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[ 20 mai 2022 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Le barème des indemnités prud’hommales conforté par la Cour de cassation

La décision, attendue avec impatience, est tombée le 11 mai dernier. Pour les salariés, c’est un coup d’épée dans l’eau. La Cour de cassation refuse d’ouvrir une brèche permettant d’écarter ponctuellement le barème fixant le montant maximum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Soc. 11 mai 2022 n° 21-14.490 et 21-15.247 FP-B+R

Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail fixe un barème permettant de déterminer le montant des dommages-intérêts auquel le salarié peut prétendre lorsque son licenciement est jugé injustifié. Alors qu’auparavant, dans les entreprises de plus de 11 salariés, les textes fixaient un montant minimum de 6 mois de salaire, désormais, les juges sont tenus par un plancher et un plafond qui varient selon l’ancienneté. L’attribution de l’indemnité maximale peut donc s’avérer trop faible au regard de l’ampleur du préjudice consécutif à une perte injustifiée de l’emploi… il suffit de songer à une salariée de plus de 55 ans, travaillant en zone rurale, à mi-temps au SMIC, dans un secteur économique en crise dont l’employeur décide de licencier pour un motif fallacieux. Si elle a 3 ans d’ancienneté, le montant maximum de son indemnité avoisinera les 4 000 euros alors pourtant que la perte de son emploi la prive d’un statut, lui donnant accès à une citoyenneté sociale (A. Lyon-Caen, RDT 2021, p.145). Aussi, certains juges du fond n’ont pas hésité à écarter ce barème lorsque, appliqué à une situation particulière, ils estiment l’indemnisation inadéquate. Encore faut-il s’appuyer sur un fondement pertinent pour écarter ainsi la loi. C’est cette question qui se trouve au cœur des deux arrêts rendus le 11 mai 2022. Ils seront largement commentés par la doctrine et les documents, publiés sur le site de la Cour de cassation, permettent de mieux saisir les termes du débat. L’objectif de ces quelques lignes visent simplement à synthétiser la solution de la Cour de cassation en rappelant tout d’abord les décisions précédentes (1), identifier ensuite les textes internationaux auxquels la Cour régulatrice reconnait un effet horizontal direct (2) et préciser enfin pourquoi elle refuse l’appréciation dite in concreto que proposaient certains auteurs (3).

(1)    Les décisions précédentes concernant le barème

À trois reprises (2015, 2017 et 2018), le Conseil constitutionnel a validé le principe d’un barème plafonnant le montant des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715, DC, Cons. const., 7 sept. 2017, n° 2017-751, DC, Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC). Si en 2015, la Conseil constitutionnel a censuré la loi, c’est uniquement en raison des paramètres du barème qui faisaient varier l’indemnisation en fonction d’un critère sans lien avec le préjudice subi par le salarié (pt 152). Ne pouvant rien attendre de la Constitution, les salariés et les syndicats se sont alors tournés vers les traités internationaux. Le Conseil d’Etat, en 2017, a rejeté une demande de suspension de l’ordonnance instituant le barème au motif qu’il n’y avait pas de doute sérieux sur sa légalité (CE, référé, 7 déc. 2017, n° 415243). Une autre voie, plutôt rare, a alors été tentée : la demande d’avis. Une juridiction du fond peut en effet demander à la Cour de cassation de donner son opinion sur une question juridique nouvelle posant une difficulté d’interprétation sérieuse. Dans son avis rendu le 17 juillet 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a considéré que la Charte sociale européenne n’était pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. En revanche, elle reconnait un tel effet à la Convention n° 158 de l’OIT mais estime le barème français compatible avec le principe de réparation adéquate posé par cette Convention. Toutefois, un avis ne s’impose pas aux juridictions du fond et certaines juridictions ont continué d’écarter le barème en le jugeant contraire soit à la Charte sociale, soit à la Convention n° 158. C’est dans ce contexte que, le 31 mars 2022, l’OIT a rendu un rapport estimant que la loi française est conforme à la Convention n°158. En revanche, le Comité européen des droits sociaux a récemment contesté la validité du barème finlandais et italien au regard de la Charte sociale et devrait prochainement se prononcer sur le système français (Réclamation n° 160/2018 de FO ; Réclamation n° 174/2 019 de la CGT).

