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[ 12 février 2021 ] Imprimer

Droit de l'environnement

L’Affaire du Siècle : responsabilité de l’État pour manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique

Pour la première fois la justice reconnait un préjudice écologique lié à la carence partielle de l’État français concernant le non-respect des objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, cette carence engage sa responsabilité.

TA Paris, 3 février 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972 et 1904976

Fin 2018, quatre associations (Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France) avaient adressé un courrier à différents ministres afin de leur demander réparation pour les préjudices moral et écologique résultant des carences de l’État en matière de lutte contre le changement climatique et de prendre toute mesure utile permettant de stabiliser, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère « à un niveau qui permette de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels, en combinaison avec des objectifs appropriés pour les pays développés et les pays en développement, de prendre toute mesure utile à l’adaptation du territoire national, et particulièrement des zones vulnérables, aux effets du changement climatique, de cesser toute contribution directe ou indirecte de l’État français au changement climatique, de mettre en œuvre toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs fixés a minima en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du territoire national, de développement des énergies renouvelables et d’augmentation de l’efficacité énergique ». 

Leur demande ayant été rejetée par courrier en février 2019, ces associations, soutenues par plus de deux millions de français ont donc demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l’État à les indemniser du préjudice moral qu’elles estiment subir et du préjudice écologique à hauteur de 1 euro symbolique pour chacune d’entre elles et surtout d’enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents de mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État à ses obligations – générales et spécifiques – en matière de lutte contre le changement climatique ou d’en pallier les effets, de faire cesser le préjudice écologique. Elles reprochent ainsi à l’État « son incapacité à mettre en œuvre des mesures concrètes et effectives de lutte contre le changement climatique et le non-respect inéluctable par la France de ses multiples engagements et objectifs sur le climat » (V. dossier de presse l’Affaire du Siècle). Cette affaire est souvent considérée comme le premier grand procès climatique en France. 

Ces quatre associations étaient également intervenantes dans l’affaire commune de Grande-Synthe (CE 19 nov. 2020, n° 427301) où pour la première fois, le Conseil d'État s’est prononcé sur une affaire portant sur le respect des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la commune de Grande-Synthe l’avait saisi après le refus du Gouvernement opposé à sa demande que soient prises des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs issus de l'accord de Paris. Dans cette affaire, la requête de la commune de Grande-Synthe a été jugée recevable, cette commune littorale de la mer du Nord étant particulièrement exposée aux effets du changement climatique. Le Conseil d’État avait également admis les différentes interventions. Toutefois, les juges du Palais Royal ont demandé au Gouvernement, de fournir, dans un délai de trois mois, les justifications appropriées, et à la commune requérante ainsi qu'aux intervenantes tous éléments complémentaires.

■ La notion de préjudice écologique

L'article 4 de la Charte de l'environnement de 2004 prévoit que « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». Comme vient de le rappeler le Conseil constitutionnel : « Il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions. » (Cons. const. 5 févr. 2021, n° 2020-881 QPC). C'est la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui insère dans le Code civil des articles relatifs à la réparation du préjudice écologique (C. civ., art. 1246 à 1252). Ainsi, l'article 1246 du Code civil prévoit que toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer et l'article 1247 définit le préjudice écologique comme une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement.

■ L’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique

Avec l’Affaire du Siècle, le tribunal administratif de Paris reconnait l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Ce préjudice se manifeste notamment par l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre, responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques. En France, l’augmentation de la température provoque l’accélération de la perte de masse des glaciers, l’aggravation de l’érosion côtière (pour 1/4 des côtes françaises), risques de submersion (graves menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral. On assiste par exemple à l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes (canicules, sécheresses, incendies de forêts, précipitations extrêmes, inondations, ouragans) ; 62 % de la population française est exposée à ces risques qui « contribuent à l’augmentation de la pollution à l’ozone et à l’expansion des insectes vecteurs d’agents infectieux tels que ceux de la dengue ou du chikungunya ». 

En l’espèce, l’ensemble de ces éléments permettent au tribunal administratif de considérer que le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes est établi. Par ailleurs, l’État ne conteste pas l’existence d’un tel préjudice.

■ Le lien de causalité entre le préjudice écologique et les différents manquements reprochés à l’État en matière de lutte contre le changement climatique. 

Le tribunal administratif considère que l’État est responsable d’une partie de ce préjudice car il n’a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

En effet, le Haut Conseil pour le climat a rappelé que « les actions de la France ne sont pas encore à la hauteur des enjeux et des objectifs qu’elle s’est donnés ». Il a constaté l’absence de baisse substantielle dans tous les secteurs concernés. Les plafonds d’émissions fixés par les budgets carbone ont été dépassés pour la période 2015-2018 et cette tendance s’est confirmée pour 2019, comme l’a constaté le Haut Conseil pour le climat dans son rapport 2020. Ainsi, l’État doit être regardé comme ayant méconnu le premier budget carbone et n’a pas ainsi réalisé les actions qu’il avait lui-même reconnues comme étant susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre. De plus, « la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué ». 

La justice administrative reconnaît pour la première fois que l’État a commis une « faute » en se montrant incapable de tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre sur la période 2015-2018. 

■ La réparation du préjudice écologique

Il résulte des dispositions de l’article 1249 du Code civil que la réparation du préjudice écologique, préjudice non personnel, s’effectue par priorité en nature et si cela est impossible ou insuffisant, le juge condamne la personne responsable à verser des dommages et intérêts au demandeur, ceux-ci étant affectés à la réparation de l’environnement. 

Concernant l’Affaire du Siècle, le juge administratif constate que les quatre associations « ne démontrent pas que l’État serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique ». Par ailleurs, il rejette la demande de versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique comme étant sans lien avec l’importance de celui-ci. 

Enfin, il est ordonné un supplément d’instruction afin de soumettre les observations non communiquées des ministres compétents à l’ensemble des parties, dans un délai de deux mois, avant de statuer sur les conclusions des quatre requêtes tendant à ce que le tribunal enjoigne à l’État, afin de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté, de prendre toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

■ La réparation du préjudice moral

Compte tenu des carences fautives de l’État à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés, les associations requérantes recevront chacune la somme d’un euro chacune en réparation de leur préjudice moral. 

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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