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[ 22 mars 2021 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

L’ambivalence du droit du travail illustrée par le travail des enfants

Cette semaine DAE vous propose une semaine consacrée aux mineurs notamment en droit du travail, droit de la famille, droit international, droit pénal...

Il y a 180 ans, le 22 mars 1841, la France se dotait de sa première loi sociale en limitant la durée du travail des enfants. Le principe - énoncé aujourd’hui tant par le Code du travail (art. L. 4153-1) que par des Conventions internationales (Convention n° 138 de l’OIT, CSE, art. 7 § 1 , Charte des Droits fondamentaux de l’UE, art. 32), s’énonce facilement : le travail des enfants est interdit. Toutefois, ce grand principe dissimule mal un millefeuille d’exceptions. Ainsi peut-on lire, à l’article R. 7124-27 du Code du travail des dispositions régulant la durée du travail des bébés de moins de 6 mois en la limitant à 1 heure hebdomadaire ! 

La lecture de la réglementation du travail des enfants révèle combien le droit du travail, en tant que branche du droit, est le résultat de confrontation d’intérêts économiques et d’aspirations sociales et qu’il ne peut décidément pas être présenté comme un droit entièrement orienté vers la protection des travailleurs. Le droit du travail est ambivalent : il protège réellement les travailleurs en modérant l’exploitation de la force de travail mais dans le même temps, il organise (et donc légitime) leur sujétion, permettant aux rapports de production de se développer (A. Jeammaud, Le droit du travail dans le capitalisme, question de fonctions et de fonctionnement, in Le droit du travail confronté à l’économie, Paris, Dalloz 2005, p. 15). La réglementation pointilleuse du travail des enfants se justifie bien entendu par une volonté des pouvoirs publics de préserver les plus jeunes : protéger leur santé physique et mentale, garantir leur droit à l’éducation, préserver parfois aussi leur moralité. Mais la nébuleuse d’exceptions légitime aussi la présence des enfants sur le marché de l’emploi, révélant ainsi l’adéquation du droit du travail au système capitaliste.  

■ La logique de protection

La logique de protection se traduit par des règles d’interdiction ou, lorsque l’emploi des jeunes est autorisé, par un encadrement très strict visant à renforcer les garanties déjà offertes à tout travailleur. Plutôt que d’adopter une référence d’âge unique, le législateur a choisi d’adapter la réglementation en fonction de l’objectif de protection poursuivi. 

·       Le premier objectif vise à garantir le droit à l’éducation. Aussi, l’âge légal d’accès au marché du travail est ajusté sur l’âge de l’obligation scolaire, soit 16 ans (C. éduc., art. L. 131-1). Mais dès lors que le travail est compatible avec l’enseignement, voire qu’il participe de cet enseignement, alors les moins de 16 ans peuvent exercer un emploi. Le seuil d’âge est ainsi abaissé à 14 ans pour l’emploi pendant les vacances scolaires (C. trav., art. D. 4153-1) ou 15 ans pour un contrat d’apprentissage (C. trav., art. L. 6222-1). Toutefois si un cours professionnel doit avoir lieu pendant le temps de travail, l’employeur doit laisser le jeune de moins de 18 ans y participer tout en décomptant ce temps comme du travail effectif (C. trav., art. L. 3162-2). 

·       Le second objectif touche à la santé physique et mentale du jeune travailleur. Aussi, la réglementation des conditions de travail des moins de 18 ans déroge largement au droit commun. Le travail de nuit ou les heures supplémentaires sont interdites, les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires du travail sont réduites, les temps de pause et de repos sont allongés, les jours fériés sont nécessairement chômés (C. trav., art. L. 3162-1 s.) et des paliers sont fixés par tranche d’âge (ex : C. trav., art. L. 3164-1 sur le repos quotidien). Par ailleurs, certains travaux réputés physiquement dangereux sont interdits ou strictement réglementés pour les mineurs (ex : exposition à des produits chimiques, aux rayonnements ionisants, à un risque électrique etc… C. trav., art. D. 4153-17 s.). 

·       Enfin, le troisième objectif tend à préserver la sécurité morale en prohibant par exemple l’emploi au bar dans un débit de boisson (C. trav., art. L. 4153-6) ou l’exposition à des actes pornographiques ou violents (C. trav., art. D. 4153-16). Reste que toutes ces règles de protection sont assorties d’exception pour permettre au jeune de prendre part au marché du travail. La lecture de ces exceptions révèlent combien le droit du travail accompagne l’évolution des modes de production et partant, des sources de profit. 

■ La logique du profit

Le travail de l’enfant peut parfois être une source de profit jugée acceptable. En encadrant  - donc en validant - ce travail, le législateur procède alors bien à un arbitrage entre les risques générés par le travail et l’intérêt économique qu’il procure.

