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Droit de la responsabilité civile
L’absence d’obligation pour la victime de minimiser son préjudice réaffirmé.
Mots-clefs : Accident de la circulation, Assureur, Indemnisation, Préjudices, Nomenclature Dintilhac, Loi du 5 juillet 1985, Mitigation
L’auteur d’un accident de la circulation doit en réparer toutes les conséquences dommageables. La victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable.
Si en principe les juges apprécient souverainement les préjudices excluant dès lors l’application de barèmes, une commission a toutefois été constituée en vue d’établir une nomenclature des chefs de préjudices corporels (personnels et économiques). S’il ne s’agit ni d’une loi ni d’une norme réglementaire, la nomenclature Dintilhac est néanmoins fréquemment utilisée par l’Office national des examens médicaux (ONIAM) et par les tribunaux (Civ. 2e, 5 mars 2015 : s’inspirant de la nomenclature, la Cour affirme que le préjudice d’agrément est inclus dans le déficit fonctionnel temporaire). Elle s’articule autour de la distinction des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux. La première catégorie se scinde en deux avec d’un côté, les préjudices temporaires – qui interviennent avant la consolidation de l’état de la victime – et, de l’autre, les préjudices permanents – qui interviennent après la consolidation.
Victime d’un accident de la circulation, un homme a assigné en réparation de ses préjudices l’assureur du véhicule impliqué. La question ici soulevée était l’évaluation du préjudice concernant la perte de gains professionnels actuels et futurs, qui entrent dans la catégorie des préjudices patrimoniaux temporaires et permanents de la nomenclature Dintilhac.
Dans un premier temps, rappelons que la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », a créé un régime spécial d'indemnisation des victimes d'accident de circulation ayant pour objectif d’accélérer les procédures et de protéger les victimes. L’article 1er de cette loi dispose que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent (…) aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ».
En l’espèce, la Haute juridiction retient que la cour d’appel a violé les articles 29 et 33 de la loi de 1985 en déduisant du montant du préjudice concernant la perte de gains professionnels actuels, le montant de l’allocation d’aide au retour à l’emploi perçu par la victime. Si le principe indemnitaire exclut tout enrichissement de la victime (V. Y. Lambert-Faivre), la deuxième chambre civile a réaffirmé que les sommes versées par des tiers payeurs, qui n’ouvrent pas droit à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation, ne peuvent pas être déduites de l’indemnité allouée à la victime (Civ. 2e, 12 juin 2014).
En l’espèce, n’étant pas mentionnées à l’article 29 de loi de 1985, ces allocations « ne donnent pas lieu à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ».
Dans un second temps, la Cour confirme une solution désormais bien établie (Civ. 2e, 25 oct. 2012 ; Civ. 3e, 5 févr. 2013) : la victime d’un dommage n’est pas tenue de limiter son préjudice. Par deux arrêts, la deuxième chambre civile a étendu cette règle – jusqu’alors réservée aux seules préjudices corporels –, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, sous forme de principe affirmant que la victime n’est ni tenue de suivre des soins psychologiques pour améliorer son état (Civ. 2e, 19 juin 2003), ni de mettre en œuvre des diligences minimes pour éviter une très importante aggravation d’un préjudice matériel (Civ. 2e, 19 juin 2003).
La Haute juridiction considère qu’en divisant par deux la somme allouée à la victime au titre de la perte de gains professionnels futurs en raison du refus d’un poste proposé par l’employeur, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil.
Cette position jurisprudentielle française contraste néanmoins avec les principes dégagés par d’autres systèmes européens, qu’ils soient de traditions civilistes ou Common Law (Mitigation of Damages). À titre d’exemple, le BGB allemand, le Code civil néerlandais ou italien ont prévu de telles dispositions visant à obliger la victime à limiter son préjudice.
