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Procédure civile
L’abus du droit d’agir en justice doit être motivé
Mots-clefs : Abus d’agir en justice, Procédure abusive, Voie de recours
Pour condamner une personne au paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, la faute, faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice et d’exercer une voie de recours, doit être caractérisée.
Ester en justice est un droit fondamental reconnu à toute personne titulaire de la capacité à agir. Si l’exercice de ce droit ne peut, à lui seul, justifier une condamnation à des dommages-intérêts, notons que tout droit peut être exercé dans des circonstances abusives et, ainsi, donner lieu à des sanctions.
En l’espèce, revendiquant des droits d’auteur sur un élément technologique, une société a assigné une autre ainsi que son fabriquant en contrefaçon et concurrence déloyale pour avoir reproduit son invention où il a également été fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux des deux entreprises.
L’intérêt de cet arrêt porte sur la question de l’abus du droit d’agir en justice et d’exercer une voie de recours.
Rappelons que la jurisprudence s'est prononcée, et ce depuis longtemps, en faveur de la théorie de l'abus de droit appliquée à l'action en justice. Elle imposait, à l’origine, de « caractériser l'abus par l'intention malicieuse, la mauvaise foi ou l'erreur grossière équipollente au dol » (V. Y. Avril).
Cependant, elle a opéré un revirement par un arrêt rendu en 1985 considérant alors qu’un simple comportement fautif, voire une légèreté blâmable étaient suffisant (Civ. 2e, 10 janv. 1985). Partant, l’intention de nuire n’est plus une condition nécessaire pour établir la responsabilité du plaideur fautif (Civ. 2e, 11 sept. 2008), même si certains abus restent intentionnels (Civ. 1re, 9 juin 2010).
Toutefois, la Haute juridiction veille rigoureusement à ce que les condamnations pour procédure abusive soient fortement motivées et que les circonstances de nature à faire dégénérer l’exercice de l’action en faute soient caractérisées (Civ. 2e, 6 mars 2003). Par une jurisprudence abondante, la Cour a censuré de nombreuses décisions reprochant aux juges du fonds d’avoir retenu «des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice » (Civ. 3e, 27 janv. 2015; Civ. 3e, 26 nov. 2013; Civ. 3e, 10 juill. 2012). Si l’on sait que l’abus peut résulter de l’absence de tout fondement juridique à l’action, de son intention malveillante ou encore de la volonté de multiplier les procédures engagées, la notion de procédure reste difficile à cerner et le juge demeure souverain pour apprécier les circonstances.
Par ailleurs, la poursuite de la procédure en appel est la manifestation même du droit d’agir en justice. Il peut également y avoir à ce niveau de la procédure une utilisation abusive de ce droit. Notons, toutefois, que le plaideur ne pourra pas être condamné pour procédure abusive dans le cas où sa demande est accueillie et ce, même partiellement (Civ. 3e, 27 mai 2008). De même, le plaideur qui a eu gain de cause en première instance, mais qui est débouté en appel, échappe en principe à toute condamnation pour procédure abusive (Civ. 1re, 30 sept. 2003).
Aux termes de l’article 32-1 du Code de procédure civile, le plaideur qui « agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ». Le juge a donc la possibilité de sanctionner l’utilisation abusive du service public en prononçant une amende payable au Trésor public. Des dispositions analogues sont prévues en matière d’exercice abusif des voies de recours (amende civile de 3 000 euros : C. pr. civ., art. 559 pour l’appel abusif et C. pr. civ., art. 628).
En l’espèce, la cour d’appel a condamné, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, le plaideur au paiement de dommages-intérêts au motif que les saisies-contrefaçon, la demande et l’appel formés ont occasionné un trouble commercial au préjudice de la société et de son fabriquant.
Par la suite, la Cour de cassation a cassé la décision estimant que les motifs étaient impropres « à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice et d’exercer une voie de recours ».
Si la Haute juridiction réaffirme avec sévérité que l’abus doit être motivé, elle n’apporte pas pour autant davantage de précisions quant aux critères de nature à retenir l’abus de ce droit.
L’équilibre entre le droit d’ester en justice et la lutte contre les actions abusives semble demeurer délicat à établir.
Civ.1re, 9 avril 2015, n° 14-11.853
Références
■ Code civil
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
■ Code de procédure civile
« Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
Article 559
« En cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés.
Cette amende, perçue séparément des droits d'enregistrement de la décision qui l'a prononcée, ne peut être réclamée aux intimés. Ceux-ci peuvent obtenir une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire sans que le non-paiement de l'amende puisse y faire obstacle. »
« Le demandeur en cassation qui succombe dans son pourvoi ou dont le pourvoi n'est pas admis peut, en cas de recours jugé abusif, être condamné à une amende civile dont le montant ne peut excéder 3 000 euros et, dans les mêmes limites, au paiement d'une indemnité envers le défendeur. »
■ Y. Avril, Dalloz référence, Responsabilité des avocats, 3e éd., 2015-2016, 21.41.
■ Civ. 2e, 10 janv. 1985, Gaz. Pal. 1985. Pan. 113.
■ Civ. 2e, 11 sept. 2008, n° 07-18.483, LPA 4 nov. 2008, p.13, obs. G. Canselier.
■ Civ. 1re, 9 juin 2010, n° 09-10.641, RTD civ. 2010. 545, note Hauser.
■ Civ. 2e, 6 mars 2003, n° 01-00.507.
■ Civ. 3e, 27 janv. 2015, n° 13-25.305.
■ Civ. 3e, 26 nov. 2013, n° 12-24.826.
■ Civ. 3e, 10 juill. 2012, n° 10-13.921.
■ Civ. 3e, 27 mai 2008, n° 07-12.906.
■ Civ. 1re, 30 sept. 2003, n° 00-20.323.
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