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Droit des obligations
L’acceptation par le bailleur d’une demande de renouvellement aux clauses et conditions du bail initial vaut également pour le loyer.
Le preneur ayant formulé une demande de renouvellement du bail aux clauses et conditions du contrat précédent et le bailleur ayant accédé à cette demande, les parties ont ainsi conclu un accord exprès sur le renouvellement du bail aux mêmes clauses et conditions, de sorte que la demande ultérieure du preneur en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.
Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-24.231
En cette période de crise sanitaire, les demandes de révision à la baisse des loyers des baux commerciaux se multiplient au point que les professionnels de l’immobilier sont nombreux à en appeler à une adaptation des modes habituels de fixation du loyer en fonction de la valeur locative du bien lors du renouvellement du bail (J.-J. Martel, « La promesse d’un Black Friday des valeurs locatives ? », Dalloz actu, 9 févr. 2021).
Rappelons en effet qu’en vertu de l’article L. 145-33 du Code de commerce et des dispositions règlementaires y afférant, si le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit en principe correspondre à la valeur locative de marché, à défaut d'accord entre les parties, cette valeur est déterminée en considération de plusieurs variables, notamment des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité, ou encore des prix couramment pratiqués dans le voisinage. Génératrice d’incertitudes sur la valeur définitive qui en résultera, et à défaut d’abattement « spécial covid » malgré l’impact probable de cette crise sur la valeur locative, il est d’autant plus crucial pour le preneur à bail de prêter une attention particulière à la rédaction de sa demande de renouvellement pour éviter de perdre tout espoir de diminution du prix de son loyer. Tel est l’enseignement, à la fois théorique et pratique, de la décision rapportée.
En 2007, le propriétaire de locaux commerciaux les avait donnés à bail à un célèbre chausseur moyennant un loyer annuel de 300 000 euros. Par acte d’huissier du 23 novembre 2016, le preneur avait demandé le renouvellement du bail « aux clauses et conditions du bail venu à expiration ». Deux jours plus tard, le bailleur lui avait fait délivrer un acte par lequel il acceptait expressément sa demande. Le preneur avait, sur la base de cette acceptation, sollicité quatre jours plus tard l’abaissement du loyer du bail renouvelé à la somme de 123 000 euros. Le bailleur ayant décliné sa proposition, le preneur avait alors saisi le juge des loyers commerciaux d’une action en fixation du loyer. En effet, en cas de désaccord des parties sur le montant du loyer, une action judiciaire peut être engagée, par chacune des parties au contrat à l’issue d’un délai de trois mois suivant la notification par le preneur d’une demande de renouvellement et en l’absence d’exercice par chacun des contractants de leur droit d’option respectif : le preneur en renonçant à son droit au renouvellement, le bailleur en refusant d’accéder à la demande du preneur à charge de lui verser une indemnité d’éviction si le preneur remplit les conditions légales pour y prétendre.
Cependant, en l’absence de désaccord des parties, l’acceptation par le bailleur de la demande de renouvellement aux clauses et conditions initiales valant également pour le loyer, la cour d’appel avait, par un arrêt confirmatif, rejeté la demande du preneur.
Ce dernier forma un pourvoi en cassation, soutenant que la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » insérée dans une demande de renouvellement du bail, si elle peut traduire la volonté des parties de renouveler le bail, ne peut suffire à caractériser un engagement précis, complet et ferme du locataire sur le montant du loyer du bail à renouveler. Ainsi, les juges du fond ne pouvaient-ils rejeter sa demande de voir fixer judiciairement le loyer de renouvellement du bail, au motif erroné que les parties auraient toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans mention d’aucune réserve et, ainsi, exprimé de façon explicite leur accord sur le montant du loyer. L’auteur du pourvoi s’appuyait implicitement sur un précédent de la Cour favorable à sa thèse, qui avait approuvé une cour d’appel d’avoir retenu que « la mention aux mêmes clauses et conditions du bail antérieur » portée dans une demande de renouvellement, « formule d’usage, qui ne faisait aucune référence expresse au loyer élément essentiel du contrat de bail, ne pouvait suffire à caractériser un engagement précis, complet et ferme de la locataire sur le montant du loyer du bail à renouveler » (Civ. 3e, 24 juin 2009, n° 08-13970).
La Cour de cassation rejette pourtant son pourvoi. Elle relève que la cour d’appel a constaté que le preneur avait formulé une demande de renouvellement du bail aux clauses et conditions du précédent bail, sans mention d’aucune réserve, et que le bailleur avait exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures. Ainsi a-t-elle souverainement retenu que les parties ayant toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures », elles avaient ainsi conclu un accord exprès sur les conditions et clauses du bail précédent.
