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Procédure civile
L’autorité de la chose jugée se limite strictement au dispositif.
Viole le principe de l’autorité de la chose jugée le juge des référés prononçant la liquidation d’une astreinte pour des faits illicites qui ne figurent pas expressément dans le dispositif de l’ordonnance de référé initiale. L’auteur de propos dénigrants sur Internet ne peut pas être condamné à verser le montant de l’astreinte s’il a publié les mêmes propos sur des pages web qui n’étaient pas visées par l’ordonnance des référés.
En l’espèce était publié sur un blog et sur une page Facebook un article qui dénigrait une société. La société visée a saisi le juge des référés d’une demande en condamnation de l’auteur des articles à les supprimer sous astreinte. Par ordonnance contradictoire rendue le 17 avril 2015, le juge des référés a ordonné « la suppression de l’article litigieux du 17 février 2015 du blog [du défendeur] accessible à l’adresse www.[xxx].fr et de sa page Facebook accessible à l’adresse www.facebook.com/[xxx] sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 3 mois ». L’auteur avait par lui-même procédé au retrait des articles litigieux et à la suppression de ses comptes Facebook le jour de l’audience. Or, il est apparu que le même article dénigrant a été à nouveau publié sur la page Facebook de l’auteur, mais accessible à partir d’une autre adresse URL ; raison pour laquelle la société victime a saisi le juge des référés en vue de condamner l’auteur à lui verser le montant de l’astreinte.
Cette demande a été accueillie par ordonnance de référé rendue le 10 mai 2016, rectifiée le 14 juin 2016, et confirmée par la cour d’appel de Versailles le 27 avril 2017 (n° 16/04908). La première ordonnance de référé limitait l’injonction à deux adresses web. Or, selon la cour d’appel, « l'objectif poursuivi [par cette injonction] n'était pas atteint, puisque l'article litigieux était encore présent sur une de ses pages Facebook ». Afin de se conforter à cet objectif, ajoute-t-elle, le juge de référé devait user de « son pouvoir souverain d'interprétation du dispositif de sa décision qui ne peut être compris de manière restrictive, la suppression ordonnée visant nécessairement l'intégralité des pages Facebook de [l’auteur] afin de faire cesser le trouble subi par la société [victime] ». Par cette décision, la cour d’appel a admis qu’il était possible d’interpréter le dispositif d’une décision « dès lors que le dispositif est ambigu ».
Ce raisonnement a fait l’objet d’une cassation prononcée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 21 mars 2019. En effet, « alors que [la première ordonnance] précisait, dans son dispositif, les adresses sur lesquelles le contenu litigieux devait être supprimé, la cour d’appel a violé [l’article 1351, devenu 1355, du code civil et l’article 480 du code de procédure civile] ». La cour d’appel devait par conséquent limiter strictement son appréciation aux adresses indiquées dans le dispositif de la première ordonnance.
La solution peut sembler sévère vis-à-vis de la victime de propos dénigrants sur Internet, qui sera contrainte de multiplier les recours dès l’instant où elle demande au juge la suppression d’un contenu sur une adresse spécifiée. Il lui sera préférable de demander habilement la suppression du contenu sans désigner expressément les adresses web visées. En réalité, cette décision résulte d’une construction jurisprudentielle répondant au principe de l’autorité de la chose jugée. La Cour de cassation se fonde sur les articles 1351, devenu 1355, du Code civil et 480 du Code de procédure civile, portant tous deux sur l’autorité de la chose jugée. Elle rappelle que le dispositif du juge des référés se cantonnait à la suppression des articles sur deux adresses web spécifiquement désignées. Dès lors, seul l’article dénigrant visé dans le dispositif, qui figurait sur les deux adresses web elles aussi visées dans le dispositif, pouvait faire l’objet d’une liquidation de l’astreinte. L’autorité de la chose jugée est effectivement attachée au dispositif, et à lui seul. Ce principe est constant depuis un arrêt rendu en assemblée plénière le 13 mars 2009 (n° 08-16.033) visant également les articles 1351 ancien du Code civil et 480 du Code de procédure civile, et énonçant que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif » (V. déjà Civ. 3e, 1er oct. 2008, n° 07-17.051 ; conf. par Civ. 2e, 20 mai 2010, n° 09-15.435 ; Civ. 2e, 17 oct. 2013, n° 12-26.178). En statuant de la sorte, l’Assemblée plénière a mis fin à une jurisprudence ancienne qui reconnaissait dans certaines circonstances les motifs comme ayant l’autorité de la chose jugée. L’arrêt étudié ne fait qu’appliquer ce principe en refusant toute interprétation extensive du dispositif.
Il est à préciser que l’article 488, alinéa 1er, du Code de procédure civile dispose que « l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée » puisqu’elle est rendue à titre provisoire. Cependant, l’alinéa second de l’article, en énonçant que l’ordonnance « ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu'en cas de circonstances nouvelles », amenuise ce principe puisque le juge des référés restera lié au dispositif tant qu’il n’existera pas de faits nouveaux. En l’espèce, il n’existait aucune circonstance nouvelle vis-à-vis des pages web visées dans le dispositif de la première ordonnance de référé. C’est la raison pour laquelle le juge saisi d’une demande en liquidation de l’astreinte restait lié par cette première ordonnance.
Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 17-23.640
Références
■ Cass., ass. plén., 13 mars 2009, n° 08-16.033 P : D. 2009. 879, et les obs. ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; RDI 2009. 429, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2009. 366, obs. R. Perrot
■ Civ. 3e, 1er oct. 2008, n° 07-17.051 P: AJDI 2009. 41
■ Civ. 2e, 20 mai 2010, n° 09-15.435 P: D. 2010. 1424
■ Civ. 2e, 17 oct. 2013, n° 12-26.178 P
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