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[ 19 mai 2020 ] Imprimer

Droit pénal général

La vie privée, la garde à vue et l’impossibilité du consentement

La captation d’images, notamment un enregistrement, réalisée à l’occasion d’une garde à vue, entre dans le champ de la vie privée de telle sorte que l’enregistrement de la parole ou de l’image d’une personne gardée à vue est susceptible de constituer une atteinte à l’intimité de sa vie privée. Dès lors que la personne placée en garde à vue n’est pas susceptible de s’opposer à cet enregistrement quand bien même il aurait été réalisé en sa connaissance, il n’est pas possible de faire jouer la présomption du consentement prévue par l’article 226-1 in fine du Code pénal.

Un reportage télévisuel relatif à la prostitution est diffusé sur une chaîne grand public. Ce dernier retraçait les investigations menées sur les réseaux de prostitution de Paris et notamment la surveillance de l’hôtel géré par les époux B. au sein duquel les prostituées effectuaient leurs prestations. Bien que les auteurs du reportage aient anonymisé les lieux et les personnes, ils diffusaient néanmoins la garde à vue de Madame B. pour les faits de proxénétisme aggravée et cette dernière a été reconnue par des tiers, notamment par sa voix. A la suite de la diffusion de ce reportage, Monsieur et Madame B., son épouse, portent plainte des chefs de violation du secret professionnel et du secret de l’instruction contre personne non dénommée. Suite au classement sans suite de leur plainte, ils se constituent partie civile auprès du juge d’instruction des chefs précités, leur avocat faisant en outre valoir une atteinte à l’intimité de la vie privée de Madame B. réprimée sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal. Le juge d’instruction devait rendre une ordonnance de non-lieu frappée d’appel par les époux B. 

La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance de non-lieu. La cour d’appel rejette la qualification de l’incrimination prévue par l’article 226-1 du Code pénal. Cette dernière réprime « le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privé d’autrui », notamment en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel. L’article d’ajouter, « lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé ». Selon la cour d’appel, le délit prévu par l’article 226-1 du Code pénal ne saurait être constitué dans la mesure où « les images et paroles d’une personne interpellée par les services de police puis interrogée au cours de sa garde à vue ne relèvent pas de l’intimité de la vie privée » protégée par cette infraction. De plus, la cour retient que la caméra était, lors de la garde à vue, visible par Madame B. de telle sorte que l’enregistrement a été fait au vu et au su de cette dernière qui ne s’y est pas opposée. Or, aucun élément du dossier ne permet d’indiquer que les conditions de la garde à vue de Madame B. lui ôtaient la possibilité de faire valoir son opposition à l’enregistrement. 

Monsieur et Madame B. se pourvoient en cassation. Si les trois premières branches du moyen ne semblent pas de nature à permettre l’admission du pourvoi le dernier retient l’attention de la Cour de cassation. Selon cette dernière branche, le pouvoir reproche à la cour d’appel d’avoir confirmé l’ordonnance de non-lieu rejetant l’application de l’article 226-1 du Code pénal. En effet, selon le pourvoi, il ne ressort d’aucune pièce que l’accord écrit de Madame B. ait été sollicité des enquêteurs ni même que ces derniers ne lui aient notifié son droit de s’opposer à cet enregistrement. 

La Cour de cassation devait alors se prononcer à la fois, sur la nature et les contours de la protection accordée par l’article 226-1 du Code pénal. Il est plus particulièrement question de savoir si les images et paroles d’une personne, captées à l’occasion de sa garde à vue, relèvent de la vie privée telle que protégée par l’article 226-1 du Code pénal. Sur ce point, la Cour de cassation relève que « l’enregistrement de la parole ou de l’image d’une personne placée en garde à vue est susceptible de constituer une atteinte à sa vie privée »

La Cour de cassation devait également s’interroger sur la capacité de la personne gardée à vue de s’opposer à l’enregistrement auquel il est procédé à l’occasion de la garde à vue. En effet, le dernier alinéa de l’article 226-1 précise que « lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé ». Lors même qu’elle ne s’était pas opposée à l’enregistrement pourtant réalisé en sa connaissance, son consentement devait, suivant la logique de l’article 226-1 in fine, être présumé. Pourtant la Cour de cassation apporte ici une précision importante selon laquelle « une personne faisant l’objet d’une garde à vue n’est pas en mesure de s’opposer à cet enregistrement ». 

Crim. 21 avril 2020, n° 19-81.507

Référence

■ N. Cazé-Gaillarde, Rép. pén. Dalloz, V° Atteintes à la vie privée, novembre 2019. 

 

Auteur :Chloé Liévaux


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