Actualité > À la une
À la une
Droit européen et de l'Union européenne
La totalisation des droits à la retraite : un droit pour tout travailleur migrant de l’Union
Mots-clefs : Fonctionnaire, Agent public, Travailleur, Liberté de circulation, Sécurité sociale, Prestation, Pensions de retraite, Équilibre du système de sécurité sociale, Preuve
Une disposition nationale, bien qu’indistinctement applicable à l’ensemble des ressortissants de l’Union, peut constituer une restriction à la liberté de circulation des travailleurs, y compris en l’absence de règles d’harmonisation européenne.
C’est ce que rappelle la Cour de justice à l’égard d’une législation chypriote empêchant les fonctionnaires de bénéficier de leurs droits à la retraite, lorsqu’ils démissionnent avant l’âge de 45 ans pour un emploi dans un autre État membre. Ce refus de totalisation des droits comme pour toute prestation sociale gêne la libre circulation des travailleurs. Seule une justification visant un intérêt général, dûment prouvée, pourrait entraîner le maintien de la législation contestée, ce qui n’est pas démontré en l’espèce.
La procédure en manquement, prévue aux articles 258 à 260 TFUE, demeure un moyen redoutable pour garantir la pleine application du droit de l’Union, la Commission ayant toute l’opportunité de saisir la Cour de justice à chaque fois qu’elle identifie une violation patente des obligations issues des traités. Cette procédure a, cette fois, permis de mettre en évidence une atteinte à la libre circulation des travailleurs. En effet Chypre réserve un régime juridique plus défavorable en matière de retraite aux personnes ayant fait usage de leur mobilité professionnelle au sein de l’Union européenne. De la sorte, elle les empêche de totaliser leurs droits à la retraite alors qu’il s’agit d’une condition essentielle pour encourager les européens à faire usage de leur mobilité.
Le contentieux trouve son origine dans une législation chypriote qui n’a pas fait l’objet de modification depuis l’adhésion à l’Union européenne alors même qu’elle contrevient aux articles 45 et 48 TFUE. Il est prévu qu’un fonctionnaire, âgé de moins de 45 ans, démissionnant de son poste perd ses futurs droits à la retraite au profit seulement d’une somme forfaitaire, s’il s’engage dans un emploi en dehors de Chypre, y compris au sein d’une institution internationale ou européenne. En revanche, ses droits sont maintenus, si ce même fonctionnaire demeure à Chypre pour exercer un autre emploi au sein d’un organisme public ou d’une autre administration. Cette législation s’applique uniquement aux fonctionnaires recrutés avant une loi de 2011, cette dernière ayant supprimé cette différence de traitements pour les nouveaux agents publics.
Le raisonnement de la Cour apporte tout d’abord des précisions sur la portée de l’article 48 TFUE. Chypre contestait l’utilisation de cet article comme fondement juridique au manquement, considérant qu’il constitue uniquement une base juridique, pour les institutions afin d’adopter des dispositions en matière de totalisation des prestations. La Cour écarte le moyen chypriote, considérant que cet article fixe un objectif précis en matière de totalisation des prestations sociales qui pouvait constituer un fondement juridique autonome pour une violation. Toutefois, la Cour rappelle que la Commission établit son manquement sur la lecture combinée des articles 45 et 48 TFUE, l’argument chypriote étant sans fondement.
Ensuite, la Cour identifie sans difficulté l’existence d’une restriction, le fonctionnaire n’ayant aucun intérêt à faire usage de sa mobilité avant l’âge de 45 ans. Or les juges rappellent que l’usage de la mobilité est un droit, garanti par le traité, exigeant que les États assurent que le déplacement aura un effet neutre en matière de sécurité sociale. Ceci signifie que si les États demeurent compétents pour organiser leur sécurité sociale, et si les régimes peuvent être disparates quant au niveau de protection d’un État membre à un autre, ils ne peuvent, en revanche, instaurer un système désavantageux à l’égard des personnes faisant usage de leur mobilité. Le droit chypriote crée ce désavantage en refusant la totalisation des droits et peu importe qu’il soit indistinctement applicable.