Notons, toutefois, que cette obligation de minimiser le dommage est déjà présente dans le droit positif français à travers la Convention de Vienne du 11 avril 1980 applicable à la vente internationale de marchandise (art. 77), les principes UNIDROIT (art. 7.4.8) mais aussi au sein des Principes européens de doit des contrats (art. 9 : 505). S’inspirant des modèles étrangers, les projets de réformes Catala (art. 1373) et Terré (art. 53) prévoient un devoir de minimisation du préjudice de la victime, excluant toutefois le préjudice corporel. Toutefois si la question de l’opportunité d’intégrer dans notre corpus contractuel un tel devoir se pose, il reste néanmoins à déterminer ses éventuelles modalités et notamment la nature des mesures à accomplir par la victime et les possibles sanctions. La réforme du droit des obligations n’apportera pas davantage de précision puisqu’elle ne traitera pas la responsabilité.
Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-16.011.
Références
■ Code civil
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
■ Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation
« Seules les prestations énumérées ci-après versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur :
1. Les prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale et par ceux qui sont mentionnés aux articles 1106-9, 1234-8 et 1234-20 du code rural ;
2. Les prestations énumérées au II de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ;
3. Les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation ;
4. Les salaires et les accessoires du salaire maintenus par l'employeur pendant la période d'inactivité consécutive à l'événement qui a occasionné le dommage ;
5. Les indemnités journalières de maladie et les prestations d'invalidité versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et les sociétés d'assurance régies par le code des assurances. »
« Hormis les prestations mentionnées aux articles 29 et 32, aucun versement effectué au profit d'une victime en vertu d'une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n'ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur.
Toute disposition contraire aux prescriptions des articles 29 à 32 et du présent article est réputée non écrite à moins qu'elle ne soit plus favorable à la victime.
Toutefois lorsqu'il est prévu par contrat, le recours subrogatoire de l'assureur qui a versé à la victime une avance sur indemnité du fait de l'accident peut être exercé contre l'assureur de la personne tenue à réparation dans la limite du solde subsistant après paiements aux tiers visés à l'article 29. Il doit être exercé, s'il y a lieu, dans les délais impartis par la loi aux tiers payeurs pour produire leurs créances. »
■ Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises
« La partie qui invoque la contravention au contrat doit prendre les mesures raisonnables, eu égard aux circonstances, pour limiter la perte, y compris le gain manqué, résultant de la contravention. Si elle néglige de le faire, la partie en défaut peut demander une réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui aurait dû être évitée. »
■ Principes UNIDROIT
Article 7.4.8 Atténuation du préjudice
« 1) Le débiteur ne répond pas du préjudice dans la mesure où le créancier aurait pu l’atténuer par des moyens raisonnables.
2) Le créancier peut recouvrer les dépenses raisonnablement occasionnées en vue d’atténuer le préjudice. »
■ Principes européens du droit des contrats
Article 9:505 Réduction du préjudice
« 1) Le débiteur n'est point tenu du préjudice souffert par le créancier pour autant que ce dernier aurait pu réduire son préjudice en prenant des mesures raisonnables.
2.) Le créancier a droit au remboursement de tous frais qu'il a raisonnablement engagés en tentant de réduire le préjudice. »
■ Rapport sur l'avant-projet de réforme du droit des obligations (Articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (Articles 2234 à 2281 du Code civil), P. Catala
« Lorsque la victime avait la possibilité, par des moyens sûrs, raisonnables et proportionnés, de réduire l'étendue de son préjudice ou d'en éviter l'aggravation, il sera tenu compte de son abstention par une réduction de son indemnisation, sauf lorsque les mesures seraient de nature à porter atteinte à son intégrité physique. »
■ Groupe de travail sur le projet intitulé « Pour une réforme du droit de la responsabilité civile » sous la direction de F. Terré
Article 53
« Sauf en cas d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne, le juge pourra réduire les dommages-intérêts lorsque le demandeur n’aura pas pris les mesures sûres et raisonnables propres à empêcher l’aggravation de son préjudice. »
■ Civ. 2e, 5 mars 2015, n° 14-10.758.
■ Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-18.459.
■ Civ. 2e, 25 oct. 2012, n° 11-25.511.
■ Civ. 3e, 5 févr. 2013, n° 12-12.124.
■ Civ. 2e, 19 juin 2003, n° 01-13.289, RTD civ. 2003. 716, note P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 19 juin 2003, n° 00-22.302, RTD civ. 2003. 716, note P. Jourdain.
■ Y. Lambert-Faivre, L'indemnisation du dommage corporel : problèmes juridiques et économiques, D. 2004. 161.
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