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Droit de la famille
L’annulation d’une adoption 31 ans après son homologation n’est pas justifiée !
Mots-clefs : Adoption simple, Adoption plénière, Filiation, Annulation, Succession, Conv. EDH, art. 8
L'annulation d'une adoption 31 ans après son homologation à l'occasion d'une succession est contraire au droit au respect de la vie privée et de la vie de famille (Conv. EDH, art. 8).
De nationalité roumaine, une femme a d’abord adopté une jeune fille, avec qui elle habitait depuis 8 ans, puis une seconde. Après le décès de leur mère, les deux sœurs ont hérité conjointement d’un terrain. La première adoptée a donc formé une action en partition de la parcelle. Alors que la procédure était en cours, la seconde adoptée a demandé l’annulation de l’adoption de sa sœur, 31 ans après son homologation, estimant qu’elle n’y avait consenti que pour obtenir des droits dans la succession. Le tribunal a accueilli la demande au motif que l’adoption n’était destinée qu’à servir les intérêts patrimoniaux de la mère et de l’adoptée. La cour d’appel a, ensuite, confirmé l’annulation de l’adoption.
Invoquant le droit au respect de la vie privée et familiale garantie à l’article 8 de la Conv. EDH, la première adoptée a saisi la Cour européenne, arguant que l’annulation était une intrusion arbitraire et disproportionnée dans sa vie familiale. Au visa de l’article 1 du Protocole (relatif à la protection de la propriété), elle se plaint également d’avoir perdu ses droits dans la succession du fait de l’annulation.
À titre liminaire, la Cour souligne que les relations entre parent adoptif et enfant adopté sont protégés par l’article 8 de la Conv. EDH, de sorte que l’annulation de l’adoption doit être vue comme une ingérence dans son droit à la vie familiale.
Rappelons que pareille immixtion, sous peine d’enfreindre la Convention, doit remplir les exigences du paragraphe 2 de l’article 10 : elle doit être prévue par la loi, inspirée par un but légitime et nécessaire dans une société démocratique.
En l’espèce, la Cour émet des doutes quant aux deux premières exigences, la seconde adoptée n’ayant manifestement que pour unique intérêt d’hériter seule, du fait que le prononcé de l’annulation a eu pour effet de rompre le lien familial entre la première adoptée et sa mère décédée.
S’agissant de la dernière exigence, la Cour estime que l’annulation de l’adoption, 31 ans après son homologation, aurait dû être étayée par des motifs pertinents et suffisants, le rôle de l’État étant d’assurer le maintien des liens familiaux. Ceteris paribus, l’intérêt de l’enfant doit toujours primer et ce, même si la décision d’adoption repose sur des éléments frauduleux. Partant, la Cour conclut, d’une part, que l’ingérence dans la vie familiale de la requérante n’était pas justifiée par des motifs pertinents et suffisants, en violation de l’article 8 de la Conv. EDH et, d’autre part, qu’il y a également eu violation de l’article 1 du Protocole eu égard de l’atteinte disproportionnée au droit patrimonial de la requérante sur le terrain litigieux.
En France, l’adoption est un acte juridique « qui crée entre deux personnes un lien juridique de filiation non fondé sur un lien de sang » (v. F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil. La famille, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011, n°731).
En raison de son caractère définitif, l’adoption plénière est irrévocable (C. civ., art. 359) et ne peut pas non plus faire l’objet d’une action en annulation, sauf cas du vice du consentement des parents biologiques (Pau, 30 mai 1991).
L’adoption simple, quant à elle, peut être révoquée « s’il est justifié de motifs graves » (C. civ., art. 370). La demande peut être présentée :
– par l’adoptant si l’adopté a plus de 15 ans (C. civ., art. 370, al. 2) – en cas d’adoption par un couple marié, chaque époux peut demander la révocation ;
– par l’adopté lui-même qui, s’il est mineur, devra obtenir l’autorisation de ses représentants, l’adoptant ne pouvant alors endosser ce rôle.
La loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 a introduit le droit de demander la révocation, lorsque l’enfant est mineur, aux père et mère par le sang, ou à défaut à un membre de la famille d’origine pouvant aller jusqu’au cousin germain. La loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 a conféré le droit d’agir au ministère public dans de pareilles circonstances.
