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Droit de la responsabilité civile
La responsabilité des professionnels du droit n’est pas subsidiaire
Mots-clefs : Responsabilité professionnelle, Notaire, Avocat, Action, Modalités, Absence de subordination à une poursuite préalable contre un autre débiteur
Non subsidiaire, la responsabilité des professionnels du droit peut être engagée même lorsque leurs clients disposent d’actions contre des tiers dès lors que celles-ci sont consécutives à la situation dommageable qu’ils ont créée.
Professionnels du droit, le notaire et l’avocat, tous deux tenus d'assurer la validité et l'efficacité des actes de leurs clients, doivent à ce titre informer et conseiller ces derniers quant à la nature et aux conséquences des engagements auxquels ils souscrivent. La violation de cette obligation est sanctionnée par l’engagement de leur responsabilité professionnelle lorsque le préjudice invoqué par leur client présente un caractère certain sans qu'ils puissent leur opposer, pour limiter le montant de leur créance indemnitaire, l'existence de recours contre des tiers et l’éventualité de leur succès. C'est à cet aspect de la responsabilité professionnelle de ces deux rédacteurs d’actes que sont le notaire et l’avocat qu'ont trait les deux décisions rapportées.
Dans la première espèce, un particulier avait acquis, par acte notarié, deux parcelles de terrain. Par jugement devenu irrévocable, un tribunal avait ordonné son expulsion de l'une des parcelles et la démolition de la maison d'habitation qu'il y avait édifiée, le propriétaire du fonds, qui l'avait antérieurement acquis, l'ayant avec succès revendiqué. L’acheteur avait alors assigné le notaire en responsabilité et en réparation. Pour limiter la réparation due par le notaire à 10 % du préjudice subi, la cour d’appel retint que l’acheteur, évincé parce qu’il s’était abstenu de revendiquer sa qualité de constructeur de bonne foi dans le litige l'ayant opposé au propriétaire de la parcelle, avait à tort omis de soulever un moyen de défense qui lui aurait permis d'obtenir autrement l'indemnisation de son préjudice. Au visa de l’article 1382 du Code civil [devenu art. 1240], cette décision est cassée au motif que le notaire doit réparer le dommage directement causé par sa faute, quand bien même la victime aurait pu faire valoir, dans le procès engagé contre elle par un tiers en conséquence de la faute professionnelle de l'officier ministériel, d'un moyen de défense de nature à limiter son dommage.
Dans la seconde espèce, une société d’assurance avait été condamnée en première instance à payer une somme excédant le plafond de sa garantie. Après avoir interjeté appel, elle avait spontanément exécuté, sous réserve de l'issue de son recours, les causes du jugement. N’ayant finalement pu obtenir du bénéficiaire du versement qu'elle estimait partiellement indu le remboursement de l’excédent, elle reprocha à son avocat d'avoir omis d'invoquer devant les juges le plafond de sa garantie, et l’assigna en responsabilité. Pour limiter l’étendue de la réparation due par l'avocat, la cour d’appel retint que le préjudice imputable à l'avocat ne pouvait être que celui constitué par l'évaluation de la garantie telle qu’elle avait été estimée en première instance, dès lors qu'il avait été déchargé de son mandat en appel, et que le préjudice de la société résultait également de sa propre initiative de règlement des causes du jugement, ultérieurement infirmé en appel. La décision est à nouveau cassée, sur le fondement d'un moyen de pur droit relevé d'office comme l'y autorise l'article 1015 du Code de procédure civile. Ainsi, la Cour affirme-t-elle que la responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire, de sorte que la mise en jeu de la responsabilité d'un avocat n'est pas subordonnée au succès de poursuites préalables contre un autre débiteur et qu'est certain le dommage subi par sa faute, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et qui serait propre à assurer la réparation du préjudice.
