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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Le burkini, le feuilleton de l’été 2016…
Mots-clefs : Pouvoir de police du maire, Burkini, Arrêté, Ordre public, Liberté fondamentale, Référé liberté
Un maire peut-il prendre un arrêté interdisant le port d’un burkini?
Divers arrêtés municipaux, publiés cet été, ont eu pour objectif d’interdire des tenues regardées comme manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse lors de la baignade et sur les plages. Le juge des référés du Conseil d’État a suspendu l’un de ces arrêtés.
Ce feuilleton estival permet de rappeler les pouvoirs du maire en matière de police administrative, pouvoir qui doit notamment être distingué du pouvoir de police judiciaire consistant à rechercher les auteurs d’une infraction déterminée, que le maire peut aussi exercer au nom et pour le compte de l’État (CGCT, art. L. 2122-31).
En vertu des articles L. 2212-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales, le maire a en charge, sous le contrôle du préfet, la police municipale dont l’objet est d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Le Conseil d’État a ajouté à cette trilogie traditionnelle le respect de la dignité de la personne humaine (CE, ass., 27 oct. 1995, Cne de Morsang-sur-Orge, n° 136727 : lancer de nains) et la défense de la moralité publique (CE 18 déc. 1959, Sté «Les films Lutétia» et Synd. fr. des producteurs et exportateurs de films, n° 36385 : caractère immoral du film et circonstances locales ; CE 30 sept. 1960, Sieur Jauffret : lieu de débauche ; CE 8 juin 2005, Cne de Houilles, n° 281084 : sex-shop).
Pour la première fois, le juge des référés du Conseil d’État a rendu une ordonnance relative au burkini, le 26 août 2016 (CJA, art. L. 521-2). Elle annule l’ordonnance des juges des référés (application de la L. n° 2016-483 du 20 avr. 2016 permettant une formation collégiale: CJA, art. L. 511-2) du tribunal administratif de Nice en date du 22 août 2016 qui avait rejeté les requêtes de la Ligue des droits de l’homme et de l’association de défense des droits de l’homme-collectif contre l’islamophobie en France demandant la suspension de l’exécution de l’arrêté municipal du 5 août 2016 du maire de la commune de Villeneuve-Loubet.
Plus précisément, il s’agissait du point 3 de l’article 4 de l’arrêté litigieux selon lequel « Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade est interdit du 15 juin au 15 septembre inclus, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est strictement interdit sur les plages de la commune».
Le juge des référés du Conseil d’État devait décider si le maire de la commune avait outrepassé ses pouvoirs de police administrative et porté atteinte à une liberté fondamentale en édictant l’arrêté litigieux.
Pour cela, il rappelle qu’il appartient au maire « de concilier l’accomplissement de sa mission de maintien de l’ordre dans la commune avec le respect des libertés garanties par les lois », conformément à une jurisprudence constante (CE 19 févr. 1909, Abbé Olivier, n° 27355). Ainsi, les mesures de police édictées par le maire « doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public » (V. également CE, réf., 19 janv. 2014, Min. de l'intérieur c/ Sté Les Productions de la Plume (affaire Dieudonné), n° 374508)
Il s’ensuit, en l’espèce, qu’aucun trouble à l’ordre public n’a été constaté sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet en raison du port du burkini par certaines femmes. Le maire ne peut légalement justifier l’arrêté litigieux par la peur des attentats terroristes notamment par celui qui a eu lieu à Nice le 14 juillet 2016. Il a ainsi excédé ses pouvoirs de police en édictant les dispositions en cause alors qu’il n’existe, dans cette commune, aucun risque avéré de troubles à l’ordre public. Il ne pouvait pas non plus justifier l’arrêté litigieux par des motifs d’hygiène ou de décence. Il s’ensuit que cet acte administratif porte une atteinte grave et manifestement illégale à la libertés d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle.
A la suite de la l’ordonnance du Conseil d’État, divers arrêtés municipaux ont été suspendus par les tribunaux administratifs (V. notamment : TA Toulon, réf., 30 août 2016, n° 1602545 : arrêté du maire de Fréjus, TA Lille, réf., 9 sept. 2016 : arrêté du maire du Touquet…).
Toutefois, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a décidé, dans une ordonnance rendue le 6 septembre 2016, de la légalité de l’arrêté « anti-burkini » pris par le maire de Sisco en date du 16 août 2016. Celui-ci interdit jusqu’au 30 septembre l’accès aux plages et à la baignade à toute personne n’ayant pas une tenue correcte respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ainsi que le port de vêtements pendant la baignade ayant une connotation contraire à ces principes.
Pour rejeter la requête de la Ligue des droits de l’homme demandant la suspension de l’arrêté, le juge se réfère à l’ordonnance du Conseil d’État du 26 août 2016. En effet, à la suite des évènements survenus dans la commune Sisco le 13 août, le maire a édicté l’arrêté litigieux. Le juge des référés de la juridiction administrative corse précise que « le maire de Sisco n’a pas pris une mesure qui ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée au regard des nécessités de l’ordre public ». En effet, ces évènements ont eu une très importante couverture médiatique et ont causé une vive émotion qui est toujours présente dans la commune. La ligue des droits de l’homme a fait part de son intention de saisir le Conseil d’État.
CE, ord., 26 août 2016, n° 402742, 402777
TA Bastia, réf., 6 sept. 2016, n° 1600975
Références
■ CE, ass., 27 oct. 1995, Cne de Morsang-sur-Orge, n° 136727 : Lebon, , concl. P. Frydman ; AJDA 1995. 942 ; ibid. 878, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; ibid. 2014. 106, chron. M. Franc ; D. 1995. 257 ; RFDA 1995. 1204, concl. P. Frydman.
■ CE 18 déc. 1959, Sté «Les films Lutétia» et Synd. fr. des producteurs et exportateurs de films, n° 36385: Lebon 693; S. 1960. 94, concl. Mayras; D. 1960. 171, note Weil; AJDA 1960. 21, chron. Combarnous et Galabert; GAJA.
■ CE 30 sept. 1960, Sieur Jauffret: Lebon 504.
■ CE 8 juin 2005, Cne de Houilles, n° 281084: Lebon ; AJDA 2005. 1260 ; ibid. 1851, note S. Hul.
■ CE 19 févr. 1909, Abbé Olivier, n° 27355.
■ CE, réf., 19 janv. 2014, Min. de l'intérieur c/ Sté Les Productions de la Plume (affaire Dieudonné), n° 374508 : Lebon ; AJDA 2014. 79 ; ibid. 866 ; ibid. 129, tribune B. Seiller ; ibid. 473, tribune C. Broyelle, note J. Petit ; D. 2014. 86, obs. J.-M. Pastor ; ibid. 155, point de vue R. Piastra ; ibid. 200, entretien D. Maus ; AJCT 2014. 157, obs. G. Le Chatelier ; RFDA 2014. 87, note O. Gohin.
■ TA Toulon, réf., 30 août 2016, n° 1602545.
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