(2)    Les critères de l’effet direct horizontal 

La Cour de cassation est en charge du contrôle de la conventionalité d’une loi. Elle peut donc écarter une disposition du code du travail contraire à un traité régulièrement ratifié par la France. Encore faut-il que ce traité puisse être valablement invoqué par un particulier à l’encontre d’un autre particulier. Autrement dit, la clause du traité doit être dotée d’un effet horizontal direct. Les auteurs ont depuis longtemps mis à jour les conditions nécessaires à la reconnaissance d’un tel effet (A. Jeammaud, Sur l’applicabilité en France des conventions internationales du travail, Dr. Soc. 1986, p 399) mais la Chambre sociale, dans ses deux arrêts du 11 mai, les explicite, en prenant toutefois soin d’écarter le droit de l’Union européenne puisqu’alors seule la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour déterminer si un texte est d'effet direct. Elle précise ainsi les conditions qui doivent être réunies : la clause du traité doit créer des droits identifiés dont les particuliers peuvent directement se prévaloir. Il ne s’agit donc pas simplement d’un programme régissant uniquement les relations entre les États. Par ailleurs, la clause est claire et inconditionnelle, c’est-à-dire qu’elle ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. La Cour de cassation ajoute toutefois qu’il faut que le traité se réfère au juge national comme organe compétent pour vérifier son application. Ces conditions énoncées, elle les applique à la Charte sociale et à la Convention n°158 de l’OIT. Sans surprise, elle refuse l’effet direct à la Charte sociale. En effet les États qui l’ont signé ont simplement entendu reconnaître des principes et des objectifs sociaux dont la mise en œuvre nécessite l’adoption d’actes complémentaires d'application et par ailleurs, ils ont prévu un système de contrôle basé sur des rapports périodiques et des réclamations collectives auprès du seul Comité européen des droit sociaux dont les décisions n’ont pas de valeur contraignante. Il n’est donc pas possible d’écarter l’article L. 1235-3 du code du travail au motif qu’il serait contraire à l’article 24 de la Charte énonçant que « Tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement ». En revanche, la Chambre sociale considère que l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT reconnaissant un droit à une indemnisation adéquate en cas de licenciement injustifié engendre des droits dont les salariés peuvent se prévaloir et qui n’exigent aucune mesure d’application. Par ailleurs, le juge national est placé au cœur de son contrôle puisqu’il lui appartient d’allouer aux salariés injustement licenciés cette indemnité. La Convention est donc d’application directe. Toutefois, la Cour de cassation reprend la solution de l’Assemblée plénière et considère que le droit français est compatible avec les exigences posées par l’article 10. Elle développe largement son argumentation mais on peut rapidement la résumer : 

-        le barème prend en compte la gravité de la faute de l’employeur en excluant de son champ d’application les licenciements les plus graves, c’est-à-dire ceux entachés de nullité.

-        le terme « indemnité adéquate » n’est pas synonyme de réparation « intégrale » mais signifie d’une part que la sanction affectant l’employeur doit être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et, d’autre part, raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. Elle déduit alors le caractère dissuasif de la condamnation de l’employeur à rembourser les indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois d'indemnités. Elle considère ensuite que les montants minimaux et maximaux, variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. 

