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[ 2 février 2018 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

L’anonymat du donneur de gamètes

Mots-clefs : Convention européenne des droits de l'homme, Pouvoirs et devoirs du juge, Santé publique, Bioéthique, Assistance médicale à la procréation, Don de gamètes, Accès aux informations relatives à l'auteur du don, Contrôle in abstracto, Origines

Au regard de la finalité poursuivie par le législateur d'éviter la remise en cause de l'éthique qui s'attache à toute démarche de don de gamètes, le juge administratif n’exerce pas de contrôle de conventionnalité in concreto sur la mise en œuvre des dispositions législatives relatives à l’anonymat du don de gamètes.

Faits. Un homme, conçu par insémination artificielle avec don de gamètes, a demandé en 2011 à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) de lui communiquer des informations relatives au donneur de gamètes à l'origine de sa conception. Toutes ses demandes lui ont été refusées. Il a alors saisi le juge administratif afin qu’il soit enjoint à l'AP-HP, sous astreinte, de lui communiquer les documents sur ses origines.

Procédure. Par un jugement du 21 septembre 2012 (n° 1121183/7-1), le tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande, a décidé de saisir le Conseil d’État pour avis (CJA, art. L. 113-1). Le 13 juin 2013, le Conseil d'État (n° 362981) a estimé que la règle de l’anonymat des donneurs de gamètes, qui est inscrite dans le code de la santé publique, le code civil et le code pénal et qui figure au nombre des principes fondamentaux de la bioéthique proclamés par la loi du 29 juillet 1994 et confirmés par la loi du 7 juillet 2011, n’est pas incompatible avec les stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment son article 8 qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Par un jugement du 27 janvier 2014 (n° 1121183/7-1), le tribunal administratif de Paris a ainsi rejeté sa demande.

Le Conseil d’État vient de statuer définitivement sur cette affaire. 

Absence d’incompatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’État considère notamment qu’il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif a écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme après avoir relevé que les règles d'accès aux données personnelles d'un donneur de gamètes, fixées par le législateur et sur lesquelles sont fondés les refus litigieux, ne sont pas incompatibles avec les stipulations de ces articles.

Refus d’appliquer la jurisprudence Gonzales-Gomez. Le requérant souhaitait que le juge fasse application de la jurisprudence Gonzales-Gomez (CE, ass., 31 mai 2016, n° 396848) selon laquelle : «  la compatibilité de la loi avec les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l'application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Il appartient par conséquent au juge d'apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l'atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n'est pas excessive. » Il s’agissait dans ce cas particulier d’une autorisation par le Conseil d’État d’un transfert de gamètes à l’étranger en vue d’une insémination post-mortem.

Les raisons de l’anonymat du donneur de gamètes en France

Le Conseil d’État rappelle les raisons d’intérêt général qui ont conduit le législateur à interdire la divulgation de toute information sur les données personnelles d'un donneur de gamètes et à écarter toute modification de cette règle de l'anonymat :

-          la sauvegarde de l'équilibre des familles (risque important de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation) ;

-          le risque d'une baisse substantielle des dons de gamètes et d'une remise en cause de l'éthique qui s'attache à toute démarche de don d'éléments ou de produits du corps.

Selon le Conseil d’État, au regard de cette dernière finalité, qui traduit la conception française du respect du corps humain, aucune circonstance particulière propre à la situation d'un demandeur ne saurait conduire à regarder la mise en œuvre des dispositions législatives relatives à l'anonymat du don de gamètes, qui ne pouvait conduire qu'au rejet des demandes en litige, comme portant une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la Convention européenne des droits de l'homme. 

Il s’ensuit, que le moyen tiré de ce que le refus de lever l’anonymat du donneur de gamète du requérant, dans les circonstances particulières de l'espèce, portait une atteinte excessive aux droits protégés par les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales était inopérant. 

Rappelons que la législation européenne en matière d’anonymat du donneur de gamètes varie selon les pays. Ainsi par exemple la Suède, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont levé l’anonymat des donneurs de gamètes.

CE 28 décembre 2017, n° 396571

Références

■ Convention européenne des droits de l'homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 14

« Interdiction de discrimination. La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

■ TA Paris 21 sept. 2012, n° 1121183/7-1 : AJDA 2012. 2115, note S. Hennette-Vauchez.

■ CE, avis, 13 juin 2013, n° 362981 : Dalloz Actu Étudiant, 3 juill. 2013 ; LebonAJDA 2013. 1246 ; D. 2013. 1626, obs. R. Grand ; ibid. 2014. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2013. 405, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2013. 1051, concl. E. Crépey.

■ CE, ass., ord., Gonzales-Gomez, 31 mai 2016, n° 396848 : Dalloz Actu Étudiant, 22 juin 2016 ; Lebon, concl. A. Bretonneau ; AJDA 2016. 1092 ; D. 2016. 1472, note H. Fulchiron ; ibid. 1477, note B. Haftel ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau ; ibid. 754, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier ; ibid. 600, obs. J. Hauser ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng.

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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