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[ 2 juillet 2020 ] Imprimer

Droit du travail - relations collectives

La transparence financière au cœur de toute prérogative syndicale

Depuis 2017 la Cour de cassation considère que tout syndicat, représentatif ou non, qui souhaite exercer des prérogatives dans l’entreprise, doit satisfaire au critère de transparence financière. Suite à une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Chambre sociale en début d’année, le Conseil constitutionnel valide cette interprétation jurisprudentielle de la loi. 

Le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur la constitutionnalité de l’article L. 2121-1 du Code du travail énonçant les critères de la représentativité syndicale. (Cons. const. 12 nov. 2010, n° 2010-63/64/65 QPC). Toutefois, depuis un arrêt du 22 février 2017 (n° 16-60.123), la Cour de cassation retient une nouvelle interprétation de ce texte en étendant le critère de la transparence financière au-delà du périmètre des organisations syndicales représentatives. Aussi, le 29 janvier 2020 (n° 19-40.034), la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé nécessaire de transmettre au Conseil constitutionnel une nouvelle QPC au motif que « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative ». La réponse du Conseil Constitutionnel ne se contente pas de confirmer une solution particulière liée à la désignation du représentant de section syndicale, elle affermit toute la construction jurisprudentielle relative aux enjeux pour un syndicat de respecter l’exigence de transparence financière.

■ La confirmation d’une solution prétorienne relative au représentant de section syndicale

Le législateur a fait le choix d’opérer une sélection parmi les organisations syndicales en leur attribuant des prérogatives variables en fonction de leur légitimité. Ainsi, pour constituer une section syndicale, il faut soit remplir cumulativement les 7 critères de représentativitésoit être affilié à une organisation nationale interprofessionnelle elle-même représentativesoit encore remplir certains critères, à savoir, l’indépendance, le respect des valeurs républicaines et l’ancienneté de 2 ans (C. trav., L. 2142-1). Le texte n’exige pas le respect du critère de transparence financière et pourtant, depuis 2017, la Cour de cassation l’impose. Or la section syndicale est au cœur de l’action syndicale dans l’entreprise puisqu’elle permet notamment d’exercer des activités de communication (affichage, distribution de tracts, communication numérique) et surtout, d’avoir un représentant, doté d’un statut protecteur. Il est donc désormais possible de contester la désignation de ce représentant au motif que l’organisation syndicale manque de transparence financière. 

La solution de la Cour de cassation semble logique au regard d’autres textes. Ainsi, l’élection permettant de mesurer l’audience des syndicats dans les TPE est ouverte à des syndicats non représentatifs mais qui respectent toutefois la transparence financière (C. trav., art. L. 2122-10-6). Par ailleurs, les textes réglementaires relatifs aux ressources des syndicats exigent une publicité de leurs comptes, qu’ils soient ou non représentatifs (C. trav., art. D. 2135-1). Reste qu’exiger la transparence financière pour désigner un représentant de section syndicale affecte la liberté syndicale, voire le principe de participation et que le législateur ne l’a pas formellement imposé. Le Conseil constitutionnel n’y voit pourtant aucune difficulté. Il est vrai que classiquement, il reconnait au législateur une grande marge de manœuvre aussi bien dans la détermination des critères de représentativité que dans le choix des prérogatives qui leur sont associées. Toutefois ce qui est ici remarquable ici, c’est que le Conseil constitutionnel valide non un choix explicite du législateur, mais l’interprétation par les juges, de la volonté du législateur. Et pour appuyer sa décision, le Conseil se réfère à une autre solution de la Cour de cassation : celle concernant la preuve du critère de la transparence financière (point 11 de la décision). La Chambre sociale fait en effet preuve de souplesse puisqu’elle n’exige aucun formalisme spécifique, les règles de publicité des comptes édictées aux articles D. 2135-1 et suivants du Code du travail ne sont qu’un moyen parmi d’autres (Soc. 29 févr. 2012, nº 11-13.748 ; Soc. 30 janv. 2019 n° 17-19.238). Il est donc relativement facile pour une organisation syndicale d’établir l’état et l’origine de ses ressources financières pour sauver la désignation d’un représentant de section syndicale. Mais au-delà de cette question spécifique, la réponse du Conseil constitutionnel vient conforter un mouvement jurisprudentiel plaçant la transparence financière au cœur de toute action syndicale

