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[ 9 décembre 2011 ] Imprimer

Droit des obligations

L’aléa contractuel n’empêche pas la réduction judiciaire de la rémunération convenue entre les parties

Mots-clefs : Contrat d’assurance-vie, Légataire universelle, Aléa, Lésion, Rémunération, Réduction

La réduction judicaire de la rémunération est possible dans un contrat où il existe un aléa exclusivement supporté par l’une des parties. Il appartient toutefois aux juges du fond d’apprécier l’équilibre entre la rémunération et le service rendu.

En l’espèce, un homme se proposa d’aider une veuve à mener pour son compte, toutes les procédures judiciaires nécessaires, d’en avancer et d’en supporter le coût, afin qu’elle puisse récupérer le capital garanti par le contrat d’assurance-vie souscrit par son défunt mari, dont elle avait été dépossédée. Elle s’engagea donc, par acte sous seing privé, à lui verser en cas de succès :

– un pourcentage des sommes nettes recouvrées à l’encontre de la société d’assurance ;

– un pourcentage de la succession de son défunt mari ;

– et le remboursement des frais de procédure.

La légataire ayant eu gain de cause, versa à son représentant uniquement le pourcentage convenu de la somme qu’elle avait perçue de la société d’assurance. Une fois que la veuve eut été en possession de son legs, l’homme l’assigna en paiement de la rémunération convenue au titre de l’actif net successoral. Elle sollicita alors reconventionnellement la réduction de cette rémunération. La cour d’appel ayant fait droit à la demande du requérant, la veuve porta l’affaire devant la Haute cour.

Rappelons, qu’un contrat est aléatoire quand les avantages ou les pertes qui en résulteront dépendent d’un événement incertain (art. 1104 C. civ). En principe, les contrats qui sont normalement rescindables pour lésion, c'est-à-dire en raison d’une disproportion entre les prestations, ne le sont plus lorsqu’ils revêtent un caractère aléatoire. Chacune des parties ayant accepté de courir un risque, aucune d’elles ne peut prétendre être lésée quoi qu’il advienne : l’aléa chasse la lésion (v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette).

Dans un premier temps, les tribunaux se sont reconnus le droit de réduire la rémunération, d’abord des mandataires, puis de tous les professionnels libéraux. Seuls échappaient à cette règle les généalogistes en raison du caractère aléatoire du contrat les liants à leurs clients : « la constatation du caractère aléatoire de la convention par laquelle un généalogiste propose la révélation d’une succession à un héritier qui l’ignorait moyennant un pourcentage sur le montant de celle-ci, ne permet pas aux juges du fond de procéder à une réduction de la rémunération contractuellement stipulée » (Civ. 1re, 17 avr. 1956 ; Civ. 1re, 3 nov. 1960).

Dans un second temps, cette même chambre a opéré un revirement de jurisprudence sous le visa de l’article 1134 du Code civil : « attendu que les tribunaux peuvent, quand une convention a été passée en vue de la révélation d’une succession en contrepartie d’honoraires, réduire ces derniers lorsque ceux-ci paraissent exagérés au regard du service rendu (…) en statuant comme elle a fait, sans rechercher si les honoraires convenus n’étaient pas excessifs au regard du service rendu, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (Civ. 1re, 5 mai 1998). Cette décision a certes eu pour effet d’accroître le pouvoir judiciaire en matière de révision. Pour autant, les professionnels ne sont pas totalement démunis devant ces interventions judiciaires puisque la Cour de cassation accepte de redonner plein effet à la loi contractuelle lorsque les parties ont décidé d’arrêter le montant de la rémunération après service rendu (Civ. 1re, 2 avr. 1997, rendu au bénéfice d’un avocat).

En l’espèce, dans le prolongement de sa jurisprudence de 1998, la Cour de cassation considère que l’aléa exclusivement supporté par l’ami du défunt qui a proposé à la légataire de l’assister moralement et financièrement dans toutes les procédures visant à faire reconnaître ses droits, ne fait pas obstacle à la réduction éventuelle de la rémunération convenue. La cour d’appel aurait dû rechercher si cette rémunération envisagée n’était pas excessive au regard du service rendu. Par conséquent la Haute cour casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article 1134 du Code civil.

Civ. 1re, 23 nov. 2011, n°10-16.770, FS-P+B+I

Références

F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009, n°69.

Contrat aléatoire

[Droit civil]

« Contrat à titre onéreux dans lequel l’existence ou la valeur d’une prestation n’est pas connue au moment de sa formation, parce qu’elle dépend d’un événement futur incertain (ex. : contrat de rente viagère). »

Généalogiste

[Droit civil]

« Personne dressant une suite d’ancêtres établissant une filiation. Hormis le cas des successions soumises au régime de la vacance ou de la déshérence, nul ne peut se livrer à la recherche d’héritiers dans une succession ouverte ou dont un actif a été omis lors du règlement de la succession, s’il n’est porteur d’un mandat à cette fin. En l’absence de mandat, le généalogiste ne peut recevoir aucune rémunération (L. no 2006-728 du 23 juin 2006, art. 36). »

Legs

[Droit civil]

« Libéralité contenue dans un testament et qui ne prend effet qu’à la mort de son auteur.

Legs particulier : legs qui porte sur un ou plusieurs biens déterminés ou déterminables.

(…)

Legs à titre universel : legs qui porte sur une quote-part des biens laissés par le testateur à son décès.

Legs universel : legs qui donne à son bénéficiaire vocation à recueillir l’ensemble de la succession. »

Lésion

[Droit civil]

« Préjudice contemporain de l’accord de volonté résultant de la différence de valeur entre les prestations d’un contrat synallagmatique ou entre les lots attribués à des copartageants. Elle ouvre une action en rescision ou en complément de part. (…) »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■Code civil

Article 1104

« Il est commutatif lorsque chacune des parties s'engage à donner ou à faire une chose qui est regardée comme l'équivalent de ce qu'on lui donne, ou de ce qu'on fait pour elle.

Lorsque l'équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d'après un événement incertain, le contrat est aléatoire. »

Article 1134

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Civ. 1re, 17 avr. 1956, D. 1956. 427.

Civ. 1re, 3 nov. 1960.

Civ. 1re, 5 mai 1998, n° 96-14.328, RTD civ. 1998. 901.

Civ. 1re, 2 avr. 1997, Bull. civ. I, n°113 ; RTD civ. 1998. 372

 

Auteur :Y. D.

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