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Libertés fondamentales - droits de l'homme
L’appel au boycott de produits israéliens relève de la liberté d’expression
À la suite de la condamnation de la France par la CEDH, la chambre criminelle de la Cour de cassation rattache pour la première fois à la liberté d’expression l’appel au boycott de produits importés d’Israël.
Crim. 17 oct. 2023, n° 22-83.197
Depuis la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) engagée en 2010, différentes actions sont menées par des militants pro-palestiniens, appelant au boycott de produits israéliens pour protester contre l'occupation des territoires palestiniens et les atteintes aux droits de l'homme commises dans ces mêmes territoires. Ces actions se sont traduites par plusieurs interventions dans différents points de vente, destinées à sensibiliser à cette cause les consommateurs, incités à acheter des produits autres que ceux fabriqués en Israël. Alors qu’un certain nombre de militants avait été, à la suite de telles actions, pénalement poursuivi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait initialement marqué sa volonté de les sanctionner, refusant de faire relever leur appel au boycott de la liberté d’expression. Ainsi avait-elle condamné des militants pour "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée", infraction prévue par l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 (Crim. 20 oct. 2015, n° 14-80.020 et 14-80.021 ; v. déjà, Crim. 22 mai 2012, n° 10-88.315). Elle affirma en ce sens que leur action visait à discriminer les produits venant d'Israël, incitant les consommateurs à ne pas acheter ces marchandises « en raison de l'origine des producteurs et fournisseurs lesquels, constituant un groupe de personnes, appartiennent à une nation déterminée, en l'espèce Israël, qui constitue une nation au sens du droit international ». Aux yeux de la Cour, l'appel au boycott se présentait comme « un acte positif de rejet, se manifestant par l'incitation à opérer une différence de traitement à l'égard d'une catégorie de personnes, en l'occurrence les producteurs de biens installés en Israël ». L'élément matériel de l'infraction était donc établi. C’est ainsi qu’elle qualifia comme discriminatoires ces faits à l’origine du recours exercé devant la CEDH, ayant conduit à la condamnation de la France pour violation de l’article 10 de la Convention, fondement de la liberté d’expression (CEDH, 11 juin 2020, Baldassi et autres c. France, n° 15271/16 et 6 autres). Cette décision de condamnation fut rendue sur le double fondement des articles 7 et 10 de la Convention. Concernant l’article 7, fondement du principe de légalité des délits et des peines, la Cour européenne observa que la Cour de cassation s’était déjà prononcée dans le sens de l’application de l’article 24 de la loi de 1881 « en cas d’appel au boycott de produits importés d’Israël » (Crim. 28 sept. 2004, n° 03-87.450) et qu’elle-même avait confirmé cette décision (CEDH, 16 juill. 2009, Willem c. France, n° 10883/05). En conséquence, l’arrêt considéra que les requérants pouvaient savoir qu’ils risquaient d’être condamnés sur le fondement de l’article 24 en raison de l’appel au boycott des produits importés d’Israël qu’ils ont proféré et, partant, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention. Ayant ainsi estimé que l’ingérence que constituait la condamnation contestée était « prévue par la loi », la Cour européenne se prononça ensuite, sur le fondement de l’article 10, sur son « but légitime » et son caractère « nécessaire dans une société démocratique ». À cet égard, elle estima que si la protection des droits d’autrui, à savoir des producteurs et fournisseurs de produits israéliens, constituait un but légitime, en revanche, « le juge interne n’a pas établi que, au regard des circonstances de l’espèce, la condamnation des requérants en raison de l’appel au boycott de produits en provenance d’Israël (…) était nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre le but légitime poursuivi, à savoir la protection des droits d’autrui ». Elle en conclut à une violation de l’article 10 de la Convention, et condamna la France.
