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[ 14 janvier 2021 ] Imprimer

Procédure civile

L’autorité de la chose jugée ne cède pas au laisser-aller

Le caractère nouveau du fait invoqué pour écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ne peut résulter de ce que la partie qui l’invoque a négligé d’accomplir une diligence en temps utile.

Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-12.140

Par acte notarié en date du 3 août 2006, un couple avait acquis un terrain en partie financé par un prêt de 300 000 euros, stipulé remboursable en une seule échéance dont le terme avait été fixé au 3 juillet 2008. Le remboursement devait être effectué sur la base du bénéfice généré par la vente de la maison d’habitation que les acquéreurs avaient prévu de faire construire sur le terrain acquis, ce bénéfice devant être partagé par moitié entre le prêteur et les débiteurs. 

Par un jugement du 25 février 2014, un tribunal de grande instance avait rejeté la demande en remboursement de la somme prêtée formée par la société prêteuse à l’encontre du couple d’emprunteurs, la maison édifiée sur le terrain n’ayant pas encore été vendue. La société avait alors engagé des poursuites de saisie immobilière portant sur le bien en cause, sur le fondement de l’acte notarié initialement passé. À l’audience d’orientation, les débiteurs s’étaient opposés à cette saisie invoquant, notamment, l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 25 février 2014 qui avait débouté la société de sa demande en paiement. Cette dernière leur avait alors opposé qu’en ayant empêché la réalisation de la condition d’exigibilité de son droit à remboursement, à savoir l’édification de leur maison d’habitation, cette condition devait, en application de l’article 1178 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, être réputée accomplie à son profit, en sa qualité de créancier.

La société obtint gain de cause en appel. Pour déclarer régulière et valide la procédure de saisie immobilière et ordonner en conséquence la vente forcée de l’immeuble litigieux, la juridiction du second degré estima que le prêt était effectivement devenu exigible dès lors que les emprunteurs avaient empêché l’accomplissement de la condition tenant à la vente de leur bien.

Au soutien de leur pourvoi en cassation, les emprunteurs, rappelant qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, faisaient grief à la cour d’appel d’avoir méconnu l’autorité de la chose jugée par le tribunal de grande instance ayant refusé de constater l’exigibilité la créance en remboursement du prêt et débouté la société de sa demande en paiement à ce titre, ce dont il résultait que cette dernière n’était pas recevable à faire juger à nouveau cette prétention par la présentation d’un nouveau moyen tiré de l’ancien article 1178 du Code civil (C. civ., art. 1304-3), selon lequel la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement, sans pour autant avoir constaté que l’empêchement de la réalisation de la condition suspensive qu’elle retenait constituait une circonstance nouvelle postérieure au prononcé du jugement. 

La Cour de cassation fait sienne la thèse du pourvoi et casse, au visa de l’article 1355 du Code civil, la décision des juges du fond.

L'article 1355 du Code civil (art. 1351 anc.), dont la Cour prend soin de reproduire les termes (pt. 6), énonce que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Cet article fonde le principe de l’autorité de la chose jugée mais l’assortit d’une réserve liée la triple identité de cause, d’objet et de parties au litige. 

L’autorité de la chose jugée signifie que la chose jugée est tenue pour la vérité : Res judicita pro veritate habetur. Elle se distingue de la force de chose jugée qui, une fois toutes les voies de recours expirées, rend la décision de justice exécutoire (V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 142, p. 137). Elle est un attribut du jugement qui assure l’immutabilité aux décisions de justicea fortiori depuis que l’Assemblée plénière a imposé au demandeur de faire valoir, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, lui imposant de « concentrer » ses moyens, obligation que la haute juridiction a rattaché à l’autorité de chose jugée (Cass., ass. plén., Cesareo, 7 juill. 2006, n° 04-10.672). Depuis cet arrêt, dont la solution fut en outre ultérieurement étendue au défendeur (Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322), l’identité de cause renvoie en fait à l’équivalence des faits en sorte qu’une nouvelle demande, même formée sur un fondement juridique différent, se heurtera à l’autorité de chose jugée. Celle-ci est pourtant, à maints égards, relative. Elle est d’abord circonscrite aux parties au litige sur lesquelles elle s’exerce : une décision différente pourra donc être rendue dans un litige soulevant pourtant un problème juridique identique mais opposant des parties différentes. Comme le souligne la Cour (pt. 7) elle est, ensuite, attachée au seul dispositif de la décision (Cass., ass. plén., 13 mars 2009, n° 08-16.033), ie à la solution concrète qui tranche le litige, mais ne s’applique pas aux motifs de la décision (sa justification) : l’autorité attachée à la chose jugée doit ainsi céder face à l’éventuelle survenance d’événements postérieurs constituant des circonstances nouvelles susceptibles de renouveler les motifs de la décision rendue antérieurement. 

Comme le précise encore la Cour, l’autorité de la chose jugée ne peut en effet être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice (Civ. 2e, 3 juin 2004, n° 03-14.204 ; Civ. 2e, 6 mai 2010, n° 09-14.737 ; Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280 ; Civ. 3e, 14 avr. 2016, n° 15-12.764 ; Com. 26 janv. 2016, n° 14-17.672), ces derniers remettant en cause la vérité attachée au premier jugement. 

