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Droit européen et de l'Union européenne
L’adaptation des conditions de mise en œuvre de la récidive pour les sociétés mères en concurrence
Mots-clefs : Amende, Circonstances aggravantes, Récidive, Sanction, Société mère, Filiale, Unité économique, Entreprise, Entente, Pratiques anticoncurrentielles, Droit de la défense, Communication des griefs, Contrôle effectif, Autonomie
La circonstance aggravante que constitue la récidive dans le calcul d’une amende est un moyen puissant de dissuader les entreprises de s’affranchir des règles en matière d’ententes et d’abus de position dominante. La récidive n’est pas expressément prévue dans les textes de l’Union mais elle constitue selon la Cour un élément de la sanction au regard de l’article 23, paragraphe 2 du règlement n°1/2003 et des lignes directrices de 2006 sur les amendes. La Cour de justice avait retenu une mise en œuvre restrictive de la récidive notamment par rapport aux sociétés mères, considérant qu’elles devaient avoir été expressément sanctionnées une première fois pour que la récidive puisse être envisagée. La Cour de justice modifie sa jurisprudence en admettant que la société mère puisse être sanctionnée au titre de la récidive, même si elle n’a pas été visée lors d’une première procédure dès lors que l’une de ses filiales s’est rendue coupable d’un comportement anticoncurrentiel. La Cour de justice exige cependant, afin de respecter pleinement les droits de la défense, que la décision de la Commission expose clairement en quelle qualité et dans quelle mesure la société mère aurait été impliquée dans l’infraction antérieure.
Le droit de la concurrence s’adapte aux stratégies des entreprises visant à échapper aux prononcés d’amendes élevées pour la violation des règles en matière d’ententes et d’abus de position dominante (respectivement, TFUE, art. 101 et 102). La récidive constituait une circonstance aggravante uniquement si l’entreprise se rendait coupable d’une réitération du même comportement anticoncurrentiel. Or une société mère, pour éviter cette aggravation de la sanction, pouvait être tentée de modifier sa structure juridique par la création de nouvelles filiales, tout en supprimant d’autres déjà condamnées. La Cour insiste toutefois sur l’exigence du respect des droits de la défense comme contrepartie à une extension des hypothèses de reconnaissance de la récidive à l’encontre des sociétés mères. La motivation de la décision de la Commission doit en conséquence être renforcée.
Les faits prennent naissance dans une décision de la Commission du 5 décembre 2007 imposant une amende à plusieurs entreprises pour une entente dans le secteur du caoutchouc chloroprène. Cette décision a retenu la circonstance aggravante de récidive à l’encontre de Versalis et Eni, majorant l’amende initiale de 60%. La décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal de l’Union, celui-ci a confirmé la légalité de la décision sauf en ce qui concerne la circonstance aggravante de récidive, celle-ci ne pouvant pas être retenue à l’égard de la société mère Eni, selon les juges. L’arrêt a fait l’objet d’un pouvoi, notamment à l’initiative de la Commission. Dans cet arrêt, la Cour ne retient pas le même raisonnement que le Tribunal sur les conditions de mise en œuvre de la récidive.
L’apport de l’arrêt se situe véritablement sur les conditions de mise en œuvre de cette circonstance aggravante, la récidive, qui fait l’objet d’un contentieux régulier au regard de son impact financier.
En l’espèce, la condamnation d’Eni à la récidive est liée à la condamnation dans une affaire précédente de deux de ses filiales sur lesquelles elle avait un contrôle effectif, c’est-à-dire qu’Eni leur donnait des instructions que les filiales respectaient. Cependant la société Eni n’avait pas été condamnée dans cette précédente affaire.
Pour faire évoluer sa jurisprudence sur la récidive, la Cour s’appuie sur l’existence d’une unité économique, c’est-à-dire que la société mère et ses filiales constituent une seule entité, définie comme une seule entreprise dans le cadre de l’application du droit de la concurrence. Peu importe la structure juridique existante au sein de cette entité, celle-ci est perçue comme une seule entreprise, dès lors que la société mère détient un contrôle effectif sur ses filiales empêchant ces dernières d’avoir un comportement autonome sur le marché.
Ainsi la Cour de justice juge que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère, même si cette dernière n’a pas fait l’objet de poursuite directement par communication des griefs. La communication des griefs est un document qui intervient à l’initiative de la Commission afin de préciser à chacune des sociétés ce qui lui est reproché dans le cadre de l’enquête de concurrence. Cette communication est essentielle étant donné qu’elle donne à toute société les informations nécessaires à sa défense. Lorsqu’une unité économique est visée, la Commission doit envoyer une communication des griefs individualisée c’est-à-dire une pour chaque filiale et une pour la société mère si des éléments lui sont reprochés.
