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Droit des obligations
La théorie des vices du consentement à l’épreuve de la constructibilité du bien vendu
Mots-clefs : Droit des contrats, Vices du consentement, Erreur, Dol, Violence, Violence économique, Vente immobilière
En l’absence de preuve des pressions exercées sur la venderesse, dont la situation de faiblesse ne pouvait davantage être démontrée, et à défaut de pouvoir considérer que l’erreur sur la constructibilité des biens vendus fut provoquée ou excusable, la demande d’annulation du contrat de vente fondée sur une violence, un dol ou une erreur sur la substance, ne peut être accueillie.
La décision rapportée présente l’intérêt de réunir les trois vices du consentement, généralement dissociés, prévus par le Code civil : l’erreur, le dol, et la violence.
Une femme, psychologiquement fragile, avait vendu plusieurs terrains à une société de promotion immobilière. Quelques mois plus tard, elle avait assigné celle-ci en nullité de la vente en fondant sa demande à la fois sur la violence économique, sur l’erreur sur les qualités substantielles de la chose et, enfin, sur le dol par réticence.
Pour rejeter sa demande, la cour d’appel écarta, tout d’abord, le vice de violence, en l’absence d’altération des facultés mentales susceptible de faire obstacle à la liberté de son consentement et en jugeant insuffisante à caractériser un état de faiblesse économique la circonstance, invoquée par l’appelante, liée à l’existence d’une dette fiscale.
Elle exclut, ensuite, l’hypothèse d’une erreur spontanée sur la substance de la chose, se fondant sur la circonstance que les terrains vendus se trouvaient à proximité d’une métropole régionale pour en déduire que la venderesse ne pouvait ignorer qu’ils deviendraient constructibles à terme.
Enfin, elle jugea le silence de l’acquéreur non fautif et donc le dol insusceptible d’être caractérisé au motif que, pour les raisons sus-évoquées, l’ignorance de la venderesse quant à la constructibilité des terrains vendus n’était pas excusable.
La venderesse forma alors un pourvoi en cassation pour soutenir, dans un premier temps, le fait d’avoir été victime de la violence économique de l’acquéreur ; en ce sens, elle reproduisit dans la thèse de son pourvoi le fameux attendu de principe de l’arrêt Larousse Bordas (Civ. 1re, 3 avr. 2002), selon lequel l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence le consentement.
Non prévu par le Code civil, la violence économique résulte d’une interprétation extensive par les juges du vice de violence tel qu’il est défini à l’article 1112 du Code à dessein de pouvoir annuler les contrats déséquilibrés dont la conclusion aurait été causée et contrainte par la position de faiblesse économique de sa victime.
Dans un second temps, la venderesse invoqua, en sa qualité de profane, le caractère excusable de l’erreur qu’elle a commise.
Rappelons ici qu’en dépit d’une tendance à cantonner l’objet de l’erreur à la prestation reçue, l’erreur commise sur sa propre prestation est également reconnue (Civ. 17 nov. 1930). Et dans tous les cas, pour pouvoir emporter la nullité du contrat, l’erreur doit, d’une part, porter sur la substance de la chose et d’autre part, être excusable. Si traditionnellement, l’erreur sur la substance s’entend de l’erreur sur la matière qui compose la chose, corporelle ou incorporelle, qui fait l’objet de l’obligation de l’une des parties, une telle conception, objective et donc restrictive, est aujourd’hui dépassée. Selon une jurisprudence constante (depuis Civ. 28 janv. 1913), l’erreur sur la substance ne s’entend plus seulement de celle qui porte sur la matière même dont la chose est composée mais aussi, plus largement, de celle qui a trait à ses qualités substantielles, en considération desquelles les parties ont contracté. Cette conception subjective de l’erreur sur la substance suppose donc de ne pas s’arrêter à une différence objective mais de tenir compte de ce que les parties ont considéré comme déterminant de leur consentement. Une qualité substantielle est donc celle qui a déterminé la victime à contracter.
Or, dans l’espèce rapportée, si l’on adoptait la conception objective, l’annulation serait en toute hypothèse exclue : en effet, même non constructible, il va de soi qu’un terrain reste un terrain. Au contraire, selon l’approche subjective, l’annulation du contrat redevient possible car on peut considérer que la constructibilité du terrain, si elle avait été connue de la venderesse, aurait dissuadé celle-ci de contracter à ces conditions financières.
Aussi l’erreur doit-elle être excusable : l’erreur n’est pas prise en compte si elle est grossière ou si sa victime a, par négligence, omis de se renseigner avant de contracter.
En l’espèce, la venderesse faisait valoir sa qualité de profane de l’immobilier pour rendre son erreur excusable et obtenir l’annulation du contrat. Dans cette même perspective, elle invoquait le dol par réticence, rappelant le lien entre ce vice et l’obligation précontractuelle d’information : alors que l’acquéreur était, en sa qualité de professionnel de l’immobilier, débiteur d’une obligation d’information, il s’est sciemment tu sur la constructibilité, et donc la valeur, des terrains, information qu’il avait pourtant l’obligation de transmettre.
Malgré la pertinence du moyen, le pourvoi est rejeté par la Cour. S’appuyant sur les constatations des juges du fond, ayant relevé que les certificats médicaux versés aux débats n’attestaient pas d’une altération des facultés mentales de la venderesse mais d’un simple état dépressif et relevé que l’auteur des attestations n’avait pas été le témoin direct des pressions relatées, la Cour exclut toute atteinte à la liberté du consentement de la venderesse, avant d’écarter celle qui aurait été portée à la lucidité du consentement. En effet, la demanderesse ne pouvait légitimement ignorer, malgré sa qualité de profane, que les terrains vendus se trouvaient, par leur situation géographique, dans une zone géographique privilégiée qui les rendraient constructibles à terme.
Civ. 3e, 8 oct. 2014, n°13-18.150
Références
■ Civ. 1re, 3 avr. 2002, n°00-12.932, D. 2002. 2844, note Mazeaud ; RTD civ. 2002-. 502, note Mestre et Fages.
■ Civ. 17 nov. 1930, DP 1932.1.161.
■ Civ. 28 janv. 1913, S. 1913. 1. 487.
■ Code civil
Article 1109
« Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »
Article 1110
« L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
Elle n'est point une cause de nullité lorsqu'elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
« Il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.
On a égard, en cette matière, à l'âge, au sexe et à la condition des personnes. »
Article 1116
« Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé. »
Article 1117
« La convention contractée par erreur, violence ou dol, n'est point nulle de plein droit ; elle donne seulement lieu à une action en nullité ou en rescision, dans les cas et de la manière expliqués à la section VII du chapitre V du présent titre. »
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