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Droit des sûretés et de la publicité foncière
Le cautionnement confronté à la Convention européenne des droits de l’homme
La sanction de la nullité du cautionnement dont la mention manuscrite n’est pas conforme à celle prévue par la loi, qui est fondée sur la protection de la caution, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de l’établissement de crédit prêteur au respect de ses biens, garanti par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Com. 21 oct. 2020, n° 19-11.700
À notre connaissance inédit, le contrôle de conformité d’un cautionnement à la Convention européenne des droits de l'homme, opéré par la Cour de cassation le 21 octobre dernier, confère à l’arrêt rapporté son principal intérêt, outre qu’il confirme la force d’expansion de la méthode dite de « la balance des intérêts », qui paraît pouvoir s’appliquer à toutes les branches du droit, même au droit des sûretés que l’on pouvait penser étranger à la question autant que soustrait à l’influence des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantis au citoyen.
Par un acte sous seing privé du 7 juin 2004, un établissement de crédit avait consenti à une société un prêt d’un montant de 100 000 €. Par un acte du même jour, un couple de particuliers s’était porté caution solidaire de ce prêt. La société débitrice ayant été mise en redressement puis en liquidation judiciaire les 27 juillet et 23 novembre 2006, le créancier avait assigné les cautions en exécution de leurs engagements. Celles-ci avaient, à titre reconventionnel, demandé l’annulation de leur engagement sur le fondement des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, soumettant la validité du cautionnement souscrit par des consommateurs à la rédaction d’une mention manuscrite, devant précéder leur signature et définir la nature, la durée comme le bénéficiaire de leur garantie. La cour d’appel avait accueilli la demande des cautions en raison de l’irrégularité avérée de la mention litigieuse, figurant dans l’acte en ces termes : « Bon pour engagement de caution solidaire et indivise à concurrence de la somme de cinquante mille euros (50 000 euros) en capital, augmentée des intérêts du prêt au taux de 5,85 %, commissions, intérêts moratoires, frais et accessoires quelconques y afférents ».
Le créancier forma un pourvoi en cassation au premier moyen, tiré des textes du droit de la consommation, que les erreurs qui n’affectent ni le sens ni la portée des mentions manuscrites et qui n’entravent pas la compréhension par la caution du contenu de son engagement n’affecteraient pas la validité du cautionnement et au second moyen, fondé sur le principe de proportionnalité, que la nullité automatique du cautionnement en raison du non-respect du formalisme imposé par les textes précités du code de la consommation porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété du créancier bénéficiaire de la sûreté.
Le pourvoi est rejeté et l’annulation du cautionnement, prononcée en appel, confirmée. N’ayant précisé ni la durée du cautionnement ni l’identité du débiteur principal, et n’ayant explicité ni le sens exact de l’engagement souscrit ni la référence à ses caractères « solidaire » et « indivise », la décision d’annuler cet engagement manifestement irrégulier était partant inévitable.
Les exigences particulières à certains actes passés sous seing privé, déjà prévues en droit civil (v. pour les actes contenant l’engagement au paiement d’une somme d’argent ou la fourniture d’une chose fongible, C. civ., art. 1376), sont renforcées en droit de la consommation (comp ., en droit civil, Com. 16 mars 1999, n° 96-12.653 ; Com. 17 juill. 2001, n° 97-17.579), dans un but de protection du consommateur qui apporte sa caution au profit d’un créancier professionnel. Ainsi, selon l'ancien article L. 341-2 du Code de la consommation (art. L.331-1 nouv.), toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X— n'y satisfait pas lui-même. » ; et dans l’hypothèse d’un cautionnement solidaire, selon l’ancien article L. 341-3 du même code (art. L. 331-2 nouv.), la caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : « En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du Code civil et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X... ».
En l’espèce, les cautions avaient fait précéder leurs signatures d’une mention manuscrite ne correspondant en aucune façon au formalisme prescrit par les articles précités qui, n’étant pas supplétifs de volonté, privent en conséquence les parties à l’acte de toute liberté rédactionnelle, que ce soit pour l'une ou l'autre des mentions prévues. Ce formalisme ad validitatem étant sanctionné par la nullité relative du cautionnement (Com. 5 févr. 2013, n° 12-11.720), il convenait de prononcer celle demandée par les cautions solidaires. La cour d’appel ayant en outre retenu que l’adjectif « indivise » contribuait à la confusion et à l’imprécision du cautionnement, en procédant par un ajout « impropre, et, en tout état de cause, non défini » aux exigences légales, elle avait, en l’état de l’ensemble de ces éléments, légalement justifié leur décision.
Si la méticulosité du contrôle judiciaire du respect du formalisme de la mention manuscrite, lui-même pointilleux, peut parfois sembler excessif, on comprend qu’en l’espèce, les lacunes observées sur des éléments aussi essentiels d’un acte de cautionnement que l’identité du débiteur principal ou la durée de l’engagement (v. sur ce point, v. Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 118) justifiaient de toute évidence l’annulation de l’acte litigieux, d’autant plus qu’au-delà de l’absence des formalités imposées, cet acte lacunaire était également équivoque, en raison de la confusion sémantique causée par l’emploi du qualificatif « indivise », renvoyant très probablement au caractère indivisible du cautionnement, que le code de la consommation ne prescrit pas d’indiquer dans l’acte mais que les parties ont la faculté de stipuler à l’effet de le rendre transmissible, par l’indivisibilité stipulée à leur égard, aux héritiers de la caution.