(3)    Le refus du contrôle dit in concreto

Dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’Homme, deux types de contrôle de conventionnalité sont possibles. L’un parfois nommé in abstrato permet de déterminer si, de manière générale, une règle interne est ou n’est pas compatible avec la Convention. L’autre, appelé in concreto consiste, au regard d’une situation concrète particulière, à écarter ponctuellement une règle nationale dont l’application apparait comme contraire à un droit fondamental. L’arrêt du 4 décembre 2013 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation permet d’illustrer le propos (Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066). L'affaire concernait la prohibition du mariage entre alliés. En soi, l’article 161 du code civil n’est pas contraire à la Convention EDH. Toutefois, dans l’espèce en cause, un héritier souhaitait faire annuler un mariage qui avait duré plus de 20 ans au motif que la femme avait épousé le père de son ex-mari. Au regard de la situation concrète très particulière, l’annulation du mariage portait une atteinte injustifiée au droit au respect de la vie privée et familiale. L’article 161 du code civil a ainsi été ponctuellement écarté pour garantir le respect de l’article 8 de la Conv. EDH. Des auteurs ont alors proposé d’appliquer ce contrôle in concreto en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse : lorsque, au regard de la situation factuelle du salarié, le plafond du barème ferait barrage à une réparation adéquate du préjudice, alors l’article 10 de la Convention n° 158 devrait permettre d’écarter l’article L. 1235-3 du code du travail. Dans son arrêt du 11 mai, la Cour de cassation refuse une telle analyse. Elle considère que ce contrôle porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi. Le communiqué figurant sur le site de la Cour est plus précis : un tel mécanisme serait source d’insécurité juridique : les juges du fond adopteraient des solutions très variées difficilement contrôlables par la Cour de cassation. La prévisibilité recherchée par le législateur grâce au barème serait dès lors compromise. Par ailleurs, le contrôle in concreto s’appliquerait aux droits énoncés par la Convention EDH, non à ceux de l’OIT. Certains seront convaincus (J-E Ray, Deux arrêts exemplaires, SSL 2022, n° 2000), d’autres moins (J. Icard, Barème, une fin de saga baclée, SSL 2022, n° 2000). 

Références :

■ CE, référé, 7 déc. 2017, n° 415243 

■ Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066 D. 2014. 179, obs. C. de la Cour, note F. Chénedé ; ibid. 153, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2017. 123, chron. V. Vigneau ; AJ fam. 2014. 124, obs. S. Thouret ; ibid. 2013. 663, point de vue F. Chénedé ; RTD civ. 2014. 88, obs. J. Hauser ; ibid. 307, obs. J.-P. Marguénaud

■ Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715, DC, loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques AJDA 2015. 1570 ; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Constitutions 2015. 421, chron. A. Fabre ; RTD com. 2015. 699, obs. E. Claudel

■ Cons. const., 7 sept. 2017, n° 2017-751, DC, loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social Constitutions 2017. 401, chron. P. Bachschmidt

■ Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC, Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 D. 2018. 2203, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Dr. soc. 2018. 677, tribune C. Radé ; ibid. 682, étude B. Bauduin ; ibid. 688, étude A. Fabre ; ibid. 694, étude Y. Pagnerre ; ibid. 702, étude J. Mouly ; ibid. 708, étude P.-Y. Verkindt ; ibid. 713, étude G. Loiseau ; ibid. 718, étude D. Baugard et J. Morin ; ibid. 726, étude C. Radé ; ibid. 732, étude P.-Y. Gahdoun ; ibid. 739, étude L. He ; RDT 2018. 666, étude V. Champeil-Desplats

■ P. Lokiec, Le barème ou le préjudice amputé, SSL 2021, n° 1950

■ J. Mouly, Le plafonnement des indemnités de licenciement injustifié devant le Comité EDS, Dr. Soc. 2017, p. 785

■ J. Mouly, L’inconventionnalité du barème : une question de proportionnalité, Dr. Soc. 2019, p. 234

■ T. Pasquier, La diversification des contrôles de conventionnalité des lois en matière de barème d'indemnisation, RDT, 2019, p. 683

■ C. Wolmark, L’encadrement de l’indemnisation du licenciement injustifié, Droit ouvrier, 2017, p. 733.

 

Auteur :Chantal Mathieu


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