■ Les enjeux de la transparence financière

Très rapidement, la Cour de cassation a estimé que tous les critères de représentativité ne devaient pas être abordés de la même manière. La transparence financière, au même titre que l’indépendance et le respect des valeurs républicaines sont des critères dit autonomes, c’est-à-dire examinés « en soi » (Soc. 29 févr. 2012, n° 11-13.748 ; Soc. 14 nov. 2013, n° 12-29.984). La transparence financière est en réalité étroitement liée à l’indépendance. Ainsi, dans un arrêt du 26 février 2020 (n° 19-19.397), la Cour de Cassation précise pour la première fois que « le critère d'indépendance posé par l'article L. 2121-1 du Code du travail comme condition de représentativité des syndicats s'entend d'une indépendance vis-à-vis de l'employeur et d'une indépendance financière ». Or pour les magistrats, ce n’est pas tant le montant des revenus du syndicat qui importe que les sources de son financement. Dès lors, c’est bien la transparence des comptes qui s’avère indispensable. Ce lien est également tissé par le Conseil constitutionnel dans la décision commentée lorsqu’il indique « qu’en imposant aux syndicats une obligation de transparence financière, le législateur a entendu permettre aux salariés de s'assurer de l'indépendance, notamment financière, des organisations susceptibles de porter leurs intérêts ». En l’associant ainsi à l’indépendance, la transparence financière apparait comme un critère existentiel dont le défaut va bien au-delà de la seule perte de la représentativité. C’est toute la capacité d’action qui peut être déniée au syndicat en cause. Ainsi, l’absence de transparence financière permet non seulement de priver un syndicat de toute prérogative dans l’entreprise, comme la négociation d’un protocole d’accord pré-électoral ou la présentation de candidats au premier tour des élections (V. ainsi Soc. 13 juin 2019, n° 18-24.814) mais également au-delà du périmètre de l’entreprise. On pourrait alors lui refuser d’agir en justice dans l’intérêt collectif de la profession, prérogative pourtant ouverte largement à tout syndicat professionnel, représentatif ou non (C. trav., art. L. 2132-3 ; V. aussi art. L. 7423-2 pour les travailleurs à domicile).

Cons. const. 30 avril 2020, nº 2020-835 QPC

Références

■ Cons. const. 12 nov. 2010, n° 2010-63/64/65 QPC : D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Constitutions 2011. 89, obs. C. Radé

■ Soc. 22 févr. 2017, n° 16-60.123 P : D. 2017. 514 ; Dr. soc. 2017. 575, obs. F. Petit ; RDT 2017. 433, obs. I. Odoul-Asorey

■ Soc. 29 janv. 2020, n° 19-40.034 P : D. 2020. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane

■ Soc. 29 févr. 2012, nº 11-13.748 P :  D. 2012. 687 ; ibid. 2622, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2012. 528, obs. L. Pécaut-Rivolier ; RDT 2012. 299, obs. I. Odoul-Asorey

■ Soc. 30 janv. 2019, n° 17-19.238

■ Soc. 14 nov. 2013, n° 12-29.984 P : D. 2014. 2374, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2014. 84, obs. C. Radé ; ibid. 180, obs. F. Petit ; RDT 2014. 127, obs. I. Odoul-Asorey

■ Soc. 26 févr. 2020, n° 19-19.397 P

■ Soc. 13 juin 2019, n° 18-24.814 : RDT 2019. 647, obs. Valéria Ilieva

■ Pour aller plus loin : P. Adam, L’action syndicale non représentative dans l’entreprise, sur quelques règles de conjugaison, Dr. Ouvrier 2014, n° 786.

 

Auteur :Chantal Mathieu

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