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[ 20 février 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

La solidarité commerciale suppose une pluralité de débiteurs

Doit être cassé l'arrêt qui, au nom de la solidarité commerciale, condamne quatre cédants à verser une certaine somme à deux cessionnaires « pris ensemble » au titre d'une garantie de passif prévue dans chacun des cinq actes de cession, alors que l'un des cessionnaires n'avait acquis ses parts que de l'un des cédants, de sorte que la solidarité dont bénéficiait le second envers celui-ci et les trois autres pour avoir acquis des parts auprès de chacun d'eux ne pouvait produire d'effet à son égard.

Com. 24 janv. 2024, n° 20-13.755

Le 30 août 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelait toute la rigueur de la solidarité commerciale en approuvant une cour d’appel d’avoir condamné le cédant d’une seule part sociale sur les 3.000 parts objets de la cession à restituer l’acompte de prix global de la cession reçu par les cédants (Com. 30 août 2023, n° 22-10.466). Autrement dit, le cédant avait eu beau ne céder qu’une seule part, il fut obligé de restituer le prix de l’intégralité des parts cédées. La solution avait de quoi surprendre, mais elle était justifiée par le principe de la solidarité passive, présumée en matière commerciale. Rappelons que sa mise en œuvre permet au créancier d’exiger de n’importe quel codébiteur d’une même dette le paiement de l’intégralité de celle-ci. Concrètement, en présence d’une obligation de 100 pesant sur A, B et C, la solidarité permet au créancier d’exiger de A, seul débiteur solvable, de lui payer 100, et non de diviser ses poursuites entre les codébiteurs et de ne demander qu’un tiers de la dette à chacun. Dans l’intérêt du créancier, cette solidarité est, en matière commerciale, présumée (contra, en droit civil, C. civ., art. 1310 nouv. ; 1202 anc.). Or dans l’affaire rendue l’été dernier, la commercialité de la cession de contrôle d’une société commerciale ayant été caractérisée, et en l’absence de clause contraire stipulée par les parties, la présomption de solidarité devait trouver à s’appliquer, peu important que le codébiteur condamné à paiement n’ait cédé qu’une seule part : il devait néanmoins, par solidarité, procéder au paiement à la place de tous les autres. Rigoureuse, cette règle de la solidarité commerciale suppose quelques précisions quant à son application. D’une part, les parties peuvent écarter celle-ci par une clause contraire. Et même avant cela, encore faut-il, d’autre part, être en présence d’une pluralité de débiteurs tenus à la même dette. L’arrêt rapporté souligne utilement cette condition pour écarter, en l’espèce, le jeu de la solidarité passive.

Au cas d’espèce, quatre personnes A, B, C et D cédaient le même jour à une société par quatre actes distincts 99% du capital social d’une SARL. Un cinquième acte conclu le même jour stipulait que A cédait le dernier pourcent restant au dirigeant de la société cessionnaire. Par ailleurs, chaque acte de cession prévoyait une garantie de passif, c’est-à-dire que les cédants garantissaient aux cessionnaires que la société n’avait pas d’autres dettes que celles identifiées au jour de la cession. Après la mise en œuvre de la garantie de passif, la cour d’appel saisie du litige condamna solidairement les cédants à verser une certaine somme à la société cessionnaire et à son dirigeant « pris ensemble », aux motifs que le caractère commercial de l'opération était indiscutable et donc la solidarité présumée. L’arrêt est cassé pour violation de l’ancien article 1202 du Code civil, qui fondait alors la solidarité, dès lors que le dirigeant de la société cessionnaire n’avait acquis de parts sociales que d’un seul des cédants, de sorte que la solidarité dont bénéficie la société envers l'ensemble des cédants ne peut produire d'effet à son égard. En relevant d’office cet argument, la Cour signifie que le cessionnaire personne physique (le dirigeant social) n’avait pas plusieurs codébiteurs en face de lui (A, B, C et D), puisqu’il n’avait acquis ses parts que d’un seul des cédants, A. Ce cessionnaire n’avait de relations juridiques qu’avec A. En l’absence d’une pluralité de débiteurs, la solidarité se trouvait ainsi exclue. La présomption de solidarité est donc ici écartée alors que dans l’arrêt précité du 30 août dernier, elle était justifiée par le fait que les cédants avaient cédé leurs parts ensemble, pour un prix global, et qu’une seule et même obligation de restitution du prix pesait sur eux. Raison pour laquelle ces deux arrêts, loin de se contredire, se complètent utilement : le jeu de la solidarité commerciale suppose la présence de véritables codébiteurs, soit plusieurs personnes tenues à la même dette (quelles que soient en revanche leurs parts respectives), ce qui n’était pas en l’espèce le cas pour l’un des cessionnaires. Dans cette mesure, il est à noter que la solution aurait été très probablement identique si les différentes cessions effectuées l’avaient été formellement au sein d’un acte unique. Si un acte unique indique que A, B, C et D cèdent 99% des parts à X et que A cède 1% des parts à Y, Y n’a qu’un seul cocontractant et la solidarité ne saurait davantage jouer.

Dont acte : la rigueur attachée à la présomption de solidarité commerciale se voit ainsi tempérée, puisque sa mise en œuvre doit être tout bonnement écartée entre les cédants en l’absence d’une dette pesant sur plusieurs personnes.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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