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Procédure civile
La saisine du juge d’appel limitée aux prétentions mentionnées au dispositif des conclusions
Viole l’article 954 du Code de procédure civile la cour d’appel qui prononce la nullité d’un contrat de bail qui n’était pas sollicitée dans le dispositif des conclusions de l’appelant.
Par un arrêt de cassation en date du 5 avril 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue rappeler une solution bien établie concernant l’application de l’article 954 du Code de procédure civile.
En 2004, un particulier et une société signent un bail commercial. Huit ans plus tard, le bailleur délivre à la société locataire un commandement de payer un solde de loyers indexés. Le preneur à bail assigne alors le bailleur en nullité de la clause de révision du loyer et du commandement de payer. Celui-ci est débouté de ses demandes par la cour d’appel de Douai qui, par un arrêt du 24 novembre 2016, déclare nul le bail conclu entre les parties.
La société se pourvoit alors en cassation. Elle fait valoir, dans la première branche de son moyen, que la nullité du bail n’était pas sollicitée par le bailleur dans le dispositif de ses dernières conclusions. La cour d’appel, en déclarant nul le bail, aurait alors méconnu l’article 954 du Code de procédure civile qui, dans sa rédaction applicable à la cause, disposait aux termes de son deuxième alinéa que « Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. ». Rappelant cette disposition dans un attendu de principe, les juges de cassation suivent l’argumentation développée par la société locataire et constatent la violation de l’article précité : l’arrêt rendu par la cour d’appel est cassé et annulé.
● Les parties tenues de structurer leurs conclusions. L’article 954 du Code de procédure civile indique aux parties la manière dont doivent être rédigées leurs conclusions devant la cour d’appel dans les procédures avec représentation obligatoire. Il convient tout d’abord que celles-ci soient qualificatives : les prétentions formulées par les parties doivent non seulement être fondées en fait, mais aussi être motivées en droit. Ensuite, il faut qu’elles soient récapitulatives : les parties doivent, dans leurs dernières conclusions, reprendre l’ensemble des prétentions qu’elles souhaitent soumettre au juge d’appel afin qu’elles ne soient pas considérées comme abandonnées. Enfin, elles doivent être structurées. En effet, le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 a introduit à l’article 954 une nouvelle exigence applicable aux appels formés depuis le 1er janvier 2011 : les prétentions des parties doivent être récapitulées sous forme de dispositif, étant précisé que la cour statue sur ces seules prétentions.
● Vertus du formalisme. En évitant la dissémination des moyens et prétentions tout au long des conclusions, ce formalisme imposé aux parties facilite tant le travail de leurs conseils que celui des magistrats. Ceux-ci n’auront à rechercher les prétentions soumises à la cour ni dans les conclusions déposées antérieurement, ni en dehors du dispositif des dernières conclusions. Le risque d’oublier de répondre sur certains points paraît alors s’éloigner. Aussi ces exigences formelles apportent-elles une première réponse aux inconvénients majeurs que présentaient des écritures inorganisées « au regard du principe de contradiction, de sécurité juridique et en considération de la qualité de la justice », ainsi que l’avait relevé le rapport Magendie II qui a inspiré la réforme de décembre 2009 (J.-C. Magendie, Célérité et qualité de la justice devant la cour d’appel, Rapport au garde des sceaux, 24 mai 2008, p. 65.).
● Le non-respect du formalisme sanctionné. La méconnaissance par les parties de cette obligation de récapituler leurs prétentions sous forme de dispositif est sanctionnée. Le plaideur négligent ne peut en effet reprocher au juge d’avoir statué infra petita – c’est-à-dire de ne pas avoir répondu à l’intégralité des demandes qui lui étaient soumises – et le saisir d’une requête en omission de statuer prévue par l’article 463 du Code de procédure civile : dès lors que la prétention ne figure pas au dispositif des dernières conclusions, le juge n’est nullement tenu d’y répondre (V. par ex. Civ. 2e, 5 déc. 2013, n° 12-23.611 ; Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-11.957; Civ. 1re, 22 oct. 2014, n° 13-24-911 : « c’est à juste titre et hors toute dénaturation que la cour d’appel n’a pas statué sur la prétention de M. X. […] dès lors que celle-ci n’était pas énoncée dans le dispositif de ses conclusions, peu important qu’elle figurât dans les motifs ».).
