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[ 26 avril 2019 ] Imprimer

Droit pénal général

L’administration de substance nuisible, infraction résolument matérielle

L’infraction d’administration de substances nuisibles prévue par l’article 222-15 du Code pénal ne saurait être caractérisée dès lors que la victime n’a pas été effectivement contaminée par le VIH auquel elle avait été volontairement exposée par son partenaire ne l’ayant informé de sa séropositivité. 

M.V. a entretenu des relations sexuelles non protégées avec sa partenaire sans l’avoir prévenue qu’il était atteint du VIH sans toutefois la contaminer. Le juge d’instruction ayant rendu une ordonnance de non-lieu par laquelle il a exclu toute poursuite pénale à l’encontre de M.V., notamment sur le fondement de l’article 222-15 du Code pénal, Mme R. relève appel de cette décision. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rouen confirme l’ordonnance rendue par le juge d’instruction du chef d’administration de substances nuisibles.

L’infraction d’administration de substances nuisibles est fréquemment sollicitée dans les cas de contamination volontaire par le VIH mais sa structure et l’absence de répression de la tentative de cette infraction empêchent bien souvent les poursuites effectives de ces actes lorsqu’aucune contamination effective ne s’en est suivie. Entendue par l’article 222-15 du Code pénal, l’administration de substances nuisibles est définie comme celle qui a porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui. En l’espèce, Mme R. n’ayant pas été effectivement contaminée, se posait la question de l’applicabilité de l’article 222-15 au comportement de M. V. consistant alors seulement dans le fait d’avoir entretenu des relations sexuelles non protégées avec un partenaire tout en omettant de l’informer de sa séropositivité. C’est curieusement sur la question de la nature potentiellement nuisible du VIH que se fonde la cour d’appel pour rejeter l’appel de  Mme R., entretenant de la sorte une confusion autour de la nature de l’infraction. 

En effet, la cour d’appel relève que les fluides corporels de M. V. ne sauraient être tenus pour nuisibles à la date des agissements qui lui sont reprochés bien qu’il demeurait marginalement porteur de particules virales. En effet, la charge virale de VIH avait été constamment indétectable depuis 2001. La cour d’appel énonce également que l’existence d’un risque négligeable n’entre pas en contradiction avec ses précédentes conclusions dans la mesure où « si les scrupules théoriques imposent aux experts [...] de retenir, comme en l’espèce, la notion de risque négligeable », la nuance avec le risque nul est indifférente à l’appréciation des effets de la substance dès lors qu’il faut une charge virale détectable chez une personne infectée pour qu’elle puisse contaminer quelque partenaire. 

Au contraire, les moyens du pourvoi relèvent que l’infraction d’administration de substances nuisibles est caractérisée dès lors qu’est constatée la transmission de substances susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui. Dès lors, le constat opéré par la cour d’appel selon lequel les fluides corporels de M. V. ne peuvent s’analyser comme des substances nuisibles dans la mesure où ils comportent une charge virale constamment indétectable de longue date serait indifférent à la constitution de l’infraction au titre de ses éléments constitutifs. Cet argument est renforcé par le constat des experts qui retiennent que, bien qu’infime, il demeure un risque de contamination dans une telle hypothèse, d’où il suivrait une contradiction dans les motifs de la cour d’appel. Dans le second moyen, la partie civile faisait grief aux juges du fond de n’avoir pas recherché si d’autres qualifications idoines n’étaient pas caractérisées sur le fondement des violences psychologiques, « constituées même sans atteinte physique de la victime, par tout acte de nature à impressionner vivement celle-ci et à lui causer un choc émotif ». 

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel. Rappelant la décision rendue par la cour d’appel, elle relève rigoureusement que l’infraction ne saurait être caractérisée « dès lors qu’en l’absence de contamination de la partie civile, l’élément matériel de l’infraction faisait défaut ». La structure matérielle de l’infraction d’administration de substance nuisible est ainsi confirmée, faisant de cette infraction une réelle infraction de résultat. De façon plus étonnante, la Cour de cassation rejette le second moyen du pourvoi estimant que « les faits n’étaient susceptibles d’aucune autre qualification pénale ». 

Cette décision, irréprochable quant au rappel de la nature matérielle de l’infraction de l’article 222-15, semble davantage contestable quant à l’atteinte psychique qui, elle, aurait été de nature à caractériser l’infraction dans sa dimension psychique, voire même l’infraction de violences volontaire, caractérisée dès lors qu’elle occasionne un choc émotif. Néanmoins, cette solution s’explique aisément par l’absence de caractère nuisible des fluides ainsi transmis. En effet, l’administration de substances nuisibles suppose que soit caractérisé le caractère nuisible de la substance ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Néanmoins, en ce qu’elle s’articule autour de la nature potentiellement nuisible du VIH, la décision de la cour d’appel tend involontairement à jeter un trouble quant à la nature de l’infraction elle-même. Elle pourrait en effet laisser entendre que la solution aurait pu être différente si, bien que non contaminée, la victime avait été exposée à un risque réel. 

Cet arrêt est encore l’occasion de rappeler les failles de l’arsenal répressif en matière de tentative de contamination par le VIH.  

Crim. 5 mars 2019, n° 18-82.704 

Références

■ CA Rouen, ch. instr., 24 janv. 2018 Lasserre Capdeville

■ J. Lasserre Capdeville,  Administration de substances nuisibles, Rép. pén., mars 2019. 

■ Transmission volontaire du sida par voie sexuelle : les tourmentes du droit pénal, RDSS 2005. 415, note P. Mistretta 

■ J.-Ph. Vauthier, « Qualification pénale de la transmission sexuelle du VIH : le Conseil national du Sida tire (un peu trop fort) la sonnette d’alarme », Revue droit & santé, n° 67, p. 689. 

 

Auteur :Chloé Liévaux


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