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[ 12 mai 2023 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La Russie condamnée à verser une satisfaction équitable au titre du conflit russo-géorgien

La Cour européenne des droits de l’homme condamne la Fédération de Russie à verser une satisfaction équitable, à hauteur de 129 827 500 euros, destinée à indemniser les victimes de violation des droits de l’homme dans le cadre du conflit russo-géorgien de 2008.

CEDH, gr. ch., 23 avril 2023, Géorgie c/ Russie (II), req. n° 38263/08

L’arrêt porte sur le conflit ayant opposé, en août 2008, la Géorgie, la Russie, et la province séparatiste d’Ossétie du Sud. Notons que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a examiné le fond de l’affaire par un arrêt de Grande Chambre du 21 janvier 2021 (CEDH, gr. ch., Géorgie c/ Russie (II), req. n° 38263/08). La Cour a retenu, entre autres, les qualifications de « pratique administrative contraire aux articles […] de la Convention », « meurtres de civils », « détention arbitraire de civils », « actes de torture », et à « l’impossibilité pour les ressortissants géorgiens de retourner dans leurs foyers » (pt. 2). En conséquence, de multiples violations de la Convention incluant notamment l’article 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains), 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) ont été relevées. Par la suite de l’arrêt au principal du 21 janvier, la Géorgie a introduit une requête de satisfaction équitable.

■ Satisfaction équitable. La satisfaction équitable est un mécanisme indemnitaire, prévu par l’article 41 de la Convention. Notons que la satisfaction équitable n’est employée que si le droit interne de l’Etat en cause ne permet de réparer que partiellement la violation. Bien que la plupart des requêtes de satisfaction équitable émanent de particuliers, un Etat peut également introduire une requête contre un autre Etat partie à la Convention. Il s’agit alors d’une demande de satisfaction équitable interétatique, dont le premier exemple est l’arrêt Chypre c/ Turquie (CEDH, gr. ch., 12 mai 2014, Chypre c/ Turquie, req. n° 25781/94). En l’espèce, la Géorgie demande l’octroi d’une indemnité au profit de ses ressortissants, victimes identifiées des violations susmentionnées.

La demande a été transmise à la Russie, Etat défendeur, invitée à présenter ses observations. Rappelons que, à la suite du conflit russo-ukrainien de 2022, le Comité des Ministres a adopté une résolution excluant la Russie du Conseil de l’Europe (CM/Res(2022)2). La fonction de juge au titre de la Russie a cessé d’exister à partir du 16 septembre 2022. Afin d’examiner les affaires pendantes, le Conseil de l’Europe a envisagé de désigner un juge ad hoc au titre de la Fédération de Russie. Le gouvernement russe, invité à faire part de ses commentaires, s’est abstenu de répondre concernant tant la demande de satisfaction équitable que la désignation d’un juge (pt. 9). Un juge ad hoc a finalement été désigné par le président de la Grande Chambre. L’exclusion de la Russie pourrait soulever des interrogations quant aux obligations qui lui incombent, et à la compétence de la CEDH.

■ Compétence de la Cour. La Cour constate que l’Etat défendeur a cessé d’être partie à la Convention (pt. 19). Néanmoins, au titre de l’article 58 de la Convention, « un Etat qui cesserait d’être partie à la Convention […] n’est pas délié des obligations contenues dans la Convention en ce qui concerne tout fait que cet Etat aurait accompli antérieurement à la date à laquelle il n’est plus partie à la Convention. » (pt. 21). De surcroît, « la cessation de la qualité de membre du Conseil de l’Europe d’une Partie contractante ne délie pas celle-ci de son obligation de coopérer avec les organes de la Convention » aussi longtemps que la Cour reste compétente (pt. 27). La Convention continue donc de s’appliquer à la Russie pour les faits antérieurs à son exclusion, tels que ceux de l’affaire (pt. 23). La Cour de Strasbourg estime également que le défaut de coopération de l’Etat défendeur « ne constitue pas […] une raison d’interrompre l’examen ». L’absence de réponse peut s’analyser « en une renonciation, [par le gouvernement défendeur]à son droit de participer à la procédure. » (pt. 26).

■ Méthodologie. Il existe une méthodologie propre aux demandes de satisfaction équitable interétatiques. L’examen est effectué au cas par cas en tenant compte du type de grief, de la possibilité d’identification des victimes, et de l’objectif de l’introduction de la procédure (pt. 32 ; v. aussi. CEDH, gr. ch., 12 mai 2014, Chypre c/ Turquie, req. n° 25781/94, préc, pt. 43). « Le point essentiel de cette analyse » se décline en trois éléments. Les demandes doivent porter sur des violations des droits prévus par la Convention. Elles doivent concerner des groupes de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiables ». Enfin, les allégations factuelles du gouvernement requérant doivent être plausibles et suffisamment étayées (ibid). Quant à l’appréciation de la preuve, la Cour de Strasbourg retient le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (pt. 26). Une telle approche confirme la jurisprudence antérieure de la Cour (v. CEDH, gr ch., 31 janv. 2019, Géorgie c/ Russie (I), req. n° 13255/07, pts. 73, 93 et s.).

La CEDH décide l’octroi d’une satisfaction équitable au gouvernement requérant d’un montant total de 129 827 500 euros. Le montant doit être versé dans les trois mois, et sera, à défaut, majoré d’intérêts. Il incombera à la Géorgie de distribuer ces montants aux victimes sous la supervision du Comité des Ministres.

 

Auteur :Egehan Nalbant


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