En dehors de ces hypothèses, l’action est dite « réservée » et corrélativement personnelle : les héritiers de l’adopté ou de l’adoptant ne peuvent prendre l’initiative de l’engager (v. F. Granet). En revanche, les héritiers peuvent poursuivre l’action entreprise de son vivant par l’auteur. L’action doit être portée devant le tribunal de grande instance du domicile du défendeur (v. F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil. La famille, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011, n°787).
Le demandeur doit établir la preuve de l’existence de motifs graves rendant l’adoption insupportable. Le refus d’autorité, l’ingratitude, les injures ou violences à l’encontre de l’adoptant et la commission d’actes de délinquance sont constitutifs de motifs graves au sens de l’article 370 du Code civil. Ce peut être également l’indignité de l’adoptant. La liste des motifs, réels ou prétendus, graves ou moins graves est très variée. Toutefois, la tendance est à la sévérité « afin d’éviter ce repentir souvent douteux de l’adoptant ou de l’adopté » (v. J. Hauser). Ainsi, ne constitue pas un motif grave le fait que les liens avec le père adoptif se soient distendus après que l’enfant eu retrouvé son père biologique (Versailles, 9 sept. 2010), de même, la mésentente fût-elle profonde entre l’adopté et l’adoptant est insuffisante (Civ. 1re, 5 mars 2008). Chacun des intéressés dispose, dès lors, « d’une sorte de faculté de divorcé mais elle doit être causée, et cette cause, fondamentalement, réside dans l’absence de lien affectif réel » (v. F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil. La famille, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011, n° 787). Partant, la Haute juridiction a affirmé à plusieurs reprises que les juges du fond étaient souverains pour apprécier si les faits invoqués constituaient des motifs graves (Civ. 1re, 1er juill. 2009).
L’instance en révocation obéit aux règles de la procédure en matière contentieuse. Ainsi, l’affaire instruite est débattue en chambre du conseil, après avis du ministère public (v. P. Murat, Droit de la famille 2014/2015, 6e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2013, n° 222.244). Prononcé en audience publique (C. pr. civ., art. 1177, al. 3), le jugement est susceptible des voies de recours habituelles. Notons que les effets de l’adoption cessent pour l’avenir (C. civ., art. 370-2) à partir du moment où le jugement acquière l’autorité de la chose jugée.
CEDH 24 mars 2015, Zaieţ c/ Roumanie, n°44958/05
Références
■ F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil. La famille, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011.
■ P. Murat, Droit de la famille 2014/2015, 6e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2013.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 10 - Liberté d’expression
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Article 1 du protocole n° 1 -Protection de la propriété
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
■ Code civil
« L'adoption est irrévocable. »
« S'il est justifié de motifs graves, l'adoption peut être révoquée, à la demande de l'adoptant ou de l'adopté, ou, lorsque ce dernier est mineur, à celle du ministère public.
La demande de révocation faite par l'adoptant n'est recevable que si l'adopté est âgé de plus de quinze ans.
Lorsque l'adopté est mineur, les père et mère par le sang ou, à leur défaut, un membre de la famille d'origine jusqu'au degré de cousin germain inclus, peuvent également demander la révocation. »
« La révocation fait cesser pour l'avenir tous les effets de l'adoption, à l'exception de la modification des prénoms. »
■ Article 1177 du Code de procédure civile
« L'instance obéit aux règles de la procédure en matière contentieuse.
L'affaire est instruite et débattue en chambre du conseil, après avis du ministère public.
Le jugement est prononcé en audience publique. »
■ F. Granet, « Les motifs de révocation d’une adoption simple », AJ fam. 2002. 24.
■ J. Hauser, « Révocation d’adoption simple : motifs graves », RTD civ. 2011. 115.
■ Versailles, 9 sept. 2010, n°10/00487, Dr. fam.2010. comm. 185.
■ Civ. 1re, 5 mars 2008, n°07-10.989.
■ Civ. 1re, 1er juill. 2009, n°08-16.067.
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