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Droit des obligations
La validité de la promesse de porte-fort du fait d’un incapable
Mots-clefs : Promesse de porte-fort, Engagement, Inexécution, Incapable
La promesse de porte-fort est valable quand bien même le promettant se serait porté fort de l’engagement d’un incapable.
Si l’article 1119 du Code civil dispose que l’«[o]n ne peut, en général, s’engager, ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même », il est cependant prévu une légère inflexion comme, notamment, en cas de recours à la promesse de porte-fort.
En l’espèce, une femme a été admise au sein d’un établissement spécialisé conformément à un contrat de séjour, également signé par son fils sous la mention « dûment mandaté à cet effet et se portant en tout état de cause fort de l’exécution des engagements souscrits au titre du présent contrat ». Par la suite, l’établissement a assigné le fils en paiement des frais de séjour.
Toute la question était de déterminer si cet engagement constituait une promesse de porte-fort et partant, si le fils était tenu de payer les frais inhérents au séjour de sa mère.
L’article 1120 du Code civil permet de se porter fort pour un tiers « en promettant le fait de celui-ci ; sauf l'indemnité contre celui qui s'est porté fort ou qui a promis de faire ratifier, si le tiers refuse de tenir l'engagement », la promesse de porte-fort étant une garantie de l’exécution d’un contrat par un tiers.
Comme le rappelle l’arrêt rapporté, la promesse de porte-fort est « un engagement personnel autonome d’une personne qui promet à son cocontractant d’obtenir l’engagement d’un tiers à son égard ». Il s’agit d’une opération juridique à trois personnes, mais qui serait fondée sur la volonté de seulement deux personnes : le promettant et le bénéficiaire (C. Aubert de Vincelles). Le tiers n’est donc pas lié par cette promesse et s’il refuse de s’exécuter, c’est le porte-fort qui sera tenu à des dommages-intérêts envers son cocontractant. Cette technique est utilisée lorsque le porte-fort est intéressé à la réalisation du contrat et qu’il a des relations telles avec le tiers, qu’il est en mesure de le convaincre à consentir au contrat promis. A la différence de la caution qui s’oblige à se substituer au débiteur défaillant, le porte-fort promet seulement de procurer l’engagement d’un tiers, sans toutefois en garantir l’exécution : on parle de porte-fort de ratification.
Par une décision du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a consacré l’existence du porte-fort d’exécution. Il existait alors un dualisme du régime selon lequel «le porte-fort de ratification donnait naissance à un engagement autonome, alors que le porte-fort d’exécution engendrait une obligation accessoire au regard du tiers » (N. Picot). Toutefois, cette solution a été vivement critiquée eu égard du manque d’efficacité et de sécurité juridique (Ph. Simler). En outre, l’ « accessoriété » avait pour conséquence l’application au porte-fort d’exécution d’un régime analogue à celui du cautionnement, niant ainsi la spécificité du mécanisme. En effet, le porte-fort, contrairement au cautionnement, ne revêtirait pas un caractère accessoire mais serait un engagement obéissant au droit commun des contrats (X. Delpech). En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une obligation de payer mais de faire (Com. 18 juin 2013), dont l’inexécution se résout en dommages-intérêts conformément à l’article 1142 du Code civil.
De même, la Haute juridiction a récemment affirmé le caractère autonome de l’obligation du porte-fort (Com., 1er avr. 2014). Notons cependant, que l’indépendance ne saurait être totale notamment en cas d’atteinte par le fait promis à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ainsi, le porte-fort d’exécution, débiteur d’une obligation de résultat autonome de l’engagement promis est tenu envers le bénéficiaire de la promesse, des conséquences de l’inexécution dudit engagement.
