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[ 12 mai 2021 ] Imprimer

Droit immobilier

La solidarité ne dure qu’un temps…

La solidarité du colocataire qui a donné congé s'éteint au plus tard à l’expiration d’un délai de six mois après la date d’effet du congé. Le colocataire solidaire sortant ne saurait donc être tenu au paiement d’une somme couvrant la remise en état des lieux dès lors que cette créance est née après l’extinction de son obligation, au moment où la période de solidarité avait déjà cessé. En outre, le dépôt de garantie ayant notamment pour objet de garantir le paiement du loyer, la demande de déduction du dépôt de garantie des sommes dues au titre de la dette locative doit en conséquence être accueillie.

Civ. 3e, 8 avr. 2021, n° 19-23.343

Un propriétaire avait conclu un bail d’habitation avec un couple de concubins. Les copreneurs solidaires ayant mis un terme à leur relation en cours de bail, l’un d’entre eux avait délivré congé avant que le second n’en fasse de même, quelques mois plus tard. Au départ de ce dernier, un état des lieux de sortie avait été dressé laissant apparaître des dégradations. Ayant au surplus rencontré des difficultés pour recouvrer certaines créances locatives, le bailleur avait assigné les deux colocataires en paiement, non seulement des réparations locatives, mais également d’un arriéré de loyers et de charges.

La cour d’appel condamna la copreneuse au versement d’une somme de plusieurs milliers d’euros. Ayant quitté les lieux la première, celle-ci contesta devant la Cour de cassation d’être redevable de quelque somme que ce soit. 

L’arrêt apporte des précisions intéressantes à deux égards.

■ Concernant l’extinction de la solidarité du colocataire

Au sens de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la colocation s’entend de la location d’un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale, et formalisée par la conclusion d’un contrat unique ou de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur. En toute hypothèse, la colocation est régie par un principe de solidarité des dettes locatives, notamment au stade de leur contribution. Cependant, deux hypothèses sont à distinguer quant au régime de la solidarité opposable au colocataire quittant les lieux en cours de bail, qui dépendra en fait de l’arrivée concomitante ou non d’un nouveau colocataire. 

En effet, selon l’article 8-1, VI, de la loi de 1989, si le colocataire sortant est remplacé par un nouveau colocataire figurant au bail, la solidarité du sortant prend fin à la date d’effet du congé régulièrement délivré, qui le délivrera précisément de tout engagement. À défaut de nouveau colocataire, elle s'éteindra au plus tard à l’expiration d’un délai de six mois après la date d’effet du congé, en sorte que l’ancien colocataire restera solidaire, sauf clause contractuelle abrégeant ce délai, au moins jusqu’à l’écoulement de ce délai de six mois (comp. le régime de la solidarité opposable aux époux ou aux partenaires liés par un PACS, respectivement, des art. 220 et 515-4 C. civ). Il en résulte que la solidarité du copreneur sortant prend fin pour les dettes nées à compter de cette date.

Or la cour d’appel avait condamné la preneuse à payer une certaine somme arrêtée au jour de l’établissement de l’état des lieux au motif que cette somme correspondait à un prorata au jour où s’était achevée sa solidarité, du montant total, suffisamment justifié par un tableau récapitulatif de régularisation des charges et des devis des travaux de remise en état, et que l’état des lieux de sortie en présence de son ex-compagnon justifiait de mettre à sa charge la remise en état des désordres correspondant aux devis produits.

Le demandeur au pourvoi faisait alors valoir « que ne peuvent être mis à la charge du colocataire qui a donné congé la réparation de dégradations dont il n’est pas constaté qu’elles sont survenues avant la fin de la période de solidarité ». En l’occurrence, le délai de solidarité (de six mois à compter de la date d’effet du congé) était expiré au jour de l’état des lieux de sortie.

L’argument est accueilli par la Haute juridiction qui relève que « la créance du bailleur au titre de la remise en état des lieux était née après l'expiration de l’obligation solidaire ».

En pratique, la solution s’explique certainement par la reddition de comptes effectuée à la sortie d’un colocataire (se montrant favorable à l’établissement d’un état des lieux intermédiaire, v. égal. A. Fontin, Veille permanente, Éditions Législatives, 15 avr. 2021). Cette solution présente toutefois certaines limites, notamment quant à la question de la contribution aux charges conditionnée, dans les immeubles collectifs, à l’arrêté des comptes définitif.

Cet arrêt apporte un autre enseignement en ce qu’il affirme expressément que le dépôt de garantie a notamment pour objet de garantir le paiement du loyer.

■ Concernant l’objet du dépôt de garantie

Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation énonce en effet clairement cette solution au demeurant logique et prévue par les textes : selon l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est obligé de payer le loyer et les charges exigibles aux termes convenus ; et selon l’article 22 alinéa 1er de cette même loi, un dépôt de garantie, lorsqu’il est versé, a pour but de « garantir l'exécution de ses obligations locatives par le locataire ».

Or, comme le faisait remarquer le demandeur au pourvoi, s’acquitter du loyer constitue la première et principale obligation locative du preneur.

La Haute juridiction censure alors l’arrêt qui, pour condamner la preneuse à payer au bailleur une certaine somme au titre d’un arriéré de loyers et charges, avait retenu que le dépôt de garantie n’avait pas vocation à couvrir des échéances de loyer.

Il faut néanmoins rappeler que le locataire ne peut s’abstenir de régler les derniers termes de loyers en décidant unilatéralement de les imputer sur le dépôt de garantie, lequel a vocation à lui être restitué, le loyer restant dû jusqu'à la date d'effet du congé (Civ. 3e, 5 oct. 1999, n° 98-10.162).

Inversement, on rappellera que la Cour de cassation avait eu l’occasion de censurer le jugement ayant admis la déduction, du dépôt de garantie, d’une somme équivalant à un mois de loyer au titre de l’occupation postérieure, par le locataire, à l’expiration du bail (Civ. 3e, 28 sept. 2004, n° 03-14.870). Cette solution reste en parfaite cohérence avec celle énoncée par le présent arrêt en date du 8 avril 2021, puisque le bail étant expiré, il ne pouvait alors plus s’agir du paiement d’un loyer susceptible d’être couvert par le dépôt de garantie.

Références : 

■ Civ. 3e, 5 oct. 1999, n° 98-10.162AJDI 1999. 1164

■ Civ. 3e, 28 sept. 2004, n° 03-14.870AJDI 2005. 307, obs. V. Zalewski

 

Auteur :Merryl Hervieu

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