·       Le travail de l’enfant est d’abord une source de revenu pour la famille et relève alors de l’entraide familiale. Ainsi, au XIXe siècle, la loi de 1841 avait vocation à limiter l’exploitation des enfants dans l’industrie. En revanche, les travaux domestiques et agricoles n’étaient pas concernés. Source légitime de revenu au sein de la famille, ce travail pouvait aussi apparaitre comme une étape indispensable au transfert de compétences à l’égard de celui qui reprendrait sans doute l’exploitation. L’idée que l’activité de l’enfant relève de l’entraide familiale demeure dans le Code du travail et justifie ainsi des règles propres. Ainsi n’existe-t-il aucun minimum d’âge pour travailler occasionnellement avec ses parents au sein de l’entreprise familiale (C. trav., art. L. 4153-5), y compris semble-t-il dans un débit de boisson… (C. trav., art. L. 4153-6). L’intervention des parents apparait généralement comme suffisante pour protéger l’enfant des risques liés au travail. On prendra pour exemple le cirque : alors que certains tours de cirque sont interdits aux moins de 16 ans, le seuil d’âge est réduit à 12 ans lorsque le tour est réalisé avec son père ou sa mère (C. trav., art. L. 7124-16). 

·       Le travail subordonné des mineurs est également considéré comme nécessaire pour répondre à un besoin de main d’œuvre : pour mieux la former, pour faire face aux contraintes de l’activité économique ou encore pour pallier l’absence d’adulte en cas d’urgence. Aussi existe-t-il divers moyens de déroger à l’interdiction d’employer des mineurs à des emplois dangereux lorsque leur formation aux règles de sécurité apparait suffisante (C. trav., art. R. 4153-38 s.) ou d’échapper aux règles restrictives en matière de temps de travail lorsque « l’organisation collective du travail le justifie ». Sont alors ciblés certains domaines comme le BTP, la restauration, l’hôtellerie (C. trav., art. R. 3162-1) qui sont également connus pour avoir des emplois en tension. Pour protéger cette jeune main d’œuvre, les pouvoirs publics ne s’en remettent plus uniquement aux parents mais organisent l’intervention de l’inspecteur du travail, du médecin du travail, des éducateurs (par ex. C. trav., art. R. 3163-5 R. 4624-18 ; R. 4153-40).

·       C’est enfin l’idée que l’âge de l’enfant est consubstantiel à la source de profit qui peut venir expliquer les dérogations. L’industrie du divertissement et du spectacle bénéficient ainsi de règles spéciales permettant d’intégrer des enfants dès leur plus jeune âge dans la production de bien à valeur économique. Hier il s’agissait essentiellement de participer à un spectacle de cirque, par la suite furent ajoutées les émissions de radiophonie, puis le cinéma et la télévision. Les exceptions réglementaires ont suivi les évolutions du marché. L’enfant fait vendre ? L’enfant peut donc être mannequin…  Le e-sport devient un secteur économique en pleine expansion où l’enfant est un compétiteur capable d’égaler voire surpasser l’adulte ? L’emploi d’enfant par une structure ayant pour objet la participation à des compétitions de jeux vidéo est autorisée (C. trav., art. L. 7124-1). L’enfant est un « influenceur » évoluant sur les réseaux et médias sociaux ? La loi du 19 octobre 2020 qui entrera en vigueur le 20 avril 2021 vient encadrer l’exploitation commerciale de l’image de l’enfant par un employeur mais rend donc désormais légitime cette exploitation (V. DAE 25 nov. 2021). Les montants financiers liés à l’activité de l’enfant pouvant s’avérer conséquents, il ne s’agit plus seulement d’identifier un garant pour protéger sa santé physique et mentale (rôle joué par les parents, l’administration et le médecin) mais aussi de lui assurer qu’il percevra un jour les fruits de son travail. Aussi, la Caisse des dépôts et consignations est amenée à gérer l’essentiel des sommes perçues, et ce jusqu’à sa majorité ou son émancipation. Ce que le droit appelle sobrement un « pécule » (C. trav., art. L. 7124-9), apparait ainsi bien pour ce qu’il est : un revenu tiré de sa force de travail.

Pour aller plus loin

■ S. Sereno, Le droit du travail à l’épreuve de l’intérêt supérieur de l’enfant, Dr. fam. janv. 2021, p. 1.

■ I. Desbarats et B. Reynes, Age et conditions de travail, Dr. soc. 2003. 1067

■ Labatut, Enfant artiste : un travail sans danger ? RDT 2019. 545

■ Le numéro AJ Famille d’avril 2006 avec les contributions de M. Schmitt, Patrice Hilt, G. Pignarre, Y. Favier, S. Courcenet.

 

Auteur :Chantal Mathieu


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