En l’espèce, le fils se porte fort de l’exécution de l’engagement souscrit par sa mère. Conformément à une jurisprudence antérieure, « celui qui se porte fort de l'exécution d'un engagement par un tiers s'engage accessoirement à l'engagement principal souscrit par le tiers à y satisfaire si le tiers ne l'exécute pas lui-même » (Com., 18 déc. 2007). Rappelant cet attendu de principe et faisant référence au cautionnement, la cour d’appel ajoute que cela suppose qu’un « tiers se soit engagé à titre principal, ce qui n’est pas le cas en l’espèce » eu égard du fait que la mère n’était plus capable et que son fils n’avait pas été désigné comme son tuteur. Dans la pratique, la promesse de porte-fort est souvent utilisée par les représentants d’incapables afin d’échapper aux formalités prévues par la loi lorsqu’ils doivent faire un acte de disposition ou encore lorsqu’un acte requiert le consentement d’une personne absente (Ph. Malaurie, L. Aynès). En l’occurrence, la Haute juridiction casse la décision de la cour d’appel au visa de l’article 1120 du Code civil.
La rédaction actuelle de l’article 1120 susmentionné est vivement critiquée par la doctrine qui voit dans l’utilisation de l’adverbe « néanmoins » une exception au principe, énoncé à l’article 1119 du même Code, selon lequel on n’engage pas les tiers par un contrat (E. Netter). Or, le porte-fort n’engage pas autrui, seul le promettant contracte un engagement personnel qui repose sur la manière dont un tiers se comportera. Le projet de réforme de droit des obligations prévoit, en son article 1205, trois alinéas qui, selon certains, n’apporterait pas davantage de clarté (B. Donderon). L’alinéa premier présente, cependant, une amélioration substantielle en supprimant l’adverbe litigieux et disposant que l’ « [o]n peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers », s’affranchissant donc du législateur de 1804. Dès lors, certains s’interrogent quant au fait que ce texte demeure présent dans une section consacrée aux « effets du contrat à l’égard des tiers » (ibid.). Aux termes du deuxième alinéa du projet d’article, « [l]e promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts. » Cet alinéa n’emporte pas plus de conviction, certains soulignent d’ailleurs son inutilité sauf peut-être d’un point de vu pédagogique (ibid.). En tout état de cause, la Réforme du droit des obligations devrait apporter plus de précisions en la matière et certains considèrent que « le texte a surtout le mérite de préciser les effets dans le temps de la ratification de la promesse par le tiers » (B. Donderon).
Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.694.
Références
■ Code civil
« On ne peut, en général, s'engager, ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même. »
« Néanmoins, on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci ; sauf l'indemnité contre celui qui s'est porté fort ou qui a promis de faire ratifier, si le tiers refuse de tenir l'engagement. »
« Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur. »
■ Com. 13 déc. 2005, n° 03-19.217, D. 2006. 298, obs. X. Delpech, ibid. 2244, chron. D. Arlie, ibid. 2855, obs. P. Crocq, RTD civ. 2006. 305, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Com. 18 juin 2013, n° 12-18.890, D. 2013. 2561, obs. X. Delpech, note J.-D. Pellier, RTD civ. 2013. 653, obs. P. Crocq, ibid. 842, obs. H. Barbier.
■ Com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629, D. 2014. 1185, note B. Dondero, ibid. 1610, obs. P. Crocq, Rev. sociétés 2014. 558, note T. Massart, RTD com. 2014. 309, obs. B. Saintourens.
■ Com., 18 déc. 2007, n° 05-14.328.
■ C. Aubert de Vincelles, Rép. Civ., v° Porte-fort, 2012.
■ N. Picot, AJCA, 2014. 128.
■ Ph. Simler, JCP 2006. II. 10021.
■ X. Delpech, Formalisme de la promesse de porte-fort, Dalloz Actualité, 27 juin 2013.
■ B. Donderon, L’obligation du porte-fort, D. 2014. 1185.
■ E. Netter, Le porte-fort, Blog Réforme du droit des obligations, 27 avr. 2015.
■ Ph. Malaurie, L. Aynès, Les obligations, Defrénois, 3e éd., 821.
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