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[ 30 mai 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La vieillesse, maladie mortelle ouvrant droit au suicide assisté ?

Mots-clefs : Vie privée, Suicide assisté, Cour EDH

Le souhait d’un individu d’obtenir une dose mortelle de médicament afin de mettre fin à ses jours relève du droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Méconnait cette disposition, la législation suisse qui ne fournit pas de directives suffisantes définissant avec clarté l’ampleur de ce droit et notamment omet de déterminer avec suffisamment de précision les individus concernés par cette procédure de suicide assisté.

Si la Cour de Strasbourg ne consacre pas un droit à mourir (CEDH 29 avr. 2002, Pretty c. Royaume-Uni), elle reconnaît, en revanche, que le droit d’un individu de choisir quand et comment mourir, à condition que celui-ci soit en état de prendre sa décision librement et d’agir en conséquence, constitue l’un des aspects du droit au respect de la vie privée (CEDH 20 janv. 2011, Haas c. Suisse). Dans cette perspective, le juge européen a esquissé à la charge des États, une obligation positive de prendre les mesures nécessaires permettant un suicide digne et la consécration d'un droit au suicide assisté. Néanmoins, en l'absence d'un consensus entre les États sur la question, ceux-ci disposent d'une considérable marge d'appréciation. Ainsi, est légitime au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le régime mis en place par les autorités suisses qui conditionne l’accès à une substance létale à l’obtention d’une prescription médicale (Haas c. Suisse, préc.).

La revendication d’un droit à mourir dans la dignité n’avait été, jusqu’à lors, portée devant la Cour européenne que dans le cadre de maladies ou de pathologies graves et incurables. Mais peut-on bénéficier d’un tel droit lorsque l’on est bien portant ? Tel est l’enjeu sous-jacent de l’affaire portée devant la Cour dans cette affaire.

En l’espèce, la requérante souhaitait mettre un terme à sa vie, non en raison d’une pathologie mais pour ne pas, a plus de 80 ans, continuer à subir le déclin de ses facultés physiques et mentales. Aucun médecin ne lui délivra l’ordonnance nécessaire pour obtenir une dose médicamenteuse mortelle en raison même de l’absence de toute pathologie autre que la vieillesse. Selon eux, le code de déontologie professionnelle les empêchait d’établir une telle ordonnance et/ou ils craignaient d’être entraînés dans de longues procédures judiciaires. Le rejet de sa demande tendant à l’obtention du médicament létal auprès de la direction de la santé du canton de Zurich, fut confirmé par les tribunaux. La Cour suprême fédérale affirma que l’État n’était pas tenu de garantir à un individu l’accès à une dose mortelle de médicament. Elle précisa aussi que l’intéressée ne remplissait pas les conditions fixées dans les directives éthiques sur les soins à accorder aux patients en fin de vie adoptées par l’Académie suisse de médecine, étant donné qu’elle n’était pas atteinte d’une maladie mortelle en phase terminale. Devant la CEDH, la requérante se plaignait qu’en lui refusant le droit de décider quand et comment elle finirait sa vie, les autorités suisses avaient violé l’article 8 de la Conv. EDH.

S’inscrivant dans la lignée de l’arrêt Haas, la cour admet d’abord que le souhait de la requérante d’obtenir une dose mortelle de médicament afin de mettre fin à ses jours relève du droit au respect de la vie privée. Puis elle reconnaît que si la législation suisse, offre la possibilité d’obtenir une dose létale de médicament sur ordonnance médicale afin de mettre à ses jours, elle ne fournit pas des directives suffisantes définissant avec clarté l’ampleur de ce droit. Ainsi, en omettant de déterminer avec suffisamment de précision les individus concernés par cette procédure de suicide assisté, la Suisse a manqué à ses obligations au titre de l’article 8 de la Conv. EDH.

L’encadrement du suicide assisté en Suisse résulte de la loi, de la jurisprudence et de directives éthiques adoptées par l’Académie suisse de médecine. Tout d’abord, le Code pénal suisse ne réprime l’assistance au suicide que lorsque l’auteur de tels actes est conduit à les commettre pour des « motifs égoïstes ». Ensuite, conformément à la jurisprudence de la Cour suprême fédérale suisse, un médecin peut prescrire un médicament mortel pour aider un patient à se suicider si certaines conditions spécifiques, indiquées dans les directives éthiques, sont remplies. S’agissant de ces dernières, la Cour relève que ces directives, émises par une organisation n’appartenant pas à l’État, n’ont pas la qualité de loi. De surcroit, elles ne concernent que les patients dont le médecin a conclu que leur maladie les conduirait à court terme à la mort. Subsiste un vide juridique quant à la possibilité et aux conditions à remplir concernant un patient non atteint d’une maladie en phase terminale.

C’est cette absence de directives claires posées par la loi, définissant les circonstances dans lesquelles les médecins sont autorisés à délivrer une ordonnance lorsqu’une personne a pris librement la décision grave de mettre fin à ses jours sans qu’elle soit proche de la mort à cause d’une maladie donnée, qui permet à la Cour de conclure à la violation de l’article 8.

L’arrêt de la Cour EDH rendu le 14 mai dernier impose que le suicide assisté, dès lors qu’il est admis, doit être strictement et précisément encadré par la loi. En aucun cas, le juge européen ne se prononce sur la question de savoir si un individu en bonne santé doit se voir accorder la possibilité d’obtenir une dose mortelle de médicament pour mettre fin à ses jours. Un tel choix incombe à l’évidence aux autorités nationales.

Il n’y a aucun consensus parmi les États membres du Conseil de l’Europe sur la question de savoir s’il faut ou non autoriser une forme quelconque de suicide assisté. Dans un arrêt contre l’Allemagne en 2012 (affaire Koch du 19 juill. 2012), la Cour relevait que sur les 42 États, seuls 4 d’entre eux autorisent les médecins à prescrire une dose létale de médicaments afin de permettre à un patient de mettre fin à ses jours. En France, une telle possibilité n’existe pas. Celui qui fournit l’aide au suicide commet un crime.

Les choses pourraient peut-être évoluer prochainement. En juillet 2012, le chef de l'État a instauré une mission de réflexion sur la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie adoptée après l’affaire Imbert. Ce texte ne permet que d'aider la personne en fin de vie : soit en lui donnant des soins palliatifs pour calmer sa douleur, soit en cessant tout traitement pour éviter un « acharnement thérapeutique ».

Le rapport de la commission « Penser solidairement la fin de vie » rendu en décembre 2012 envisage le recours au suicide assisté comme une possible solution (v. Fr. Vialla).

CEDH 14 mai 2013, Gross c. Suisse, n°67810/10

Références

■ Article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

■ CEDH 29 avr. 2002, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, RTD civ. 2002. 482, obs. J. Hauser ibid. 858, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH 20 janv. 2011, Haas c. Suisse, n°31322/07, RTD civ. 2011. 311, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH 19 juill. 2012, Koch c. Allemagne, requête, n° 497/09.

 Fr. Vialla, « Bientôt une nouvelle loi relative à la fin de vie », D. 2013. 259.

 

Auteur :C. L.


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