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Libertés fondamentales - droits de l'homme
L’abolition de la peine de mort : un débat perpétuel ?
Alors que la France commémorait le 9 octobre dernier le quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort au Panthéon, ce temple célébrant les femmes et les hommes les plus illustres de notre Histoire contemporaine, l’actuel Président de la République semble désireux de relancer le combat en faveur de l’abolition universelle : un discours qui vient en contrariété d’un débat ancien quelque peu ravivé, celui de son rétablissement. Quid juris ?
Avant de répondre à cette question, il convient de revenir sur la genèse de cette réforme historique de de notre droit et de notre civilisation.
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, la peine de mort consistait essentiellement en un spectacle judiciaire à des fins d’exemplarité et d’intimidation.
Néanmoins, certains abolitionnistes, dont la notoriété s’inscrivit dans la postérité, s’élevèrent contre le prononcé de la peine capitale, à l’instar du juriste et intellectuel Cesare Beccaria, dont les mots demeurent célèbres « Si je prouve que cette peine n’est ni utile, ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité » (Des délits et des peines, 1764), des mots qui furent ô combien approuvés par Voltaire (Commentaire sur le livre des délits et des peines par un avocat de province, 1766).
- Le XIXe siècle marqua un tournant important, inspiré par des œuvres littéraires, juridiques et philosophiques (De la peine de mort en matière politique (1822) de François Guizot ; Du système pénal et du système répressif en général, de la peine de la mort en particulier (1827) de Charles Lucas ; Le Dernier jour d’un condamné (1829) et Claude Gueux (1834) de Victor Hugo).
À partir de 1832, les circonstances atténuantes, instituées et intégrées dans le Code pénal, ralentirent la cadence des exécutions.
En 1848, la peine de mort en matière politique fut abolie par décret et confirmée par la loi du 15 juin 1853.
- Puis, au XXe siècle, les exécutions se firent de plus en plus rares, notamment après la Libération.
Par décret du 24 juin 1939, elles eurent désormais lieu au sein des établissements pénitentiaires, à l’abri du regard du public alors qu’émergea un nouveau courant de pensée, celui de la « défense sociale nouvelle », destiné à rechercher la personnalisation et l’individualisation du criminel pour permettre sa réinsertion. Les théories développées par Marc Ancel et les écrits d’Albert Camus et d’Arthur Koestler (1957) (Réflexions sur la peine de mort) n’enrichirent que davantage le débat et firent évoluer, avec discrétion, les consciences.
Le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi, après rejet de son pourvoi en cassation et refus de grâce présidentielle, fut guillotiné. Ce fut la dernière personne à avoir été condamnée et exécutée en France, les condamnations à mort postérieures n’ayant pas été exécutées.
Malgré une opinion publique défavorable, la loi abolissant la peine de mort fut votée par le Sénat le 30 septembre 1981 et promulguée le 10 octobre 1981 (L. no 81-908 du 9 oct. 1981), faisant de la France le 35e pays à l’avoir adoptée.
Robert Badinter, successivement avocat de Roger Bontems, condamné à mort, et de Patrick Henry, qui échappa à la peine capitale, en fut le premier artisan en sa qualité de Garde des Sceaux (1981-1986). Aux arguments de passion - prudence, angoisse, peur – et de recherche de garantie sécuritaire, ce fervent défenseur de l’abolition opposa selon lui ceux, davantage philosophiques et moraux que juridiques, de raison. Dans un discours historique prononcé devant l’Assemblée nationale, Robert Badinter demanda aux parlementaires de mettre fin à une vengeance criminelle qui pour lui n’avait pas lieu d’être dans une société démocratique ; « Demain, grâce à vous, la justice ne sera plus une justice qui tue » s’écria-t-il avec une verve et une éloquence mémorables. C’est ainsi que dans son plaidoyer, Robert Badinter expliqua vouloir en terminer « avec la loi qui déshonore plus qu’elle ne défende » et avec « une parodie de justice » vengeresse ne dissuadant pas le criminel, n’évitant pas la hausse de la criminalité, n’empêchant pas le risque d’erreur judiciaire et réfutant « le droit à la vie comme un absolu moral ».
Avec l’abolition de la peine de mort, l’échelle des peines fut nécessairement modifiée. La perpétuité réelle ou incompressible devint la peine suprême en France, avec l’entrée en vigueur de la loi no 94-89 du 1er février 1994 (C. pén., art. 221-3 et 221-4), et l’on observa une augmentation des longues peines (Les très longues peines, Pierre Pédron et Yvan Laurens, Éd. l’Harmattan, 2007).
Parallèlement à cette évolution législative, plusieurs propositions parlementaires ont été déposées depuis 1984 prônant le rétablissement de la peine capitale par référendum, une idée qui n’a apparemment pas cessé de germer dans une partie de l’opinion publique, et tout particulièrement après les attentats islamistes perpétrés dans le monde entier depuis le 11 septembre 2001.
C’est pour empêcher son rétablissement que plusieurs initiatives ont été prises pour élever l’abolition dans la hiérarchie des normes. Ainsi, le protocole no 6 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisant la peine de mort en temps de paix est entré en vigueur en France le 1er mars 1986. Le 3 mai 2002, la France a signé le protocole no 13 de la Convention interdisant la peine de mort en toutes circonstances, autrement dit même en temps de guerre. L’abolition de la peine de mort est ainsi devenue un préalable nécessaire à l’accession à l’Union européenne. En outre, pour permettre l’adhésion de la France au protocole no 2 au pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1989 visant à abolir la peine de mort, l’abolition a été inscrite à l’article 66-1 de notre Constitution selon lequel « Nul ne peut être condamné à la peine de mort » (L. const. no 2007-239 du 23 févr. 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort).
Depuis le 2 octobre 2007, marquant l’adhésion au deuxième protocole additionnel au pacte international relatif aux droits civils et politiques, la France ne peut plus légalement exécuter quiconque sur son territoire. Rétablir la peine capitale tel qu’une partie de l’opinion publique semble le désirer reviendrait donc à modifier la Constitution, sortir de l’Union europénne et dénoncer les textes cités précédemment, ce qui apparait quasi impossible de nos jours, ne serait-ce qu’au regard des difficultés juridiques sous-jacentes.
Pourtant, aux stricts antipodes de la volonté de certains de rétablir à tous crins cette peine, un autre débat ressurgit, qui n’est autre que le combat en faveur de l’abolition universelle, souvent évoqué au cours des congrès mondiaux contre la peine de mort.
Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (à partir de janv. 2022), une rencontre devrait se tenir à Paris, d’ici quelques mois, entre la France et les États appliquant toujours la peine capitale, pour exhorter leur dirigeant à abolir sans tarder cette peine. Épaulée par ses partenaires de l’Union européenne, la France présentera à la prochaine assemblée générale des Nations unies un projet de résolution pour que chaque année, les États n’ayant pas aboli la peine de mort communiquent à l’Organisation des Nations unies le nombre de condamnations prononcées et le nombre d’exécutions pratiquées.
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