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[ 2 décembre 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

L’absence de caractère absolu du principe du contradictoire

Mots-clefs : Directive retour, Séjour irrégulier, Droits fondamentaux, Principe du contradictoire, Bonne administration, Droit au procès équitable, Droits de la défense, Décision d’éloignement

La directive retour (2008/115/CE) oblige les États membres à adopter les mesures nécessaires à l’éloignement des ressortissants des États tiers en situation irrégulière. L’éloignement doit cependant être réalisé en respectant les droits fondamentaux dont le principe du contradictoire dans le cadre d’une procédure équitable et transparente. Cependant, une fois que la personne a été en mesure d’exposer ses arguments lorsqu’il a été statué sur la régularité de son séjour, les autorités n’ont pas l’obligation de l’entendre à nouveau au moment de l’adoption de la décision d’éloignement.

Les droits fondamentaux ne sont pas absolus, bien au contraire des limites peuvent être envisagées conformément à l’article 52, paragraphe 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Ces limites doivent répondre à des objectifs légitimes parmi lesquels figure la lutte contre l’immigration irrégulière.

Dans l’arrêt rapporté, c’est le principe du contradictoire qui faisait l’objet d’une restriction. Celle-ci a été admise par la Cour, en ne retenant pas l’obligation d’entendre la personne pour chaque décision d’éloignement adoptée la concernant.

En l’espèce une femme, de nationalité rwandaise, a fait une demande d’asile en France. Celle-ci lui a été refusée. Elle a pu contester cette mesure, après avoir été entendue dans le cadre d’une procédure contradictoire. Elle a alors fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans les 30 jours. N’ayant pas respecté cette obligation, plusieurs semaines plus tard, elle a été arrêtée à un aéroport français en partance pour le Canada avec un faux passeport belge. Le préfet de Seine-Saint-Denis a alors adopté un nouvel arrêté d’obligation de quitter le territoire, mais sans délai de retour volontaire, et il l’a placée en centre de rétention administrative.

La requérante contestait le fait que le dernier arrêté d’obligation de quitter le territoire ait été adopté en méconnaissance du droit à une bonne administration figurant notamment à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux. La violation résulterait de l’absence de possibilité de présenter des observations.

La réponse de la Cour vise à établir un équilibre entre le respect des droits fondamentaux et l’effet utile de la directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, c’est-à-dire la lutte contre l’immigration irrégulière.

C’est ainsi que la Cour précise, tout d’abord, que si la directive retour ne prévoit pas le contenu des droits procéduraux applicables, cette situation n’empêche pas la pleine application des droits de la défense et du droit à un procès équitable (articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux). En revanche, la Cour rappelle que le droit à la bonne administration, figurant à l’article 41 de la Charte, ne s’adresse qu’aux institutions et aux États membres et non aux particuliers. En revanche, le principe général du droit de l’Union sur le même objet est invocable par les particuliers (CJUE 17 juill. 2014, Y. S. e. a.).

Ensuite, la Cour rappelle que les droits ne sont pas absolus. En conséquence des limites peuvent être imposées par le législateur de l’Union à la condition de répondre à un objectif d’intérêt général et être proportionnées, conformément aux exigences de l’article 52, paragraphe 1er, de la Charte. C’est au regard de ces éléments que la Cour analyse, dans un premier temps, le contenu des obligations des États membres dans le cadre de la directive retour et, dans un second temps, détermine la portée du principe du contradictoire.

Ainsi, dans un premier temps, la Cour indique qu’une fois que les États se sont prononcés sur le caractère régulier ou irrégulier du séjour, ils doivent prendre une décision de retour si le séjour est irrégulier. Cette décision de retour peut être prise simultanément à la décision portant sur la fin du séjour régulier.

Dans un second temps, la Cour juge que la décision sur la régularité du séjour doit être prise au cours d’une procédure équitable et transparente, ce qui est le cas en France puisque le demandeur présente ses observations, tant devant la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), en appel devant l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).

Dès lors, la France peut prendre une décision d’éloignement du territoire français, y compris après plusieurs mois sans ouvrir une nouvelle procédure contradictoire, tant qu’il n’y pas de modifications de la situation de la personne. La Cour juge qu’une solution contraire conduirait à ouvrir une nouvelle procédure administrative de manière dilatoire portant atteinte à l’effet utile de la directive. La Cour veut éviter ainsi de rompre l’équilibre entre la protection des droits fondamentaux et la lutte contre l’immigration irrégulière.

Ainsi les autorités d’un État membre, ayant dûment entendu le ressortissant d’un pays tiers n’ont pas obligatoirement à entendre une nouvelle fois la personne avant l’adoption de la décision retour ou d’une décision de confirmation.

CJUE 5 nov. 2014, Sophie Mukarubega c/ Préfet de police et préfet de Seine-Saint Denis, C-166/13

Références

■ Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier :http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/jl0014_fr.htm

 CJUE 17 juill. 2014, Y. S. e. a., C-141/12.

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 41 - Droit à une bonne administration

« 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union.

2. Ce droit comporte notamment:

– le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre;

– le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires;

  l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

3. Toute personne a droit à la réparation par la Communauté des dommages causés par les institutions, ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres.

4. Toute personne peut s’adresser aux institutions de l’Union dans une des langues des traités et doit recevoir une réponse dans la même langue. »

Article 47- Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice. »

Article 48 - Présomption d’innocence et droits de la défense

« 1. Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. »

Article 52 - Portée des droits garantis

« 1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l’Union européenne s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. »

 

Auteur :V. B.


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