Dès lors, pour la Haute juridiction, la cour d’appel a exactement déduit, de ce seul motif, que la demande en fixation du loyer du bail renouvelé devait être rejetée. Elle confirme ainsi la fixation définitive du prix du bail renouvelé au montant du dernier loyer.
Cette décision offre l’occasion de rappeler que l’action en fixation du loyer du bail renouvelé ne vaut qu’en l’absence d’accord des parties sur le montant du loyer de renouvellement, comme le précise d’ailleurs l’article L. 145-33 du Code de commerce (al. 2). Il en va de la préservation de la liberté contractuelle. Cependant, celle-ci suppose également de caractériser avec certitude l’accord des parties.
Or en l’espèce, la caractérisation d’un tel accord, au surplus qualifié d’ « exprès », paraît discutable. En effet, en pratique, les demandes de renouvellement sont adressées par le biais d’un acte d’huissier comportant une formule type pré-rédigée par laquelle les preneurs se bornent à demander le renouvellement du bail sans préciser, en général, le montant du nouveau loyer envisagé qu’ils restent libres, à ce stade, de proposer à leurs bailleurs dès lors que la détermination exacte de son montant n’empêche que le nouveau loyer prenne ensuite effet, rétroactivement, à la date d’effet du renouvellement (comp., concernant la situation du bailleur, C. com., art. R. 145-11 ; v. Civ. 3e, 7 janv. 2009, n° 07-19.464). Or s’il va de soi que dans l’attente d’une fixation définitive du loyer, par voie amiable ou judiciaire, les parties restent liées par les conditions du bail précédent et le preneur, tenu de payer le loyer qui y est stipulé, il ne peut toutefois être déduit de la poursuite de cette exécution du contrat en cours de renouvellement l’existence d’un accord définitif, même tacite, sur le principe même de ce renouvellement ni sur celui de ses conditions, essentiellement de son prix. C’est dire que durant cette période de latence, le preneur conserve son droit de renoncer à agir en fixation judiciaire du loyer, en application des règles de droit commun selon lesquelles « la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes de son titulaire manifestant sans équivoque la volonté de renoncer » (v. en ce sens, par ex.: Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-10.371 ; Civ. 3e, 12 nov. 2020, n° 19-21.170), de même qu’en droit commun des contrats, le « silence ne vaut pas acceptation » (C .civ., art. 1120).
Or dans le présent arrêt, cette exigence d’univocité nous semble contredite par la forme stéréotypée sus évoquée de la demande de renouvellement adressée par le preneur, comme l’avait déjà jugé la Cour pour refuser de considérer, dans cette hypothèse, le prix du bail renouvelé définitivement fixé (Civ. 3e, 24 juin 2009, préc.). En effet, le principe là encore général du consensualisme contractuel signifie que même sans avoir à être exprimée selon des formes particulières impératives, la volonté contractuelle doit toutefois être extériorisée sans équivocité pour être caractérisée, a fortiori lorsqu’elle porte sur un élément essentiel du contrat, en l’occurrence, son prix.
Ce sont sans doute les circonstances propres à l’espèce qui justifient que l’ensemble des magistrats saisis de ce litige se soient départis de ces règles dont la combinaison aurait pu les conduire à refuser de déduire de la poursuite du bail aux mêmes conditions contractuelles l’existence d’un accord même tacite de renouvellement, pour caractériser ici l’existence d’un accord explicite, et même « exprès ». En effet, preneur et bailleur avaient, en seulement 48 heures, échangé une demande et une acceptation en des termes identiques se référant sans aucune réserve aux « clauses et conditions du précédent bail ».
Si ces circonstances autorisent à tempérer la portée de la solution ici rendue, la prudence commande toutefois d’inviter les preneurs à mentionner dès la demande de renouvellement le prix proposé. Les faits de l’espèce ne peuvent là encore que nous en convaincre, l’écart de plus de 50% entre le montant du loyer et son estimation par le preneur attestant du danger que ce dernier encourt si les conséquences que la Cour attache à des formules types employées dans les demandes de renouvellement, sans s’enquérir des intentions véritables de leurs auteurs, venaient à être confirmées.
Références :
■ Civ. 3e, 24 juin 2009, n° 08-13.970: AJDI 2009. 711
■ Civ. 3e, 7 janv. 2009, n° 07-19.464 P: D. 2009. 227, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2009. 709, obs. J.-P. Blatter
■ Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-10.371: AJDI 2020. 505
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