Cette limite à l’irrecevabilité tirée de la chose précédemment jugée opposable à une demande en justice suppose néanmoins de caractériser la nouveauté du fait justifiant d’écarter l’autorité de la chose jugée. Celle-ci trouve, en jurisprudence, des origines diverses : les années acquises par l’enfant depuis sa première demande de changement de nom, supposant pour le juge de renouveler son appréciation de la conformité du changement demandé à l’intérêt de l’enfant, lequel a pu changer en raison de cette circonstance nouvelle, si bien que le jugement ayant refusé d’accéder à une première demande n’a pas, à l’égard d’une seconde demande, l’autorité de la chose jugée (Civ. 1re, 18 déc. 1979, n° 78-15.619). De même que la signification régulière d’une décision étrangère déterminante de son exequatur peut justifier que l’autorité du refus initialement jugé ne s’oppose pas à ce qu’une nouvelle décision décide de l’accorder (Civ. 1re, 22 oct. 2002, n° 00-14.035), l’annulation par le juge administratif de l’arrêté approuvant un POS constitue un fait juridique nouveau auquel l’autorité de la chose initialement jugée ne peut être opposée.

L’affranchissement de l’autorité de la chose jugée n’est cependant pas chose aisée, notamment en raison du cumul des deux conditions ici rappelées par la Cour de cassation, qui interdit qu’elle soit écartée sur le fondement d’un moyen qui n'avait pas été invoqué devant le juge du fond et qui ne constitue pas un fait nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice. Ainsi le demandeur ayant initialement omis d’invoquer certains faits puis qui présente une demande fondée sur des faits différents de la première instance se heurtera à l’autorité de la chose jugée : le principe de concentration des moyens ne distinguant pas entre les moyens de droit et les moyens de fait (Civ. 2e, 31 janv. 2013, n° 11-23.722). De plus, il est désormais acquis que le caractère nouveau de l’événement permettant d’échapper à la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ne peut résulter de ce que la partie qui l’invoque a négligé d’accomplir une diligence en temps utile. Cette affirmation le fut d’abord à propos d’une diligence en vue d’obtenir une preuve (Civ. 2e, 25 juin 2015, n° 14-17.504; Civ. 2e, 20 avr. 2017, n° 16-13.412), pour être ensuite étendue au défaut d’accomplissement d’une formalité, celle de l’article 788 du Code civil (« le titre exécutoire contre le défunt l’est aussi contre l’héritier, huit jours après que la signification lui en a été faite »). L’arrêt rapporté applique la règle à l’empêchement par les débiteurs, par manque de diligence, de la réalisation de la condition liée à l’édification de la maison, nécessaire à la formation de la vente : selon la Cour, leur absence de « volonté d’exécuter de bonne foi les stipulations contractuelles », ne caractérise pas un fait nouveau justifiant d’écarter l’autorité de la chose jugée.

Notons enfin que la présentation d’un nouveau moyen de preuve n’empêche pas davantage de se heurter à l’autorité de la chose jugée d’une première décision (Civ. 3e, 19 sept. 2007, n° 06-11.962 ; Civ. 1re, 23 juin 2011, n° 10-20.110) car ne servant que d’instrument à l’existence de la cause, il ne relève pas des éléments de l’autorité de la chose jugée (C. Bléry« Autorité de chose jugée : négligence n’est pas circonstance nouvelle », Dalloz actualité, 3 oct. 2018; cf pour une illustration, Civ. 1re, 21 sept. 2016, n° 15-50.076 : « en statuant ainsi, alors que les éléments invoqués par M. X, qui procédaient d’une offre de preuve nouvelle et non d’un fait ou événement, survenu postérieurement au jugement du 3 juillet 2007, n’étaient pas de nature à modifier la situation antérieurement reconnue en justice, la cour d’appel a violé [l’article 1351] ».

Références :

■ Cass., ass. plén., Cesareo, 7 juill. 2006, n° 04-10.672 P: D. 2006. 2135, et les obs., note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot

■ Com. 20 févr. 2007, n° 05-18.322

■ Cass., ass. plén., 13 mars 2009, n° 08-16.033 P: D. 2009. 879, et les obs. ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; RDI 2009. 429, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2009. 366, obs. R. Perrot

■ Civ. 2e, 3 juin 2004, n° 03-14.204 P: D. 2004. 1769

■ Civ. 2e, 6 mai 2010, n° 09-14.737 P: D. 2010. 1291 ; RTD civ. 2010. 615, obs. R. Perrot

■ Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280 P

■ Civ. 3e, 14 avr. 2016, n° 15-12.764

■ Com. 26 janv. 2016, n° 14-17.672 P: D. 2016. 311 ; RTD com. 2016. 860, obs. J.-L. Vallens

■ Civ. 1re, 18 déc. 1979, n° 78-15.619 P

■ Civ. 1re, 22 oct. 2002, n° 00-14.035 P: Rev. crit. DIP 2003. 299, note E. Pataut

■ Civ. 2e, 31 janv. 2013, n° 11-23.722

■ Civ. 2e, 25 juin 2015, n° 14-17.504 P 
■ Civ. 2e, 20 avr. 2017, n° 16-13.412

■ Civ. 3e, 19 sept. 2007, n° 06-11.962 P

■ Civ. 1re, 23 juin 2011, n° 10-20.110 P: D. 2011. 1830

■ Civ. 1re, 21 sept. 2016, n° 15-50.076 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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