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[ 3 juin 2010 ] Imprimer

Droit pénal spécial

L’appréhension frauduleuse ne peut être constitutive de l’infraction de filouterie

Mots-clefs : Appréhension frauduleuse, Vol, Filouterie, Interprétation stricte

Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale empêche de retenir l’infraction de filouterie à l’égard d’un prévenu qui a appréhendé la chose objet du délit.

Aux termes de l’article 706-64 du Code de procédure pénale, entré en vigueur en 2001, les tribunaux inférieurs peuvent demander un avis à la Cour de cassation, « sur une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges à condition que la question posée commande l’issue du procès » (v. Cass., avis, 23 févr. 2007). Cette disposition vise à réduire le nombre de pourvois en cassation, et, par conséquent, l’encombrement des juridictions et la durée des procédures.

En l’espèce, la Cour de cassation était interrogée par le tribunal correctionnel de Belfort, à propos d’un individu qui s’était présenté à une station essence, avait rempli le réservoir de son véhicule, et s’était révélé être dans l’impossibilité de régler son achat.

Le tribunal correctionnel hésitait sur la qualification juridique pénale à donner à cette action. Le fait que l’individu s’était servi lui-même le carburant pouvait constituer l’appréhension constitutive du vol, prévu à l’article 311-1 du Code pénal. Cependant, il pouvait être aussi fait application de l’article 313-5 du Code pénal, qui incrimine la filouterie, c'est-à-dire le fait par une personne qui sait être dans l'impossibilité absolue de payer, de se faire servir des carburants.

Pour la Cour de cassation, la question « ne présente pas de difficultés sérieuses ». Elle est d’avis que la filouterie ne concerne que les cas où l’individu s’est « fait servir », c'est-à-dire qu’il n’a pas dérobé activement le produit du délit. Dès lors, la Cour de cassation a pu rendre un avis conforme à sa jurisprudence constante, qui pose le principe selon lequel « pour soustraire, il faut prendre, enlever, ravir » (v. Crim. 18 nov. 1937).

Cependant, loin de juger l’affaire au fond, ce qui serait contraire à ses attributions de juge du droit, la Cour de cassation laisse au tribunal correctionnel de Belfort le soin de caractériser les autres éléments de l’infraction de vol, et plus précisément l’aspect intentionnel de l’appréhension. Cet avis est une illustration du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, prévu par l’article 111-4 du Code pénal.

Cass., avis, n° 010 00001P

Références

■ Interprétation stricte

« Principe dérivé de la légalité pénale, selon lequel les lois d’incrimination et de pénalité doivent être appliquées sans extension ni restriction. »

Filouterie

« Fait, par une personne qui sait être dans l’impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer, de se faire servir des boissons ou aliments, ou d’obtenir certains services. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

■ Article 706-64 du Code de procédure pénale

« Les juridictions pénales, à l'exception des juridictions d'instruction et de la cour d'assises, peuvent solliciter l'avis de la Cour de cassation en application de l'article L. 151-1 du code de l'organisation judiciaire. Toutefois, aucune demande d'avis ne peut être présentée lorsque, dans l'affaire concernée, une personne est placée en détention provisoire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire. »

■ Code pénal

Article 111-4

« La loi pénale est d'interprétation stricte. »

Article 311-1

« Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. »

Article 313-5

« La filouterie est le fait par une personne qui sait être dans l'impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer :

1° De se faire servir des boissons ou des aliments dans un établissement vendant des boissons ou des aliments ;

2° De se faire attribuer et d'occuper effectivement une ou plusieurs chambres dans un établissement louant des chambres, lorsque l'occupation n'a pas excédé dix jours ;

3° De se faire servir des carburants ou lubrifiants dont elle fait remplir tout ou partie des réservoirs d'un véhicule par des professionnels de la distribution ;

4° De se faire transporter en taxi ou en voiture de place.

La filouterie est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. »

■ Cass., avis, 23 avr. 2007Bull. crim. n° 3.

■ Crim. 18 nov. 1937, S. 1838. 1. 366.

 

Auteur :B. H.


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