● Le juge tenu par le formalisme des conclusions. Plus encore – et cet arrêt n’est pas le premier à l’indiquer (V. par ex. Civ. 2e, 26 juin 2014, n° 13-20.393; Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-24.898 ; comp. Civ. 3e, 15 févr. 2018, n° 16-26.058 : G. Guerlin, « Conclusions des parties : attention à bien présenter les demandes… et les moyens ! », LEDC, avr. 2018, p. 7 : l’auteur remarque que la Cour de cassation semble parfois aller au-delà de la lettre de l’article 954 en censurant la cour d’appel qui avait fait droit à la prétention d’un plaideur en se fondant sur un moyen de droit énoncé dans la discussion mais non repris au dispositif des conclusions, ce qui traduirait l’exigence que soient récapitulés au dispositif des conclusions, non seulement les prétentions des parties, mais également les moyens de droit.) – le juge est tenu de ne pas statuer sur des prétentions ne figurant pas au dispositif. Obligation positive sanctionnée pour les parties dont les demandes mal placées ne seront pas examinées, ce formalisme crée donc aussi une obligation négative à l’égard du juge d’appel, tenu de s’abstenir de répondre à une prétention non formulée au dispositif des dernières conclusions. C’est cette obligation qu’avait méconnue la cour d’appel de Douai en l’espèce, en prononçant la nullité du contrat de bail alors qu’elle n’avait pas été sollicitée par le bailleur dans le dispositif de ses conclusions. La cassation devait donc être prononcée pour violation de l’article 954 du Code de procédure civile.
● Une exigence aujourd’hui renforcée en appel et étendue à la procédure devant le TGI. Cette exigence de structuration des écritures devant la cour d’appel a été encore accentuée par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 puisque le nouvel alinéa 2 de l’article 954 indique désormais le plan-type que doivent suivre les conclusions : depuis le 1er septembre 2017, les conclusions doivent présenter distinctement, outre le dispositif récapitulant les prétentions, un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, ainsi qu’une discussion des prétentions et des moyens. Renforcée en appel, cette exigence de structuration a été étendue à la procédure devant le TGI par un second décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 : le même formalisme s’impose désormais aux plaideurs devant ces juridictions en vertu du nouvel article 753 du Code de procédure civile (V. notam. C. Bléry, « Justice du 21e siècle : les procédures TGI et TI retouchées », Dalloz actualité, 18 mai 2017).
Civ. 3e, 5 avr. 2018, n° 17-10.934
Références
■ Civ. 2e, 5 déc. 2013, n° 12-23.611 P : D. 2014. 571, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, H. Adida-Canac, E. de Leiris, T. Vasseur et R. Salomon ; ibid. 795, obs. N. Fricero; Dalloz actualité, 17 déc. 2013, obs. M. Kebir.
■ Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-11.957 P.
■ Civ. 1re, 22 oct. 2014, n° 13-24-911 : D. 2015. 287, obs. N. Fricero.
■ Civ. 2e, 26 juin 2014, n° 13-20.393 P : Dalloz actualité, 22 juill. 2014, obs. M. Kébir.
■ Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-24.898 : D. 2015. 287, obs. N. Fricero.
■ Civ. 3e, 15 févr. 2018, n° 16-26.058: AJDI 2018. 347, obs. P. Haas.
■ Pour aller plus loin, s’agissant des évolutions de la procédure d’appel, V. notam. N. Fricero, « L’appel nouveau est arrivé ! », Dalloz actualité, 12 mai 2017 ; E. Mulon, « Les nouvelles règles de la procédure d'appel », AJ fam. 2018. 202 ; P. Giraud, « La réforme de la procédure d’appel : espoir pour le juge, crainte pour les parties », RLDC, 2018, janv. 2018, n° 155, p. 28.
■ Pour approfondir, V. I. Delorme-Muniglia, « Le nouveau formalisme des conclusions en appel », RLDC, janv. 2018, n° 155, p. 44.
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