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Droit des personnes
La révélation de l’homosexualité d’une personnalité politique peut être justifiée par la contribution qu’elle apporte à un sujet d’intérêt général
Mots-clefs : Droit des personnes, Droits de la personnalité, Vie privée, Personne publique, Orientation sexuelle, Liberté d’expression, Conflit, Résolution, Contrôle de proportionnalité
Après avoir constaté la révélation de l’homosexualité du secrétaire général d’un parti politique et l’atteinte ainsi portée à sa vie privée, la cour d’appel, ayant retenu que l’évocation de cette orientation dans un ouvrage portant sur un sujet d’intérêt général, dès lors qu’il se rapporte à l’évolution d’un parti politique qui a montré des signes d’ouverture à l’égard des homosexuels à l’occasion de l’adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe, et ayant ainsi apprécié le rapport raisonnable de proportionnalité existant entre le but légitime poursuivi par l’auteur, libre de s’exprimer et de faire état de l’information critiquée, et la protection de la vie privée de la victime, a légalement justifié sa décision.
Deux membres d’un parti politique, l’un secrétaire général , l’autre, membre d’un conseil régional, avaient demandé au juge des référés que la publication d'un livre concernant ce parti soit subordonnée à la suppression de certains passages, relatifs à leur homosexualité et à la révélation de leur vie commune, considérés comme constitutifs d'atteinte à l'intimité de leur vie privée, sans que l'éditeur pût se prévaloir d'une justification liée aux responsabilités politiques de l'un d'entre eux.
Constatant que les intéressés n'avaient jamais communiqué sur leur vie privée, le juge des référés avait retenu que « l'objectif allégué d'analyser l'évolution des positions » du parti sur la question ne rendait pas ces révélations légitimes (TGI Paris, ord. réf., 12 déc. 2013).
Estimant la mesure ordonnée par le premier juge – l’interdiction de la diffusion à venir et la saisie du livre – « disproportionnée et contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment parce qu’il prétendait pouvoir justifier la publication par le fait qu'elle expliquerait la retenue du parti lors du débat sur le « mariage pour tous », l’éditeur avait interjeté appel de ce jugement.
Il est vrai que le manque de réaction du parti à l’occasion de ce qui fut un grand débat national avait été expliqué par différents médias par la relation homosexuelle entretenue par ces deux membres sans, toutefois, que l’identité de ces derniers eût été révélée. Surtout, la sensibilité du litige se trouvait accrue du fait que la procédure de référé engagée justifiait l’injonction de mesures objectivement attentatoires à la liberté d’expression et de publication.
En effet, rappelons que parmi les sanctions civiles susceptibles de frapper l’auteur d’une atteinte au droit au respect de la vie privée, la sanction en nature, prévue par l’article 9, alinéa 2, du Code civil peut, en cas d’urgence, être ordonnée en référé. L’hypothèse sera généralement retenue dans la mesure où la seule constatation de l’atteinte aux droits de la personne caractérise l’urgence au sens de la disposition précitée (Civ. 1re, 12 déc. 2000). Ce référé spécifique aux droits de la personnalité (V. également, à propos du référé spécifique en matière d’atteinte à la présomption d’innocence, C. civ., art. 9-1) coexiste avec les référés de droit commun (C. pr. civ., art. 808 et 809) qui permettent au président du TGI de « prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Or, il est vrai, qu’en matière d’atteinte à la vie privée, le séquestre, la saisie ou l’interdiction sont des mesures plus adaptées et efficaces pour prévenir ou faire cesser le préjudice que le versement de dommages-intérêts. Cela étant, ces mesures présentent une certaine gravité. C’est la raison pour laquelle le juge doit faire attention à ne pas porter une atteinte excessive à la liberté d’expression (V. A. Marais).
Cela permet peut-être d’expliquer que la cour d’appel de Paris, tout en reconnaissant que l'ouvrage portait gravement atteinte à des aspects les plus intimes de la vie privée des deux protagonistes, tempéra cependant l’analyse du premier juge au motif que « le droit au respect de l'intimité de la vie privée peut se heurter aux droits d'information du public » et qu'il « revient au juge de dégager un équilibre entre ces droits antagonistes », référence désormais bien connue au contrôle de proportionnalité exercé par le juge pour trancher le conflit opposant les droits de la personnalité à la liberté d’expression. Ces derniers revêtant une identique valeur normative, il reviendra au juge de trouver un équilibre entre l’intérêt de l’individu à protéger ses droits et l’intérêt du public à être informé, à l’effet de « privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime » (Civ. 1re, 9 juill. 2003).
La cour considéra en ce sens, qu’en l’espèce, « le droit du public à être informé de l'homosexualité » de l'un des deux membres du couple primait, en raison de ses responsabilités politiques, sur le « respect de ce pan de sa vie privée ». Elle releva, en revanche, pour l'autre des partenaires, qu'il ne ressortait pas que la révélation de son orientation sexuelle ait pu réellement être utile au débat pour que son intérêt personnel dût s'effacer derrière l'intérêt des lecteurs.
Seul le premier forma un pourvoi en cassation, invoquant l’absence de tout débat d’intérêt général susceptible de justifier l’atteinte portée à sa vie privée, dès lors que son orientation sexuelle ne permet pas de préjuger de sa position, et encore moins de celle de son parti, sur la question du « mariage pour tous ».
Se posait ainsi à la Cour de cassation la question de la détermination de l'étendue de la vie privée d’une personne publique et de la conciliation de son respect avec la liberté d'expression dès lors que son mode de vie pourrait influencer les positions du parti politique dont elle est membre.
La Cour juge, en l’espèce, la révélation légitime par la contribution qu’elle apporte à « un sujet d’intérêt général », le mariage homosexuel, en ce qu’elle permet d’expliquer les « signes d’ouverture » à son endroit exprimés par le parti.
La position de la Cour n’est pas en soi très surprenante, celle-ci admettant depuis longtemps, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 24 juin 2004, Van Hannover c/ Allemagne), que la contribution de l’information à un débat d’intérêt général puisse justifier des atteintes portées à la vie privée (Civ. 1re, 24 oct. 2006), à la condition qu’un lien direct entre la publication et le débat d’intérêt général existe.
Civ. 1re, 9 avr. 2015, n° 14-14.146
Références
■ Code civil
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
« Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
■ Code de procédure civile
« Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. »
« Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
« Liberté d’expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des 12 13
mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ TGI Paris, ord. réf., 12 déc. 2013, n° 13/59428.
■ Civ. 1re, 12 déc. 2000, n° 98-21.161, RTD civ. 2001. 329, note J. Hauser ; D. 2001. 2434, note J.-C. Saint-Pau.
■ Civ. 1re, 9 juill. 2003, n° 00-20.289, Bull. civ. I, n° 172 ; RTD civ. 2003. 680, note J. Hauser ; D. 2004. 1633, obs. Ch. Caron.
■ CEDH 24 juin 2004, Van Hannover c/ Allemagne, aff. n° 59320/00, RTD civ. 2004. 802, note J.-P. Marguénaud ; D. 2004. 2538, obs. J.-F. Renuci ; ibid. 2005. 340, note J.-L. Halpérin.
■ Civ. 1re, 24 oct. 2006, n° 04-16.706, Bull. civ. I, n° 437.
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