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Droit de la responsabilité civile
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
Les proches d'une victime directe handicapée, partageant habituellement avec elle une communauté de vie affective et effective, que ce soit à domicile ou par de fréquentes visites hospitalières, peuvent être indemnisés d'un préjudice extrapatrimonial exceptionnel résultant des changements dans leurs conditions d'existence entraînés par la situation de handicap de la victime directe. Autonome et permanent, ce poste a pour but d’indemniser tous les bouleversements induits par l'état séquellaire de la victime dans les conditions de vie de ses proches.
Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 23-11.736
Le 26 mai 2000, alors qu'elle était âgée de 10 ans, une fillette a été victime d'un accident de la circulation lui ayant causé un important traumatisme crânien à l’origine de graves troubles neurocognitifs. L’état de la victime a été consolidé le 3 avril 2019. Un an après cette consolidation, la victime devenue majeure, assistée de sa curatrice, ses parents ainsi que ses sœurs, ont assigné le conducteur du véhicule à l’origine de cet accident et son assureur en indemnisation de l’ensemble de leurs préjudices. Admettant de réparer le préjudice patrimonial directement subi par la victime, la cour d’appel déboute la mère de celle-ci de sa demande d'indemnisation des troubles allégués dans ses propres conditions d'existence, aux motifs qu'au moment de l'accident, celle-ci, âgée de 43 ans, n'exerçait aucune activité professionnelle, prenait en charge l'éducation de ses trois filles mineures et que la famille n'a déménagé en 2011 qu'en raison de la retraite prise par son époux, dans une maison dont ils étaient d'ores et déjà propriétaires. Les juges du fond en déduisent qu'aucun élément ne vient établir que l'accident a modifié ses projets de vie, au-delà de l'investissement au quotidien que cette dernière a assuré auprès de sa fille, d'ores et déjà réparé par le poste d'assistance par une tierce personne, lequel ne saurait être indemnisé une seconde fois. Au visa du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel, ayant confondu deux préjudices distincts, alors que la demande formée par un proche de la victime au titre d'un préjudice extrapatrimonial exceptionnel ne se confond pas avec l'indemnisation de celle-ci au titre de ses besoins d'assistance par une tierce personne. En effet, le premier dommage indemnisable résidait en l’espèce dans le préjudice patrimonial permanent de la victime directe, consistant dans son besoin d’assistance par une tierce personne. Recensé dans la nomenclature Dintilhac, ce chef de préjudice correspond, comme son nom l’indique, à la nécessité d’affecter une (ou plusieurs) tierce(s) personne(s) pour assister la victime d’un handicap dans l’accomplissement des actes de sa vie quotidienne. À noter que si l’indemnisation de ce préjudice nécessite le constat d’un déficit fonctionnel (Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 11-25.446), elle ne suppose pas l’existence d’une rémunération : la Cour de cassation considère bien au contraire que le montant d’une indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’une assistance par un membre de la famille (Civ. 2e, 4 mai 2000, n° 98-19.903) ou d’organisation d’une mesure de protection du majeur (Civ. 2e, 24 nov. 2011, n° 10-25.133). En l’espèce réunies, ces deux circonstances étaient donc sans incidence sur le principe comme sur l’assiette de l’indemnisation allouée à la victime. Parallèlement à ce préjudice patrimonial direct, le préjudice extrapatrimonial de la mère de la victime, en sa qualité de victime indirecte du dommage, devait aussi être intégralement indemnisé, en raison de son autonomie. Second préjudice en l’espèce réparable, le préjudice extrapatrimonial exceptionnel ne se confond pas, en effet, avec celui de « l’assistance par tierce personne » par ailleurs consacré par la nomenclature Dintilhac au titre des préjudices patrimoniaux permanents subis par la victime directe d’un dommage corporel. Autonome, le préjudice extrapatrimonial exceptionnel de la victime indirecte est un chef résiduel de préjudices moraux réfléchis permettant d’indemniser, notamment, les troubles dans les conditions d’existence personnelles, familiales et sociales dont sont victimes les proches qui partagent une communauté de vie affective et effective avec la personne handicapée à la suite du dommage, à domicile ou par de fréquentes visites en milieu hospitalier, ce qui correspond en réalité au « préjudice d’accompagnement », admis même en cas de survie de la victime directe. S’il n’est expressément prévu par la Nomenclature qu’en cas de décès de la victime directe, ce préjudice visant généralement l’accompagnement de fin de vie (v. évoquant expressément « le préjudice d’accompagnement de fin de vie », Civ. 2e, 21 nov. 2013, n° 12-28.168), il s’étend, en cas de survie, à la victime indirecte du dommage qui accompagne la victime pendant la maladie traumatique de celle-ci. En toutes hypothèses, ce préjudice d’accompagnement est réparé de manière autonome au titre d’un préjudice extrapatrimonial exceptionnel. La cour d'appel ayant en l’espèce refusé de réparer ce chef de préjudice pour éviter un prétendu doublon avec l’indemnisation accordée à la victime directe au titre des besoins d’assistance par un tiers, tout en relevant que sa mère s'investissait quotidiennement, depuis l'accident, dans la prise en charge de sa fille souffrant d'importants troubles neurocognitifs et résidant toujours au domicile parental, a ainsi méconnu le principe de la réparation intégrale du dommage corporel.
Références :
■ Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 11-25.446 : D. 2013. 705 ; ibid. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2013. 612, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 4 mai 2000, n° 98-19.903 : D. 2000. 154
■ Civ. 2e, 24 nov. 2011, n° 10-25.133 : D. 2011. 2932 ; ibid. 2012. 644, chron. H. Adida-Canac, O.-L. Bouvier et L. Leroy-Gissinger ; ibid. 2699, obs. D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2012. 109, obs. T. Verheyde ; RDSS 2012. 187, obs. T. Tauran
■ Civ. 2e, 21 nov. 2013, n° 12-28.168 : D. 2013. 2769 ; ibid. 2014. 571, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, H. Adida-Canac, E. de Leiris, T. Vasseur et R. Salomon ; ibid. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
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