Dans l’affaire en cause, Eni n’avait pas fait l’objet d’une communication des griefs, contrairement à certaines de ses filiales. Jusqu’à présent cette absence de communication des griefs empêchait de retenir la récidive dans une affaire postérieure, la société mère n’ayant pas fait l’objet de poursuite à titre personnel.
La Cour modifie cette approche considérant que l’absence de communication des griefs et de sanction n’empêche pas de retenir au cours d’une seconde affaire la récidive.
Cette extension des possibilités de récidive s’accompagne d’une exigence forte à destination de la Commission, le respect des droits de la défense. La Commission doit motiver davantage sa décision en revenant très précisément sur l’infraction antérieure en expliquant ce qu'elle reproche à la société mère. Il n’est pas suffisant de faire mention à la décision antérieure. En effet, une telle mention empêche, y compris le juge, de saisir en quelle qualité et dans quelle mesure la société a été impliquée dans la précédente infraction.
La Cour se montre ainsi stricte de manière à ce que les juges puissent effectuer un véritable contrôle. En l’espèce, la Commission s’était contentée d’une simple mention de la décision antérieure, sans autres éléments complémentaires ; la Cour écarte, en conséquence, la circonstance aggravante de récidive.
CJUE 5 mars 2015, Commission européenne c/ Versalis, ENI., C-93/13P et C-123/13P
Références
■ Article 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité
« Amendes
1. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes jusqu'à concurrence de 1 % du chiffre d'affaires total réalisé au cours de l'exercice social précédent lorsque, de propos délibéré ou par négligence:
a) elles fournissent un renseignement inexact ou dénaturé en réponse à une demande faite en application de l'article 17 ou de l'article 18, paragraphe 2;
b) en réponse à une demande faite par voie de décision prise en application de l'article 17 ou de l'article 18, paragraphe 3, elles fournissent un renseignement inexact, incomplet ou dénaturé ou ne fournissent pas un renseignement dans le délai prescrit;
c) elles présentent de façon incomplète, lors des inspections effectuées au titre de l'article 20, les livres ou autres documents professionnels requis, ou ne se soumettent pas aux inspections ordonnées par voie de décision prise en application de l'article 20, paragraphe 4;
d) en réponse à une question posée conformément à l'article 20, paragraphe 2, point e),
- elles fournissent une réponse incorrecte ou dénaturée, ou
- elles omettent de rectifier dans un délai fixé par la Commission une réponse incorrecte, incomplète ou dénaturée donnée par un membre du personnel, ou
- elles omettent ou refusent de fournir une réponse complète sur des faits en rapport avec l'objet et le but d'une inspection ordonnée par une décision prise conformément à l'article 20, paragraphe 4;
e) des scellés apposés en application de l'article 20, paragraphe 2, point d), par les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés de la Commission, ont été brisés.
2. La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d'entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 81 ou 82 du traité, ou
b) elles contreviennent à une décision ordonnant des mesures provisoires prises au titre de l'article 8, ou
c) elles ne respectent pas un engagement rendu obligatoire par décision en vertu de l'article 9.
Pour chaque entreprise et association d'entreprises participant à l'infraction, l'amende n'excède pas 10 % de son chiffre d'affaires total réalisé au cours de l'exercice social précédent.
Lorsque l'infraction d'une association porte sur les activités de ses membres, l'amende ne peut dépasser 10 % de la somme du chiffre d'affaires total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l'infraction de l'association.
3. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.
4. Lorsqu'une amende est infligée à une association d'entreprises en tenant compte du chiffre d'affaires de ses membres et que l'association n'est pas solvable, elle est tenue de lancer à ses membres un appel à contributions pour couvrir le montant de l'amende.
Si ces contributions n'ont pas été versées à l'association dans un délai fixé par la Commission, celle-ci peut exiger le paiement de l'amende directement par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels concernés de l'association.
Après avoir exigé le paiement au titre du deuxième alinéa, lorsque cela est nécessaire pour garantir le paiement intégral de l'amende, la Commission peut exiger le paiement du solde par tout membre de l'association qui était actif sur le marché sur lequel l'infraction a été commise.
Cependant, la Commission n'exige pas le paiement visé aux deuxième et troisième alinéas auprès des entreprises qui démontrent qu'elles n'ont pas appliqué la décision incriminée de l'association et qu'elles en ignoraient l'existence ou s'en sont activement désolidarisées avant que la Commission n'entame son enquête.
La responsabilité financière de chaque entreprise en ce qui concerne le paiement de l'amende ne peut excéder 10 % de son chiffre d'affaires total réalisé au cours de l'exercice social précédent.
5. Les décisions prises en application des paragraphes 1 et 2 n'ont pas un caractère pénal. »
■ Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (2006/C 210/02).
■ Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
Article 101 (ex-article 81 TCE)
« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et
- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées
qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence. »
Article 102 (ex-article 82 TCE)
« Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »
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