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[ 19 juin 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

L’accès limité à une thérapie expérimentale justifié

Mots-clefs : Thérapie expérimentale, Conditions d’accès, Refus motivé, Ingérence, Droit à la vie, Droit au respect de la vie privée et familiale, Droit à un procès équitable, Interdiction de discrimination, Protection de la santé, Double degré de juridiction

Correctement motivé, le refus d’autoriser l’accès à une thérapie expérimentale n’est ni contraire aux articles 2 et 8 de la Conv. EDH, ni discriminatoire.

En Italie, un père avait sollicité, au nom de sa fille atteinte d’une pathologie cérébrale dégénérative, l’accès à une thérapie en cours d’expérimentation. L’accès fut autorisé provisoirement, en référé. Cependant, lors de l’audience au fond, la première décision fut révoquée. Les conditions prévues par le décret-loi italien réglementant l’accès à la thérapie n’étaient, selon les juges italiens, pas remplies. Souhaitant contester cette décision, le père a introduit une réclamation, qui fut également rejetée. Il saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme.

Le requérant souhaite, dans un premier temps, que le refus d’accès à la thérapie soit reconnu comme contraire à l’article 8 de la Conv. EDH (droit au respect de la vie privée et familiale) et à l’article 2 (droit à la vie). Dans un deuxième temps, il estime ne pas avoir eu accès à une juridiction de second degré, en violation de l’article 6 § 1er de la même convention (droit à un procès équitable). Dans un troisième temps, il dénonce la violation de l’article 14 de la Conv. EDH (interdiction de discrimination) : une distinction discriminatoire aurait été faite au détriment de sa fille, en comparant les décisions retenues à son égard et celles prises envers d’autres personnes se trouvant sensiblement dans le même état de santé qu’elle.

Tout d’abord, la Cour estime que le refus des juges italiens d’accorder l’accès aux soins à la fille du requérant constitue bien une ingérence dans le respect de sa vie privée. Toutefois, depuis l’arrêt Pretty c/ Royaume-Uni, cette ingérence peut être justifiée à certaines conditions. En effet, l’ingérence doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime, et le rapport entre la loi et l’objectif poursuivi doit être proportionné.

En l’espèce, un décret-loi italien organise cette ingérence, et a pour finalité la protection de la santé. Un juste équilibre doit être recherché entre les intérêts de l’individu, et ceux de la collectivité pour apprécier la proportionnalité de la mesure, et une telle proportion est retenue par les juges européens (CEDH 13 nov. 2012, Hristozov et autres c/ Bulgarie). La Cour rappelle que les États membres ont une très large marge d’appréciation, dans le domaine de la santé, et que le juge européen ne peut se substituer au juge national lorsqu’il doit « déterminer le niveau de risque acceptable par les patients souhaitant accéder à des soins compassionnels dans le cadre d’une thérapie expérimentale » (§ 40). La Cour estime également que cette ingérence est nécessaire, dans une société démocratique. Du fait de la motivation des juges nationaux, s’appuyant sur la valeur scientifique de la thérapie remise en question dans une autre instance pendante, la Cour rejette le grief relatif à la violation des articles 2 et de la Conv. EDH.

Ensuite, dans le cadre des référés, la procédure italienne ne permet de contester la décision que par le biais d’une réclamation devant une formation plus élargie. Le requérant soutient que cette seule possibilité, pour contester la décision du tribunal, est contraire aux principes posés par l’article 6 § 1er de la Conv. EDH. La Cour rappelle ici que l’article précité ne garantit pas, en matière civile, le droit au double degré de juridiction [CEDH 25 janv. 2007, Iorga c/ Roumanie ; v. Rep. pr. civ., V° « Procès équitable », n°137 ; cette garantie de double juridiction est prévue en matière pénale, dans l’article 2 du Protocole n°7 : v. Rep. pén., V° « Convention européenne des droits de l'homme (Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière pénale) », n°647 s.].

Enfin, concernant la différence de traitement alléguée par le requérant, la Cour rappelle que cette différence doit être qualifiable de discriminatoire, c’est-à-dire qu’elle doit « manque(r) de justification objective et raisonnable » (§ 46). En l’espèce, elle estime que le caractère discriminatoire (Conv. EDH, art. 14) n’est pas caractérisé par le simple fait que l’accès à la thérapie a été autorisé à d’autres personnes. En outre, la décision du tribunal se trouve être motivée et non arbitraire. En effet, elle souligne que le refus pris en application d’un décret-loi poursuivait le but légitime de protection de la santé et était proportionné à cet objectif, et que les bienfaits de la thérapie n’avaient pas encore été prouvés.

CEDH 6 mai 2014, Durisotto c/ Italie, n° 62804/13

Références 

 CEDH 29 avr. 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, n° 2346/02.

 CEDH 13 nov. 2012, Hristozov et autres c/ Bulgarie, nos 47039/11 et 358/12

 CEDH 25 janv. 2007, Iorga c/Roumanie, n° 4227/02.

■ Rép. pr. civ., Serge Guinchard, V°« Procès équitable ».

■ Rép. pén., Pascal Dourneau-Josette, V° « Convention européenne des droits de l'homme (Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière pénale) ».

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 2 - Droit à la vie

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Article 6 - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique,  lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend  pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

■ Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'amendé par le protocole n° 11

Article 2 – Droit à un double degré de juridiction en matière pénale

« 1. Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation.  L'exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2. Ce droit peut faire l'objet d'exceptions pour des infractions mineures telles qu'elles sont définies par la loi ou lorsque l'intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d'un recours contre son acquittement. »

 

Auteur :M. R.

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