Le principe du caractère non subsidiaire de la responsabilité professionnelle des rédacteurs d’actes s'applique à l’hypothèse où ces derniers sont déclarés coresponsables avec des tiers du préjudice supporté par leur client (Civ. 1re, 26 mars 1996, n° 94-12.228 ; Civ. 1re, 4 janv. 2005, n° 02-10.925). En effet, dans ce cas, le praticien est tenu in solidum avec les tiers envers son client, lequel peut lui demander la réparation intégrale de son préjudice sans poursuivre les autres débiteurs. Cependant, ce principe était écarté par la jurisprudence dans l'hypothèse où le client, victime de la faute du praticien, disposait d'une action contre un tiers lui permettant d'obtenir la réparation de son préjudice. C'était le cas notamment en matière de vente d'un immeuble qui, annulée par la suite d'une faute du praticien, faisait naître une action en restitution du prix de l'acquéreur contre le vendeur. Par exemple, la jurisprudence estimait que la restitution du prix, à la suite de la résolution de la vente du fait d'une faute du notaire, n'était pas constitutive d'un préjudice indemnisable par le notaire, faute de certitude du dommage dans la mesure où le client disposait d'un recours contre un tiers. Ce n’était que dans l’hypothèse où ce tiers se révélait être insolvable que le préjudice devenant alors certain, le notaire pouvait être condamné à en garantir le paiement (Civ. 1re, 16 mai 2013, n° 12-15.959 ; Civ. 1re, 11 mars 2014, n° 13-10.117 ; Civ. 1re, 16 mai 2012, n° 11-14.495). Cette analyse fut abandonnée par la première chambre civile en 2013 concernant les avocats (19 déc. 2013, n° 13-11.807), puis en 2015 pour les notaires (25 nov. 2015, n° 14-26.245 et n° 15-11.115), celle-ci retenant au contraire que le préjudice subi par la victime par la faute du praticien est certain même lorsque celle-ci dispose d'un recours contre un tiers et qu’en toute hypothèse, elle est autorisée à engager la responsabilité professionnelle du praticien dès lors que la procédure qu'elle met en œuvre n'est que la conséquence de la situation dommageable résultant de sa faute. Ainsi, chaque fois que le praticien a placé par sa faute son client dans une situation dommageable, il doit en supporter les conséquences préjudiciables même si la victime dispose d'actions contre des tiers, que ces derniers soient des coresponsables du dommage ou des débiteurs de créances contractuelles, de créances de remboursement de prêt ou même de créances de restitution de prix après annulation ou résolution » (P. Jourdain, RTD civ. 2005. 401).
La précision ici rappelée, chronologique, d'actions contre des tiers qui soient consécutives au dommage causé par le manquement du praticien n’est pas sans importance. En effet, il convient de faire le départ entre deux hypothèses. Si comme dans les deux espèces rapportées, les différentes procédures engagées par les victimes résultent directement de la situation dommageable créée par le praticien, alors la responsabilité professionnelle de ce dernier peut être engagée sans que son étendue puisse être limitée par l’absence de poursuite préalable d'un tiers. En revanche, dans l’hypothèse où la victime dispose de voies de droit préexistantes au manquement du praticien, elles doivent être alors prioritairement utilisées, par exemple, si la victime dispose de garanties hypothécaires antérieures à la faute de son notaire (V. sur ce point Y. Dagorne-Labre, JCP N, n° 7-8, 19 févr. 2016, 1086).
Civ. 1re, 22 sept. 2016, n° 15-13.840 et 15-20.565
Références
■ Civ. 1re, 26 mars 1996, n° 94-12.228 P, RDI 1997. 105, obs. D. Tomasin.
■ Civ. 1re, 4 janv. 2005, n° 02-10.925, RDI 2005. 91, obs. P. Dessuet.
■ Civ. 1re, 16 mai 2013, n° 12-15.959, AJDI 2013. 705.
■ Civ. 1re, 11 mars 2014, n° 13-10.117, AJDI 2014. 389.
■ Civ. 1re, 16 mai 2012, n° 11-14.495.
■ Civ. 1re, 19 déc. 2013, n° 13-11.807 P, D. 2014. 256, note Y. Avril ; AJ fam. 2014. 132, obs. A. de Guillenchmidt-Guignot ; D. avocats 2014. 69, obs. G. Royer.
■ Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 14-26.245 P, D. 2015. 2502 ; ibid. 2016. 553, chron. D. Sindres ; AJDI 2016. 288, obs. J.-P. Borel ; RTD civ. 2016. 351, obs. H. Barbier.
■ Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 15-11.115.
■ Certitude du préjudice et responsabilité notariale (suite) : la confusion s'installe, une clarification s'impose, RTD civ. 2005. 401, note P. Jourdain.
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