Enfin, l’arrêt précise les attentes des juges en matière de preuve afin de reconnaître le bien-fondé d’une justification permettant le maintien d’une mesure restrictive, avant même de se prononcer sur le fond. Chaque État peut justifier une mesure restrictive à la condition qu’il s’agisse de protéger un objectif d’intérêt général et que l’État en rapporte réellement la preuve. Les juges écartent de manière constante les justifications à caractère purement économique. Les États peuvent cependant s’appuyer sur des motifs d’ordre économique poursuivant un objectif d’intérêt général, ce qui est l’hypothèse de la lutte contre un grave déséquilibre financier du système de sécurité sociale. En effet, il ne s’agit pas de privilégier une approche uniquement financière, mais bien de pérenniser un système de protection sociale. L’énoncé de la justification n’est pas suffisant, l’État doit rapporter la preuve d’un risque de déséquilibre financier. La Cour se montre alors stricte, exigeant que l’État en apporte la preuve notamment par une analyse objective, circonstanciée et chiffrée à l’aide de données sérieuses, convergentes et de nature probante. La Cour rappelle ainsi avec force qu’il ne suffit pas d’argumenter sans de solides éléments, rendant moins évident le maintien de la mesure contestée. En l’occurrence, le Gouvernement chypriote n’a en rien démontré le risque de déséquilibre. Le manquement a ainsi été constaté.
CJUE 21 janvier 2016, Commission c/ Chypre, n° C-515/14
Références
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 45
« 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union.
2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.
3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique:
a) de répondre à des emplois effectivement offerts,
b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,
c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux,
d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements établis par la Commission, sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi.
4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique. »
Article 48
« Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent, dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires pour l'établissement de la libre circulation des travailleurs, en instituant notamment un système permettant d'assurer aux travailleurs migrants salariés et non salariés et à leurs ayants droit:
a) la totalisation, pour l'ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales;
b) le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des États membres.
Lorsqu'un membre du Conseil déclare qu'un projet d'acte législatif visé au premier alinéa porterait atteinte à des aspects importants de son système de sécurité sociale, notamment pour ce qui est du champ d'application, du coût ou de la structure financière, ou en affecterait l'équilibre financier, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Dans ce cas, la procédure législative ordinaire est suspendue. Après discussion et dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, le Conseil européen:
a) renvoie le projet au Conseil, ce qui met fin à la suspension de la procédure législative ordinaire, ou
b) n'agit pas ou demande à la Commission de présenter une nouvelle proposition; dans ce cas, l'acte initialement proposé est réputé non adopté. »
Article 258
« Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations.
Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne. »
Article 259
« Chacun des États membres peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne s'il estime qu'un autre État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités.
Avant qu'un État membre n'introduise, contre un autre État membre, un recours fondé sur une prétendue violation des obligations qui lui incombent en vertu des traités, il doit en saisir la Commission.
La Commission émet un avis motivé après que les États intéressés ont été mis en mesure de présenter contradictoirement leurs observations écrites et orales.
Si la Commission n'a pas émis l'avis dans un délai de trois mois à compter de la demande, l'absence d'avis ne fait pas obstacle à la saisine de la Cour. »
Article 260
« 1. Si la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour.
2. Si la Commission estime que l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'État membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances.
Si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.
Cette procédure est sans préjudice de l'article 259.
3. Lorsque la Commission saisit la Cour d'un recours en vertu de l'article 258, estimant que l'État membre concerné a manqué à son obligation de communiquer des mesures de transposition d'une directive adoptée conformément à une procédure législative, elle peut, lorsqu'elle le considère approprié, indiquer le montant d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte à payer par cet État, qu'elle estime adapté aux circonstances.
Si la Cour constate le manquement, elle peut infliger à l'État membre concerné le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte dans la limite du montant indiqué par la Commission. L'obligation de paiement prend effet à la date fixée par la Cour dans son arrêt. »
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une