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Droit des sûretés et de la publicité foncière
Le bénéfice de subrogation, un moyen de défense efficace pour la caution
Le créancier, nanti sur parts sociales, commet une faute permettant à la caution de se prévaloir des dispositions de l’article 2314 du Code civil, lorsqu’il ne s’oppose pas au projet de fusion-absorption de la société dont les titres sont grevés.
Com. 23 septembre 2020, n° 19-13.378
Le bénéfice de subrogation, appelé aussi bénéfice de cession d’actions, est un moyen de défense fréquemment utilisé par les cautions pour tenter d’échapper à leur engagement (V. En ce sens : D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, LGDJ, 12e éd., p. 221, n° 282).
Cause d’extinction du cautionnement prévu par l’article 2314 du Code civil, le bénéfice de subrogation permet à la caution d’obtenir sa décharge lorsque, par le fait du créancier, la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges ne peut plus s’opérer au bénéfice de la caution.
Après paiement, la caution dispose, en effet, d’un recours subrogatoire à l’encontre du débiteur principal, lui permettant d’exercer contre lui les droits qui appartenaient au créancier. Lorsque des droits, hypothèques ou privilèges du créancier sont perdus par la faute de ce dernier, les perspectives de recouvrement de la créance par la caution se trouvent nécessairement diminuées, voire anéanties, rendant la subrogation illusoire.
Les dispositions de l’article 2314 du Code civil permettent de prévenir cette situation en contraignant le créancier, pendant toute la durée du cautionnement, à veiller à la sauvegarde de ses droits préférentiels dans l’intérêt de la caution. A défaut, la caution pourra obtenir sa décharge.
Les enjeux attachés à ce moyen de défense sont donc particulièrement importants et tant la loi que la jurisprudence ont soumis son succès à la réunion de plusieurs conditions.
L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 23 septembre 2020 offre l’occasion de revenir sur ces conditions dont elle fait une appréciation souple, favorable à la caution.
Dans cette affaire, une banque avait garanti sa créance sur le débiteur principal par un cautionnement et un nantissement de parts sociales. La société, dont les parts étaient grevées par le nantissement, fit l’objet d’une fusion-absorption ce qui entraîna la dissolution de la société et partant, de l’objet du nantissement. Appelée en paiement par le créancier, la caution lui opposa les dispositions de l’article 2314 du Code civil et sollicita sa décharge.
La cour d’appel fit droit à la demande, considérant que le créancier aurait pu protéger ses intérêts en formant opposition au projet de fusion comme le permet l’article L. 236-14 du Code de commerce.
Le créancier forma un pourvoi en cassation, arguant de ce que les conditions de mise en œuvre du bénéfice de subrogation n’étaient pas réunies.
Validant une interprétation large des modalités de mise en œuvre du moyen de défense, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejeta le pourvoi et approuva les juges du fond d’avoir retenu qu’en l’espèce, tant la caractérisation du droit préférentiel perdu (1°) que celles de la faute exclusive du créancier (2°) et du préjudice subi (3°) étaient établies.
1° - La perte d’un droit préférentiel du créancier
La mise en œuvre du bénéfice de subrogation suppose qu’un droit préférentiel, qui existait à la date de l’engagement de la caution, ait été ultérieurement perdu par le créancier. Plus exactement, l’article 2314 du Code civil fait référence à la perte de « droits, hypothèques et privilèges » du créancier, notion que la jurisprudence apprécie avec souplesse (Il suffit que le droit préférentiel perdu soit de ceux qui confèrent au créancier « un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance » : Civ. 1re, 21 mars 1984, n° 83-10.035).
En l’espèce, le créancier s’était fait consentir concomitamment un nantissement de parts sociales et un engagement de caution. La société, dont les titres étaient nantis, fut ultérieurement absorbée par une autre société, ce qui entraîna la transmission universelle de son patrimoine à la société bénéficiaire et provoqua sa dissolution (C. com, art. L. 236-3). La société ayant disparu, ses parts sociales suivirent le même sort, anéantissant par voie de conséquence le nantissement qui y était attaché. La sûreté réelle consentie au créancier était donc incontestablement perdue, justifiant la mise en œuvre par la caution des dispositions de l’article 2314 du Code civil.
2° - La faute exclusive du créancier
Pour que la caution obtienne sa décharge, il lui appartient encore de prouver que cette perte résulte d’une faute exclusive du créancier (La charge de la preuve pèse sur la caution : Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-16.475 ; Com. 9 nov. 2004, n° 03-14.821; Com. 16 oct. 2012, n° 11-23.703).
