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Droit du travail - relations individuelles
La rupture anticipée du CDD: petite leçon de vocabulaire !
L’arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2020 invite à revenir sur les différents moyens offerts au salarié pour obtenir la rupture avant terme d’un CDD. Si le salarié peut invoquer une rupture anticipée pour faute grave de l’employeur ou déposer une demande de résiliation judiciaire, en revanche, la prise d’acte de rupture ne lui est pas ouverte.
Un joueur de volley-ball est recruté sous CDD de mai 2011 à juin 2014. Toutefois, le 21 mars 2013, il saisit la juridiction prud’homale de demandes en résiliation de son contrat aux torts de l’employeur. Le 17 mai 2013, il signe un contrat de travail avec un autre club professionnel et le 27 mai il notifie à son employeur sa volonté de rompre le contrat. Les juges du fond vont estimer la demande de résiliation judiciaire sans objet et examiner les reproches émis par le salarié à l’encontre de son employeur. Ils qualifient l’attitude du salarié de « prise d’acte » et jugent que l’employeur a commis une faute grave justifiant la rupture à ses torts. Le pourvoi de l’employeur se décompose en deux branches. D’une part, la rupture étant actée dès le 17 mai, date de signature d’un contrat avec un autre club, la « prise d’acte » ultérieure ne devait pas être examinée. D’autre part, la rupture du 17 mai n’était pas motivée, c’est le salarié qui aurait commis un manquement grave à ses obligations en démissionnant. Le pourvoi est rejeté. L’arrêt offre l’occasion de rappeler les différentes catégories de rupture anticipée à l’initiative du salarié et le vocabulaire adéquat qui y est associé. Ni la « démission » ni « la prise d’acte » ne sont ouvertes au salarié sous CDD.
■ La manifestation d’une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat
Les articles L. 1243-1 et suivants du Code du travail prévoient une liste limitative de cause permettant la rupture anticipée d’un CDD. Outre l’accord des parties et la force majeure, le salarié peut invoquer la faute grave de l’employeur ou la signature d’un CDI avec un autre employeur. En outre, depuis longtemps, la chambre sociale admet la demande de résiliation judiciaire du contrat, exigeant toutefois la démonstration d’une faute grave (Soc. 14 janv. 2004, n° 01-40.489). La résiliation impliquant d’attendre une décision judiciaire, il arrive fréquemment qu’un autre mode de rupture soit mis en œuvre avant que le juge ne statue et il faut alors résoudre le concours. En l’espèce, l’employeur prétendait que le salarié avait « démissionné ». L’expression est certes inadéquate car la démission ne concerne que la rupture d’un CDI, non d’un CDD. Reste que l’argument de l’employeur était simple : en s’engageant auprès d’un autre employeur, le salarié avait rompu unilatéralement son contrat le 17 mai. La rupture était donc définitive et les autres causes éventuelles de rupture n’avaient pas à être examinées. L’argument est écarté. Prenant soin de ne pas utiliser le terme de « démission », la Cour de cassation utilise toutefois un vocabulaire qui s’en rapproche. L’engagement auprès du nouvel employeur « ne pouvait être considéré comme la manifestation par le salarié d’une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail ». On retrouve non seulement les termes employés pour définir une démission sous CDI mais également les critères de sa qualification : une démission doit être indépendante de tout différent survenu avec l’employeur. (Soc. 9 mai 2007, n° 05-40.315, 05-40.518, 05-41.325 et 05-42.301). En l’espèce la volonté était équivoque car le salarié avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire avant de s’engager auprès du nouveau club. Le salarié reprochait bien des manquements à son employeur, excluant une volonté libre de rompre. A ce stade, la rupture n’était donc pas actée et la demande de résiliation judiciaire conservait son objet.
■ La rupture anticipée du contrat pour faute grave
Le 27 mai, le salarié avait envoyé un courrier à son employeur lui notifiant sa volonté de rompre mais en faisant état de différents reproches. En effet, il était prévu par avenant qu’il devait désormais assumer des fonctions d’entraineur mais son employeur ne l’avait pas mis en mesure de bénéficier de la formation spécifique promise. Les juges du fond utilisent l’expression « prise d’acte de rupture » pour désigner cette lettre et estiment que le manquement imputé à l’employeur caractérise une faute grave. Selon la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, la prise d’acte en matière de CDI permet au salarié de rompre le contrat aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail (Soc. 26 mars 2014, n° 12-23.634). En l’espèce, la Cour régulatrice relève toutefois que s’agissant d’un CDD, l’expression « prise d’acte » est impropre mais elle approuve les juges du fond de s’être placé sur le terrain de l’article L. 1243-1 du Code du travail. Les juges ayant relevé une faute grave de l’employeur, ils pouvaient accorder au salarié différentes sommes au titre de la rupture du contrat. Là encore, les faits révélant une « faute grave », permettant de rompre un CDD, ou « une faute suffisamment grave », pour justifier une prise d’acte de rupture d’un CDI sont très proches. La décision de la Cour de cassation répond pourtant clairement aux interrogations doctrinales : la prise d’acte de rupture ne concerne que les CDI (Auzero, Baugard, Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, n° 405, p. 515). On notera que « le code du travail numérique » mériterait d’être très rapidement mis à jour puisqu’il indique que « tout salarié en CDI ou en CDD peut « prendre acte de la rupture » de son contrat.
Soc. 3 juin 2020, n° 18-13.628
Références
■ Soc. 14 janv. 2004, n° 01-40.489 P : D. 2004. 1473, note J. Mouly ; Dr. soc. 2004. 306, obs. C. Radé
■ Soc. 9 mai 2007, n° 05-40.315 P, 05-40.518 P, 05-41.325 P et 05-42.301 P : D. 2007. 3033, obs. E. Dockès, F. Fouvet, C. Géniaut et A. Jeammaud ; RDT 2007, 452, obs. Auzero
■ Soc. 26 mars 2014, n° 12-23.634 P : D. 2014. 830 ; ibid. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2014. 397, tribune J.-E. Ray ; ibid. 821, étude J. Mouly
■ Pour aller plus loin : D. Baugard, La prise d’acte de la rupture du CDD, Les cahiers sociaux, n° 274, p. 292.
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