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[ 10 janvier 2012 ] Imprimer

Droit administratif général

L'articulation des traités internationaux entre eux précisée par le Conseil d’État

Mots-clefs : Contrôle de conventionna lité, Accord bilatéral, Accord multilatéral, Emprunts russes, Nationalité, Principe de non-discrimination

Le recours contre un acte portant publication d’un traité ou d’un accord international ne peut être interprété par le Conseil d’État au regard d’autres engagements internationaux souscrits par la France. Néanmoins, est recevable le moyen tiré de l’incompatibilité de stipulations issues de normes internationales appliquées par une décision administrative avec les stipulations d’un autre traité international a décidé le Conseil d’État dans un arrêt d’assemblée du 23 décembre 2011.

En l’espèce, un ressortissant portugais est devenu propriétaire d’obligations et actions russes au porteur (emprunts russes) à la suite de la succession de son grand-oncle, de nationalité française. Ce nouveau bénéficiaire demande alors au trésorier principal d’enregistrer ces emprunts dans le but de bénéficier d’une indemnisation au titre de l’accord bilatéral du 27 mai 1997 conclu entre la France et la Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945 (dispositions législatives et réglementaires adoptées à la suite de cet accord : L. n° 98-546 du 2 juill. 1998, art. 73 et Décr. n° 98-366 du 6 mai 1998, décret subordonnant l’enregistrement des créances des porteurs de valeurs mobilières à la justification de leur nationalité française lors de cet enregistrement). Cette demande lui est refusée au motif qu’il est de nationalité portugaise, refus également opposé à l’occasion d’un recours hiérarchique ; sa demande est ensuite rejetée par le tribunal administratif, la cour administrative d’appel confirmant ce jugement (n° 03PA04248).

▪ Se posait en l’espèce la question de la compatibilité de l’accord du 27 mai 1997 avec la Convention européenne des droits de l’homme (art. 14). Selon les termes de l’arrêt du Conseil d’État en date du 23 décembre 2011, il n’appartient pas au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’un recours contre un acte portant publication d’un traité ou d’un accord international (en l’espèce, le Décr. du 6 mai 1998), de se prononcer sur la validité de ce traité ou de cet accord au regard d’autres engagements internationaux de la France : il n’existe pas de hiérarchie entre les traités dans l’ordre juridique interne français (une convention bilatérale n’a pas une valeur moindre qu’une convention multilatérale, comme la Convention européenne des droits de l’homme).

▪ Toutefois, les juges du Palais Royal précisent qu’est recevable le moyen tiré de l’incompatibilité des stipulations de l’accord du 27 mai 1997 dont il a été fait application dans une décision administrative (en l’espèce, le refus à un citoyen portugais héritier d’emprunts russes de déposer ses titres à fin de recensement) avec celles d’un autre traité ou accord international (Conv. EDH, art. 14 et premier protocole additionnel à la Conv. EDH, art. 1er). Il incombe alors au juge administratif « de définir, conformément aux principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités d’application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs stipulations, de manière à assurer leur conciliation en les interprétant le cas échéant au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d’ordre public ». En cas de difficulté, le juge doit faire application de la norme internationale à laquelle se réfère la décision administrative contestée.

En l’espèce, le Conseil d’État censure l’arrêt de la cour administrative d’appel qui n’a pas procédé à cette vérification. Réglant l’affaire au fond, la juridiction suprême de l’ordre administratif constate que l’accord de 1997 signé entre la France et la Russie concerne uniquement les ressortissants de nationalité française. L’objectif de cet accord est d’apurer un contentieux financier entre ces deux États. « Il était matériellement impossible de déterminer, pour l’ensemble des titres indemnisés, la nationalité des porteurs à la date où est intervenue la dépossession ; … la France a obtenu le versement d’une indemnisation au profit des ressortissants français porteurs de titres d’emprunts russes en échange de l’abandon de sa protection diplomatique au soutien de la revendication de ces créances ». Ainsi, « eu égard à l’objet de cet accord, à la contrepartie qu’il comporte, aux modalités pratiques de sa mise en œuvre et à l’impossibilité d’identifier les porteurs de titres à la date de leur dépossession, la limitation de l’indemnisation aux seuls ressortissants français par l’article 1er de l’accord du 27 mai 1997 n’est, en tout état de cause, pas incompatible avec les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ».

CE, Ass., 23 déc. 2011, M. Eduardo José K., n°303678

Références

Article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme - Protection de la propriété

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

 

 

 

 

Auteur :C. G.


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