Vainement contestée par l’auteur du pourvoi, l’annulation du cautionnement allait donc de soi. Au contraire, la réponse de la Cour à sa dénonciation d’une telle sanction, dont l’automaticité serait contraire au droit de propriété garanti par la Convention européenne des droits de l'homme, était moins prévisible. La question de la conformité de la sanction de la nullité d’un cautionnement irrégulier à la Convention européenne des droits de l'homme n’avait, jamais été posée à la Cour.
Attendue, sa réponse est affirmée avec netteté : « la sanction de la nullité du cautionnement dont la mention manuscrite n’est pas conforme à celle prévue par la loi, qui est fondée sur la protection de la caution, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de l’établissement de crédit prêteur au respect de ses biens, garanti par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Il n’est en vérité pas surprenant que le créancier ait, même pour la première fois, sollicité sur le fondement de ce texte l’exercice d’un contrôle judiciaire de proportionnalité entre la sanction encourue et le droit au respect de son droit de propriété. En effet, l’usage croissant du critère de proportionnalité, qui s’étend à des domaines de plus en plus nombreux (par ex., en matière de filiation, v. pour une dernière illustration, Civ. 1re, 14 oct. 2020, n° 19-15.783) explique la tentative de certains créanciers, d’ailleurs non exclusive de celle des cautions, de faire valoir l’atteinte disproportionnée portée à leurs droits ou à leurs intérêts. Cependant, leurs tentatives se soldent généralement par un échec, en l’absence de disproportion manifeste de l’atteinte dénoncée. Or si la mise en balance d’intérêts antagonistes suppose de n’en sacrifier aucun, l’atteinte portée à certains des droits ou intérêts en jeu peut néanmoins être justifiée par la nécessité d’en préserver d’autres, jugés plus impérieux.
Ainsi, la Cour de cassation considère-t-elle que la prolongation de l’engagement de la caution, qui résulte de celle de l’interruption de la prescription jusqu’à la date de clôture, par essence incertaine, de la procédure collective du débiteur principal, ne porte pas une « atteinte disproportionnée à l’intérêt particulier de la caution », la préservation des intérêts des créanciers justifiant que l’engagement de la caution s’en trouve prolongé (Com. 23 oct. 2019, n° 17-25.656).
Dans le même sens, la Cour estime que s’il résulte une restriction aux conditions d’exercice du droit de propriété de celui qui s’est abstenu de revendiquer son bien dans le délai requis, cette atteinte est prévue par la loi relative aux procédures collectives et se justifie par un motif d’intérêt général, dès lors que l’encadrement de la revendication a pour but de déterminer rapidement et avec certitude les actifs susceptibles d’être appréhendés dans le cadre de la procédure collective afin qu’il soit statué, dans un délai raisonnable, sur l’issue de celle-ci dans l’intérêt de tous les créanciers et que « ne constitue pas, en conséquence, une charge excessive pour le propriétaire » l’obligation de se plier à la discipline collective générale inhérente à toute procédure du même nom (Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.247). C’est pourquoi l’argument avancé en l’espèce ne pouvait prospérer, en considération de l’objectif non seulement traditionnel mais surtout croissant de protéger la caution personne physique, invariablement défendu par le législateur (v. L. n° 2019-486 du 22 mai 2019, art. 60, I, 1°,prévoyant de réformer le droit du cautionnement pour en augmenter l’efficacité « tout en assurant la protection de la caution personne physique »), avec l’appui de la doctrine (v. Avant-projet de réforme du droit des sûretés, Assoc. H. Capitant, art. 2298), d’aucuns appelant même de leurs vœux la généralisation de l’exigence de la mention manuscrite à l’ensemble des garants personnes physiques (L. Andreu et J.-D. Pellier,« L’incidence de la réforme du droit des obligations sur les sûretés personnelles », in Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, LGDJ 2017, p. 499, n° 27).
Si dans l’hypothèse de l’espèce, l’atteinte au droit de propriété du créancier ne pouvait être contestée dès lors que l’annulation du cautionnement, faisant disparaître rétroactivement son droit de créance contre la caution, conduisait dans le même temps à le priver même de la possibilité de se servir de l’acte comme commencement de preuve par écrit, il est tout aussi incontestable qu’une telle atteinte se justifiait par la protection des intérêts de la caution, laquelle ne doit pouvoir être engagée qu’en connaissance de cause de l’ensemble des éléments que les textes du droit de la consommation imposent à cet effet de faire figurer, ad validitatem, dans la mention manuscrite.
Références
■ Com. 16 mars 1999, n° 96-12.653 P: D. 1999. 99
■ Com. 17 juill. 2001, n° 97-17.579 P: D. 2001. 2514
■ Com. 5 févr. 2013, n° 12-11.720 P: D. 2013. 1113, obs. V. Avena-Robardet, note R. Libchaber ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2013. 479, note D. Legeais
■ Civ. 1re, 14 oct .2020, n° 19-15.783 P: D. 2020. 2009
■ Com. 23 oct. 2019, n° 17-25.656 P: D. 2019. 2085 ; ibid. 2020. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. sociétés 2019. 781, obs. F. Reille ; RTD com. 2020. 173, obs. A. Martin-Serf
■ Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.247 P: D. 2019. 758 ; ibid. 1801, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; RTD civ. 2019. 617, obs. W. Dross ; RTD com. 2019. 490, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 2020. 176, obs. A. Martin-Serf
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