1re, 25 nov. 1997, RTD civ. 1998. 210, obs. N. Molfessis ; RTD civ. 1998. 367, note J. Mestre.
■ Civ. 1re, 5 févr. 2009, n° 07-20.196.
■ Civ. 1re, 14 mai 2009, n°08-15.899, Bull. civ. I, n°92 ; D. 2010. 183, note K. De la Asuncion Planes.
■ Civ. 1re, 1er mars 2005, n° 03-19.396.
■ Civ. 1re, 30 sept. 2010, n° 09-67.298.
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