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[ 22 janvier 2020 ] Imprimer

Droit administratif général

La responsabilité de l’État peut-elle être engagée du fait d’une loi inconstitutionnelle ?

La responsabilité de l’État peut être engagée en raison d’une loi déclarée contraire à la Constitution. Si des personnes ont subi des dommages (pertes financières, préjudices...) directement du fait de l’application de cette loi avant son abrogation, elles pourront en obtenir réparation en saisissant le juge administratif.

Par trois arrêts en date du 24 décembre 2019, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État vient de trancher une question nouvelle. 

Il s’agissait de savoir si des dispositions législatives relatives à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise déclarées contraires à la Constitution (Cons. const. 1er août 2013, n° 2013-336 QPC) pouvaient donner droit à la réparation de préjudices subis par diverses personnes : les sociétés Paris Clichy (n° 425981) et Paris Eiffel Suffren (n° 425983) demandaient réparation des préjudices qu'elles estimaient avoir subis du fait de l'application du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 et un requérant (n° 428162) demandait la condamnation de l'État en réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de l'absence de versement de toute prime de participation au titre des exercices allant de 1989 à 2001.

■ Principe de la responsabilité de l’État : distinction entre adoption de la loi et application de la loi

L'assemblée du contentieux distingue dans les trois arrêts du 24 décembre 2019 le principe de réparation des préjudices nés de l'adoption de la loi de celui des préjudices nés de son application.

Ainsi, la responsabilité de l’État du fait des lois, est une responsabilité « susceptible d’être engagée, d’une part, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l’adoption d’une loi à la condition que cette loi n’ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés. » 

Et, la responsabilité de l’État du fait de l’application de la loi, qui est l'innovation principale des trois arrêts du 24 décembre 2019, est présentée comme découlant « des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'application d'une loi méconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France ».

En 2007, le Conseil d’État avait déjà admis une responsabilité de l’État pour obtenir réparation des dommages subis du fait de l’application d’une loi contraire aux engagements internationaux et européens de la France (CE, ass., 8 févr. 2007, n° 279522 : «la responsabilité de l'État du fait des lois est susceptible d'être engagée (…) en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France »). 

■ Trois conditions d’engagement de la responsabilité de l’État du fait des lois anticonstitutionnelles 

·       Nécessité d’une disposition déclarée inconstitutionnelle et non-opposition du Conseil constitutionnel 

La responsabilité de l'État n'est susceptible d'être engagée du fait d'une disposition législative contraire à la Constitution que « si le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1, lors de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité, ou bien encore, sur le fondement de l'article 61, à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ». De plus, « la décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, ne s'y oppose pas, soit qu'elle l'exclue expressément, soit qu'elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu'une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause ». 

·       Preuve d’un préjudice réel et direct : « il appartient à la victime d’établir la réalité de son préjudice et l’existence d’un lien direct de causalité entre l’inconstitutionnalité de la loi et ce préjudice » ;

·       Prescription de quatre ans : « la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de l’application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime, sans qu’elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l’existence de sa créance jusqu’à l’intervention de la déclaration d’inconstitutionnalité ».

Concernant les trois affaires du 24 décembre 2019, le Conseil d'État décide qu'il n'existe pas de lien direct de causalité entre l'inconstitutionnalité des dispositions et le préjudice subi par les deux entreprises et le salarié. Leurs demandes d'indemnisation sont donc rejetées.

CE, ass., 24 déc. 2019, n° 425981

CE, ass., 24 déc. 2019, n° 425983

CE, ass., 24 déc. 2019, n° 428162

Références

■ Cons. const. 1er août 2013, n° 2013-336 QPC :  D. 2013. 1967 ; Constitutions 2013. 592, obs. C. Radé et P. Gervier ; RTD civ. 2014. 71, obs. P. Deumier

■ CE, ass., 8 févr. 2007, n° 279522 A : D. 2007. 659; ibid. 1214, chron. G. Clamour ; RFDA 2007. 361, concl. L. Derepas ; ibid. 525, note D. Pouyaud ; ibid. 789, note M. Canedo-Paris ; RTD civ. 2007. 297, obs. J.-P. Marguénaud

 

Auteur :Christelle de Gaudemont

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