En l’espèce, c’est à l’issue d’un contrôle de proportionnalité que la chambre criminelle consacre pour la première fois, en conséquence de cette décision de condamnation, le rattachement à la liberté d’expression de l’appel au boycott de produits importés d’Israël. La chambre criminelle rejette ainsi le pourvoi formé contre la décision de relaxe d’une directrice de publication ayant relayé sur son site internet l’action militante d’un groupe pro-palestinien ayant appelé les consommateurs au boycott de produits pharmaceutiques commercialisés par une filiale d’un groupe israélien. Pour confirmer la décision de relaxe de la prévenue du chef de provocation publique à la discrimination de la société en raison de son appartenance à la nation israélienne, la Cour commence par relever que l'arrêt attaqué a énoncé qu’il n’était pas contesté que les propos poursuivis s'inscrivaient dans le contexte d'une action militante en faveur de la cause palestinienne et d'un appel au boycott des produits de la société en raison de l'appartenance réelle ou supposée de celle-ci à la nation israélienne. Les juges ont ajouté cependant que la poursuite de ces propos s'analysait en une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression consacrée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui ne peut être légitime qu’à la condition d’établir que celle-ci est nécessaire dans une société démocratique, qu'elle reste proportionnée et que les motifs en sont pertinents et suffisants. La Cour relève à cet égard que la CEDH a considéré, dans l’arrêt précité, que l'appel au boycott, qui constitue une modalité particulière d'exercice de la liberté d'expression en ce qu'il combine l'expression d'une opinion protestataire et l'incitation à un traitement différencié, suppose d’apprécier, selon les circonstances propres à chaque espèce, s’il traduit l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression ou s’il constitue un appel pénalement répréhensible à la discrimination, à la violence ou à la haine. Dans cette perspective, la chambre criminelle souligne que les juges européens n’ont pas remis en cause l'interprétation par les juridictions de droit interne de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, ayant rappelé la nécessité pour les juges français de vérifier que l'ingérence repose sur des motifs pertinents et suffisants, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. En effet, les juges du fond ont estimé que l'action militante s'inscrivait dans un débat d'intérêt général contemporain, ouvert en France comme dans d'autres pays, portant sur le respect du droit international par l'État d'Israël et sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens ; ils ont également retenu que les responsables de la société fabriquant les produits boycottés n'ont eu connaissance de cette action que plusieurs jours après l'événement, ce dont il se déduit qu'ils n'en avaient jusque-là pas été gênés, et qu’en outre, aucun élément versé aux débats ne permettait d’établir que des violences ou des dégradations auraient été commises, ni que des menaces, des appels à la haine ou à la violence, des propos racistes ou antisémites auraient été proférés ; ils ont encore énoncé que le relai de cette action par la publication litigieuse ne constituait que la simple relation de faits s'inscrivant dans un débat public d'intérêt général, exprimée dans des propos modérés n'incitant pas à des actes violents attentatoires aux biens ou aux personnes, ni à la commission de comportements discriminatoires ; ils ont enfin souligné, à cet égard, que le seul fait de ne pas se porter acquéreur d'un bien ou d'un produit, en l'espèce un médicament générique ayant donc des équivalents, dont rien n'assure que sans cela il aurait été acheté, ne peut être regardé comme tel. En effet, entre un médicament israélien et un médicament en provenance d'un autre pays, l'acheteur est toujours libre d'acheter le second. Ce choix ne peut être qualifié de discriminatoire. Et sans discrimination, il n'y a évidemment pas de provocation à la discrimination.
Les juges ont alors déduit de ce qui précède que la directrice de publication n'avait pas outrepassé les limites de son droit à la liberté d'expression en rendant compte de l’action menée sur son site Internet. Si celle-ci incitait toute personne concernée à opérer un traitement différencié au détriment de la société, elle ne renfermait aucune provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence et ne visait pas cette société en raison de son appartenance à la nation israélienne mais en raison de son soutien financier supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l'encontre des Palestiniens. À l’issue de ce contrôle de proportionnalité que les juges européens ont, en effet, laissé inchangé, le moyen devait donc être écarté.
Voici donc consacré, en droit interne, le rattachement de l’appel au boycott à la liberté fondamentale d’expression de ses opinions.
Références :
■ Crim. 20 oct. 2015, n° 14-80.020 et 14-80.021 : D. 2016. 287, note J.-C. Duhamel et G. Poissonnier ; ibid. 277, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2015. 587 et les obs. ; ibid. 661, comm. E. Derieux
■ Crim. 22 mai 2012, n° 10-88.315 : D. 2011. 1763, obs. S. Lavric
■ CEDH, 11 juin 2020, Baldassi et autres c. France, n° 15271/16 : AJDA 2020. 1844, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2020. 1657, et les obs., note J.-C. Duhamel et G. Poissonnier ; AJ pénal 2020. 412, obs. G. Poissonnier ; Légipresse 2020. 340 et les obs. ; ibid. 485, étude G. Lécuyer ; ibid. 490, étude Anne-Élisabeth Crédeville ; RSC 2020. 753, obs. D. Roets ; ibid. 909, obs. X. Pin
■ Crim. 28 sept. 2004, n° 03-87.450
■ CEDH, 16 juill. 2009, Willem c. France, n° 10883/05 : AJDA 2009. 1936, chron. J.-F. Flauss
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