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Droit de la responsabilité civile
L’altération de la libido suffit à caractériser le préjudice sexuel
La diminution de la libido consécutive à un traitement psychotrope suivi par la victime d’un dommage corporel pour remédier aux conséquences traumatiques de son accident est indemnisable au titre du préjudice sexuel.
Crim. 22 mai 2024, n° 23-82.958
La simple altération de la libido suffit-elle à caractériser le préjudice sexuel ? Telle était la question posée à la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’arrêt sélectionné. Celle-ci y répond par l’affirmative, faisant ainsi le choix d’une conception large du pretium sexuale, préjudice extrapatrimonial indemnisable au titre des conséquences du dommage corporel.
En l’espèce, une victime de divers préjudices corporels s’était vue prescrire, à la suite de son accident traumatique, des médicaments psychotropes. La victime éprouva alors une altération de sa libido, qu’elle imputa à ce traitement. Elle en demanda réparation en justice, à l’appui d’une expertise judiciaire ayant établi que les médicaments qui lui avaient été prescrits étaient en effet de nature à altérer la libido des patients auxquels ils sont administrés, quoique cette conséquence ne soit pas automatique. Cantonnant le préjudice sexuel au préjudice morphologique, constitué de l’atteinte aux organes sexuels, et au préjudice dit de « procréation », constitué de l’atteinte à la faculté de procréer, la cour d’appel considéra que le préjudice sexuel allégué n’était pas établi. Pour les juges du fond, aucun préjudice d’ordre sexuel ne s’évinçait du rapport d’expertise, qui ne mentionnait aucune atteinte aux organes sexuels de la victime ni d’entrave à sa faculté de procréer, et ne faisait pas davantage état d’un préjudice lié à l’activité sexuelle elle-même, tenant soit à la perte de la capacité physique d’accomplir l’acte sexuel, soit à la perte de la libido. En particulier, aucune pièce ne permettait d’établir l’altération de la libido invoquée par la victime. Aucun dommage sexuel ne pouvait en conséquence être caractérisé. L’arrêt de la cour d’appel est cassé pour défaut de motifs, dès lors qu’ « il résultait du rapport d’expertise que les conséquences de l’accident et du traitement psychotrope pouvaient être à l’origine d’une altération de la libido et justifier un préjudice sexuel, dont l’indemnisation n’était pas au surplus contestée en son principe par l’assureur ».
La solution est conforme à la Nomenclature Dintilhac, qui décline le préjudice sexuel en trois types de préjudices :
- Le préjudice morphologique, lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage corporel subi ;
- Le préjudice de procréation lié à l’impossibilité ou une difficulté à procréer, la dimension psychologique du préjudice de procréation étant également prise en compte, indépendamment de l’atteinte aux facultés procréatrices physiologiques ;
- Le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même, qui repose sur la perte de plaisir sexuel résultant soit de la perte de la capacité physique de réaliser l’acte, soit d’une perte de la libido.
Cette dernière déclinaison du préjudice sexuel signifie que le dommage réparable à ce titre s’étend au-delà de la seule impossibilité totale ou partielle, pour la victime, d’entretenir des rapports intimes normaux et de procréer : le préjudice constitué par la perte ou la diminution du désir et du plaisir sexuel est également pris en compte. En ce sens, la décision rapportée confirme le choix d’une conception large du préjudice en particulier lié à l’acte sexuel : une perte totale ou définitive de libido n’est pas requise pour sa caractérisation, sa simple altération suffit à obtenir réparation, dès lors qu’il n’est pas discutable que ce trouble sexuel résulte de manière directe et certaine du dommage corporel. En revanche, la Cour précise que le doute est permis concernant le lien de causalité entre le dommage sexuel et l’administration des médicaments (« les conséquences de l’accident et du traitement psychotrope pouvaient être à l’origine d’une altération de la libido » - nous soulignons). À cet égard, la solution est également conforme à l’indulgence dont la Cour de cassation fait traditionnellement preuve, par faveur pour la victime, quant à la preuve du lien de causalité en matière médicale. L’absence de certitude du rôle causal de la prise d’un médicalement sur la survenance d’une maladie ou, en la circonstance, d’un trouble sexuel, ne suffit pas à justifier le rejet de l’action en responsabilité.
Ainsi, en l’espèce, dans la mesure où la victime s’était trouvée contrainte, du fait des séquelles psychologiques de son accident, de prendre des médicaments susceptibles d’altérer sa libido, son préjudice sexuel était constitué. Elle devait donc être indemnisée à ce titre.
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