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[ 19 juin 2013 ] Imprimer

Droit pénal général

L’avocat, la grève et les droits de la défense

Mots-clefs : Droits de la défense, Avocat, Récidive, Grève

La décision d’un barreau de suspendre sa participation aux audiences constitue une circonstance insurmontable justifiant que l’affaire soit retenue sans la présence d’un avocat. En revanche, si l’état de récidive légale peut être relevé d'office par la juridiction de jugement, même lorsqu'il n'est pas mentionné dans l’acte de poursuite, c'est à la condition qu'au cours de l'audience, la personne poursuivie en ait été informée et qu'elle ait été mise en mesure d'être assistée d’un avocat et de faire valoir ses observations. Tel n’est pas le cas du prévenu qui avait sollicité la désignation d’un avocat commis d’office et qui n’a pas pu en bénéficier à la suite du mouvement de grève affectant le barreau.

Comment concilier, le droit de grève des avocats avec les droits de la défense, la continuité du service public de la justice et le respect du délai raisonnable des procédures ? Tel est l'enjeu des questions posées à la Cour de cassation dans cette affaire.

En l’espèce, l’avocat d’un prévenu a présenté une demande de renvoi motivée par un mouvement de grève du barreau local, consistant à suspendre toute participation aux audiences de la chambre des appels correctionnels. Ne pouvant être assisté par son avocat (se joignant au mouvement collectif de grève), le prévenu a sollicité la désignation d’un avocat commis d’office, mais le bâtonnier dudit barreau a refusé d’y procéder. La cour d’appel, rejetant la demande de renvoi, a poursuivi l’audience, a entendu le prévenu sur le fond de l’affaire et condamné ce dernier pour infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive à cinq ans d'emprisonnement et a décerné un mandat d'arrêt à son encontre.

Invoquant les articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au procès équitable et respect des droits de la défense), deux arguments étaient soulevés par le prévenu devant la chambre criminelle. L’un intéressait la possibilité pour une juridiction de procéder au jugement de l’affaire sans la présence d’un avocat, l’autre concernait la possibilité de retenir la circonstance aggravante de récidive relevée d'office par la juridiction de jugement sans la présence d’un avocat pourtant sollicité par le prévenu.

La Cour de cassation opte pour une censure partielle de l'arrêt rendu en appel admettant que si la grève constitue un cas de force majeure pour la juridiction, dispensant celle-ci d'assurer l'effectivité du droit à l'assistance d'un avocat, en revanche, il n'est pas possible de retenir l'état de récidive légale relevé au cours de l'audience sans la présence dudit défenseur.

S'agissant, d’abord, du premier moyen concernant la possibilité de retenir l'affaire sans la présence d’un avocat, la chambre criminelle, reprenant sa jurisprudence antérieure, rappelle que « la décision d’un barreau de suspendre sa participation aux audiences constitue une circonstance insurmontable justifiant que l’affaire soit retenue sans la présence d’un avocat ». Cette solution, classique (Crim. 9 mai 1994 ; Crim. 11 juill. 1990), n’emporte pas sans doute complètement la conviction au regard des exigences européennes, la Cour de cassation se contentant d'un droit à l'assistance d'un avocat aux petits pieds là où la juridiction strasbourgeoise impose une assistance effective.

S'agissant, ensuite, de la possibilité de relever l'état de récidive à l'audience, la chambre affirme au visa de l'article 132-16-5 du Code pénal que si l’état de récidive légale peut être relevé d'office par la juridiction de jugement, même lorsqu'il n'est pas mentionné dans l’acte de poursuite, c'est à la condition qu'au cours de l'audience, la personne poursuivie en ait été informée et qu'elle ait été mise en mesure d'être assistée d’un avocat et de faire valoir ses observations.

Or, en l'espèce, si le prévenu a bien été invité à présenter ses observations sur cette circonstance aggravante, il n'a pas été mis en mesure de bénéficier d'un avocat, alors qu'il avait sollicité la désignation d’un avocat commis d’office, en raison de la grève du barreau. L'une des deux conditions posées par le texte faisait donc défaut en l'espèce. La présence effective d'un avocat est donc impérativement requise pour relever l'état de récidive légale dès lors que le prévenu en a fait la demande.

Crim. 23 mai 2013, 12-83.721

Références

 Crim. 9 mai 1994, n° 94-80.802, D. 1995. 145, obs. Pradel.

■ Crim. 11 juill. 1990, n° 90-82.613, RSC 1991. 602, obs. B. Braunschweig.

 Article 132-16-5 du Code pénal

« L'état de récidive légale peut être relevé d'office par la juridiction de jugement même lorsqu'il n'est pas mentionné dans l'acte de poursuites, dès lors qu'au cours de l'audience la personne poursuivie en a été informée et qu'elle a été mise en mesure d'être assistée d'un avocat et de faire valoir ses observations. »

■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 

3. Tout accusé a droit notamment à : 

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; 

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; 

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; 

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

 

Auteur :C. L.

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