La cour d’appel avait retenu, en l’espèce, que le créancier aurait pu éviter la perte du nantissement en s’opposant à l’absorption de la société dont les titres étaient grevés. L’article L. 236-14 du Code de commerce permet, en effet, au créancier dont la créance est antérieure au projet de fusion, de former opposition à celui-ci. Le juge saisi de l’opposition peut alors soit rejeter l’opposition, soit ordonner le remboursement des créances ou exiger la constitution, par la société absorbante, de nouvelles garanties au profit du créancier.
La cour d’appel considéra donc que la banque, qui n’avait même pas tenté de s’opposer au projet de fusion, avait manqué de vigilance et s’était rendue coupable d’une abstention fautive. En exigeant le remboursement du solde de sa créance, la banque aurait pu, en effet, être désintéressée sans avoir besoin de mobiliser la caution, tandis qu’en sollicitant la constitution de nouvelles garanties équivalentes au nantissement dont elle allait être privée, elle aurait pu préserver les droits de la caution.
Dans son pourvoi, le créancier tenta de soutenir que la condition d’un fait exclusif n’était pas caractérisée dans la mesure où l’issue de l’opposition formée aurait dépendu, en toutes hypothèses, de la décision du juge saisi.
Il n’en demeure pas moins que la décision de former ou non opposition au projet de fusion‑absorption relevait bien de la seule volonté du créancier, indépendamment des suites qui auraient été réservées à cette demande par la juridiction saisie. La Cour de cassation relève ainsi que le fait fautif exclusivement imputable au créancier est établi « quels qu’aient pu être les résultats de sa démarche ».
3° - Le préjudice subi par la caution
Le bénéfice de subrogation suppose enfin que la perte du droit préférentiel, par le fait exclusif du créancier, ait causé à la caution un préjudice. La caution ne saurait, en effet, obtenir sa décharge si, en définitive, le comportement même fautif du créancier n’a eu aucune incidence sur ses perspectives de recouvrement, en ne modifiant en rien les chances de succès de son recours subrogatoire à l’encontre du débiteur.
Dans l’affaire en cause, le créancier prétendait que la caution ne rapportait pas la preuve de son préjudice. La banque reprochait à la cour d’appel d’avoir permis la décharge de la caution alors que celle-ci n’avait pas démontré que la société absorbante aurait été en mesure, si le créancier avait formé opposition, de solder immédiatement l’emprunt ou de fournir une nouvelle garantie équivalente au nantissement perdu.
Sur ce point, la Cour de cassation confirme une jurisprudence bien établie : s’il appartient à la caution de démontrer qu’un droit préférentiel a été perdu par la faute exclusive du créancier, c’est au créancier qu’il revient ensuite de prouver que sa faute n’a causé aucun préjudice à la caution (Com. 8 avr. 2015, n° 13-22.969; Com. 27 févr. 1996, n° 94-14.313 ; Civ. 3e, 4 déc. 2002, n° 01-03.567 ; Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 07-14.808).
En l’espèce, la banque ne justifiait ni de l’incapacité de la société absorbante à solder le prêt litigieux, ni de l’impossibilité de cette société de constituer d’autre garantie. La décharge de la caution était donc acquise.
Références
■ Civ. 1re, 21 mars 1984, n° 83-10.035
■ Civ. 1re, 13 nov. 1996, n° 94-16.475 P : D. 1997. 166, obs. L. Aynès; JCP E 1997, pan. 32 ;
■ Com. 9 nov. 2004, n° 03-14.821
■ Com. 16 oct. 2012, n° 11-23.703 : Gaz. Pal. 13 déc. 2012, p. 17, obs. Dumont-Lefrand
■ Com. 8 avr. 2015, n° 13-22.969 : D. 2015. 863 ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
■ Com. 27 févr. 1996, n° 94-14.313 : D. 1996. 269, obs. L. Aynès ; RTD civ. 1996. 436, obs. P. Crocq ; RTD com. 1997. 145, obs. A. Martin-Serf ; JCP E 1997, I, 631, obs. P. Simler
■ Civ. 3e, 4 déc. 2002, n° 01-03.567 P: RD bancaire et fin., mars-avr. 2003, comm. 67, obs. D. L.
■ Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 07-14.808 : RD bancaire et fin., juill.-août 2008, com. 106, obs. D. L.
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