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[ 28 avril 2021 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

L’ambiguïté des avis médicaux : inaptitude ou aptitude ?

Le fait que les mesures d’aménagement préconisées par le médecin du travail entraînent une modification du contrat de travail n’implique pas, en soi, la formulation d’un avis d’inaptitude.

Soc. 24 mars 2021, n° 19-16.558

Le licenciement pour inaptitude est strictement encadré. Il n’est ouvert que si d’une part, le médecin du travail délivre un avis d’inaptitude et d’autre part, le reclassement du salarié s’avère impossible (C. trav., art. L. 1226-2-1). La première condition est par conséquent essentielle. Sans avis médical d’inaptitude, le licenciement s’avère lié à l’état de santé, donc discriminatoire (Soc. 13 janv. 1998, n° 95-45.439). L’avis délivré par le médecin du travail étant au cœur du processus, le salarié comme l’employeur peuvent former un recours devant le conseil des prud’hommes et sa décision se substitue alors à l’avis médical (C. trav., art. L. 4624-7 – avant la réforme du 22 sept. 2017, le recours était porté devant l’inspection du travail). Or, les précisions apportées par le médecin peuvent rendre l’avis ambigu. Ainsi, lorsque ces précisions impliquent une modification du contrat de travail, est-on face à un avis d’inaptitude ou d’aptitude ? Dans son arrêt du 24 mars 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation précise cette délicate question.

En l’espèce, une salariée embauchée par un Casino en qualité de changeur traiteur de monnaie fait l’objet d’un avis d’inaptitude au poste de travail de caissier. Le médecin ajoute toutefois une « contre-indication à tout travail de nuit après 22 heures – possibilité de tout autre poste de travail respectant cette contre-indication ». La salariée saisie alors la juridiction prud’homale d’un recours contre cet avis. En stade d’appel, les juges substituent un avis d’aptitude avec réserve à l’avis d’inaptitude. L’employeur se pourvoit en cassation. Selon lui, les restrictions constatées par le médecin du travail qui impliquent une modification du contrat ne peuvent conduire qu’à la formulation d’un avis d’inaptitude. L’argument est écarté par la Cour de cassation qui énonce de manière générale que « la circonstance que les mesures d’aménagement préconisées entrainent une modification du contrat de travail n’implique pas, en elle-même, la formulation d’un avis d’inaptitude ». Il faut toutefois rester prudent dans l’interprétation de cette solution.

L’aptitude et l’inaptitude sont des qualifications juridiques. Le médecin du travail n’étant pas juriste, il peut se tromper sur la qualification exacte à retenir. En revanche, que ce soit dans un cas ou dans un autre, le médecin va généralement formuler des propositions et donner diverses indications concernant le travailleur. Ainsi, en cas d’inaptitude, l’avis du médecin est « éclairé par des conclusions écrites assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur » (C. trav., art. L. 4624-4). De même, en cas d’aptitude il « peut proposer (…) des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives à l’âge ou à l’état de santé du travailleur ». En cas de recours contre l’avis médical, les juges vont donc devoir décider si ces « indications » ou « mesures » impliquent une inaptitude ou au contraire une aptitude au poste précédemment occupé. 

On relèvera que les juges peuvent se prononcer sur cette qualification sans avoir au préalable à demander des mesures d’instructions au médecin inspecteur du travail. La question débattue n’est en effet pas nécessairement d’ordre médical. 

En l’espèce, l’employeur ne remettait pas en cause le constat médical de l’incapacité du salarié à travailler après 22 heures. Dès lors, et contrairement à ce que soutenait le pourvoi, les juges pouvaient se prononcer sans avoir besoin de bénéficier de nouveaux éléments médicaux. Pour qualifier l’avis contenant des restrictions, les juges devaient simplement vérifier si le salarié pouvait ou non conserver son poste. Selon l’employeur, comme le salarié était affecté à un poste soumis à un horaire de nuit, l’avis médical avec restriction indiquant aucun travail après 22 heures devait être qualifié d’inaptitude à son ancien poste puisque le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit entraine modification du contrat. Il confondait alors deux choses : poste de travail et élément du champ contractuel. En effet, le Code du travail ne subordonne pas l’inaptitude à la modification du contrat mais à un changement de poste de travail. Il y a inaptitude si « aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible » et par conséquent, que « l’état de santé du salarié justifie un changement de poste » (C. trav., art. L. 4624-4). Inversement, lorsque le salarié peut, par un simple aménagement du temps de travail, rester à son poste, il s’agit d’un avis d’aptitude (C. trav., art. L. 4624-3). Un aménagement du temps de travail - permettant de conserver son poste - peut autant relever du champ du pouvoir que du contrat. Ainsi, un changement d’horaire de travail en journée s’inscrit dans le cadre du pouvoir de direction alors qu’un passage d’un horaire à temps complet à temps partiel est une modification du contrat. Dans un cas comme dans l’autre, on voit bien que le poste du salarié n’est pas affecté. La formule générale de la Cour de cassation dans l’arrêt commenté doit donc être approuvée : les restrictions médicales entrainant une modification du contrat n’impliquent pas ipso facto un avis d’inaptitude. Certes, on pourrait faire valoir qu’un poste de nuit n’est pas équivalent à un poste de jour et qu’il y a donc changement de poste. 

En l’espèce, ce sont des circonstances factuelles qui viennent ici expliquer le rejet du pourvoi. Entre août 2018 et octobre 2018 (date de l’avis médical), l’employeur avait aménagé les horaires de travail de la salariée pour lui permettre de travailler en journée. La Cour régulatrice, opérant un contrôle plein et entier sur la décision des juges du fond, soulignent donc que la salariée occupait toujours « son » poste avec un simple aménagement d’horaire. L’avis du médecin devait donc être juridiquement qualifié d’avis d’aptitude. 

Il n’en reste pas moins que la solution de la Cour de cassation fait réapparaitre les fameux « avis d’aptitude avec réserve » qui peuvent conduire à des situations délicates… Le salarié est apte, l’employeur ne peut donc pas le licencier pour inaptitude, quelle que soit l’ampleur des réserves (Soc. 10 nov. 2009, n° 08-42.674). En revanche, si les préconisations du médecin impliquent une modification du contrat, il doit demander l’accord du salarié. Quid si ce dernier refuse ? L’employeur ne peut évidemment pas faire valoir le refus pour justifier un licenciement. Mais le salarié se retrouverait alors dans une impasse : aucune résiliation judiciaire n’est envisageable car l’employeur ne commet aucune faute en respectant les préconisations médicales et par ailleurs, le salarié ne peut pas non plus exiger la reprise du versement de ses salaires prévu à l’article L. 1226-4 à l’issue du délai de un mois puisqu’il n’est pas jugé inapte (Soc. 13 avr. 2016, n° 15-10.400).

Références

■ Soc. 13 janv. 1998, n° 95-45.439 P : D. 1998. 57 ; Dr. soc. 1998. 281, obs. A. Mazeaud

■ Soc. 10 nov. 2009, n° 08-42.674 P : D. 2009. 2867, obs. S. Maillard ; Dr. soc. 2010. 243, obs. J. Savatier

■ Soc. 13 avr. 2016, n° 15-10.400 P

 

Auteur :Chantal Mathieu


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